6 septembre 2024 – Vendredi de la 22ème semaine ordinaire, paire

1 Co 4, 1-5 ; Luc 5, 33-39 

H O M É L I E 

          Les Évangiles des dernières semaines nous ont décrit les débuts de l'activité missionnaire de Jésus. Déjà le jeune rabbin et ses disciples commencent à étonner tout le monde. Bien sûr, on a commencé à s'apercevoir que Jésus est venu apporter quelque chose de nouveau. Ses miracles, son enseignement, le pouvoir qu'il affirme avoir de remettre les péchés, tout cela fait grand bruit dans toute la Galilée. Tout le monde cherche à le voir et à l'entendre.

          En même temps le comportement de Jésus et de ses disciples intrigue. Ce n'est pas le comportement qu'on attendrait d'hommes de Dieu, de "parfaits". Non seulement Jésus a choisi parmi ses disciples un publicain, mais il a même pris un repas chez celui-ci. Il fréquente d'ailleurs facilement les pécheurs. Ses disciples mangent sans procéder au lavement rituel des mains et ils n'observent pas de jeûnes comme le faisaient les disciples de Jean-Baptiste. Il est toujours dérangeant de voir des personnes qui se présentent comme des témoins de Dieu et qui se conduisent différemment de ce qu'on attend de tels témoins.

          On fait donc remarquer à Jésus : « Les disciples de Jean le Baptiste jeûnent souvent et font des prières ; de même ceux des Pharisiens. Au contraire, les tiens mangent et boivent ! » -- Pour comprendre la réponse de Jésus, il faut se souvenir que le jeûne, dans l'Ancien Testament, était lié à l'attente du Messie. Il exprimait une insatisfaction à l'égard du temps présent et une attente impatiente de la venue du Sauveur. Le sens de la réponse de Jésus est donc très clair: Le Messie est arrivé. Ce type de jeûne n'a plus de sens. C'est le temps des vêtements de fête, c'est le temps du vin nouveau.

          La tentation du disciple est de vouloir accepter le défi de la nouveauté tout en gardant la sécurité du passé. Une telle attitude, dit Jésus, c'est comme vouloir coudre une pièce nouvelle sur un vieux vêtement, ou mettre du vin nouveau dans de vieilles outres. On s'expose alors aux contradictions et aux déchirures intérieures. Jésus invite ses disciples à prendre position et à fuir de tels compromis.

          Paul a eu à faire face à ce problème, comme il s’en explique dans sa lettre aux Corinthiens, que nous avions comme première lecture. Il a connu dans sa vie un moment de choix qui fut un moment de rupture avec son passé. Ce choix et cette rupture furent nécessaires pour éviter définitivement les déchirures intérieures que créerait un compromis entre les exigences de la Loi ancienne et la Loi d'Amour du Christ.

          Plusieurs prophètes de l’Ancien Testament ont vécu des drames et des déchirures semblables après leur appel comme prophètes. Leur drame est un peu le nôtre. Nous voulons être fidèles à Dieu, mais nous ne voulons pas nous défaire de toutes nos idoles. Nous voulons pratiquer la justice, mais nous voulons réussir en affaire. Nous voulons être de bons moines, mais il est difficile de renoncer à la joie des distractions qui nous sont offertes.

          Lorsqu'au lieu de choisir nous nous laissons déchirer intérieurement comme le tissu sur lequel on a cousu une pièce de tissu neuf, c'est que nous oublions une partie de l'Évangile de ce matin -- la partie où Jésus dit :"L'Époux leur sera enlevé, alors ils jeûneront". Nous vivons en cette période de l'Histoire. Le jeûne – ou les autres formes de renoncement -- a désormais comme sens de montrer de la fidélité et de la constance dans l'amour, alors même qu'on n'est plus comblé de la présence de l'époux. Le jeûne n’est pas la nostalgie de l'absence d'une présence. C’est la célébration joyeuse de la présence d'une absence – une absence qui n’est que provisoire, en attendant l’éternelle présence

Armand Veilleux