15 septembre 2024 -- 24ème dimanche "B"
Is 50, 5-9a; Jc 2, 14-18; Mc 8, 27-35
H O M É L I E
Nous sommes à l'époque de l'année où la température change. Parfois on se dirait encore en été; à d'autres moments c'est presque l'hiver. Les feuilles des arbres ont commencé à tomber. Il n'y a pas de doute possible; nous savons que ce sera bientôt décidément l'automne.
On constate un tournant semblable dans le Lectionnaire des dimanches. La scène de l'Évangile que nous venons de lire sert de transition entre les deux grandes parties qui constituent les deux moitiés de l'Évangile de Marc. Jusqu'ici nous assistions à une révélation graduelle de qui était Jésus, même si personne ne comprenait. À partir de maintenant, Jésus va commencer une longue marche qui le mènera jusqu'à Jérusalem et jusqu'à la mort. Pour nous, après la célébration joyeuse de Pâques, la liturgie nous a conduits vers la compréhension de certains aspects du mystère du Christ. Maintenant elle commence à nous montrer les exigences de ce mystère pour nous.
Jésus demande à ses disciples: "Pour les gens, qui suis-je?" et ensuite: "Et vous, que dites-vous? Pour vous, qui suis-je?"
La question "Qui est Jésus?" nous a probablement semblé durant longtemps, pour la plupart d'entre nous, une question plutôt théorique – sans doute jusqu'au jour où, pour des raisons propres à chacun, nous avons été acculés à nous interroger sur le sens de notre propre existence. Nous nous sommes alors demandé: "Qui suis-je?"
La question posée par Jésus à ses disciples était-elle rhétorique? Était-ce un artifice pédagogique afin de leur enseigner qui Il était? – Je ne le crois pas. Je crois au contraire qu'à ce moment dans son existence humaine, cette question revêtait pour Lui une importance vitale, et cela pour deux raisons. La première était que découvrir le mystère de son identité était aussi crucial et important pour Jésus que ce l'est pour chacun d'entre nous; et la seconde était qu'il ne lui était pas plus indifférent qu'il ne l'est pour aucun d'entre nous de savoir comment il survivrait dans la mémoire de ses amis.
Jésus savait en effet qu'il perdait la bataille avec les autorités du peuple. Il savait qu'i mourrait bientôt, laissant derrière lui une poignée de disciples qui étaient très faibles. Serait-ce la fin de tout? Sa mission allait-elle être une faillite totale? Se souviendraient-ils de lui? Leur mémoire serait-elle suffisamment vive pour leur donner la force de continuer la mission qu'il avait commencée et qui allait être interrompue de façon si abrupte?
Lorsqu'une personne est confrontée à une crise profonde, elle a besoin d'avoir une compréhension encore plus grande que d'habitude de son identité personnelle. Elle a aussi besoin d'avoir la certitude que, quel que soit l'échec ou le désastre, certains ne perdront pas foi en elle; et qu'elle continuera de vivre dans leur mémoire. Jésus en était à ce point dans sa vie.
Il se fait même impatient avec Pierre, qui est lent à comprendre et qui ressemble un peu à cet aveugle que Jésus avait guéri au début de ce chapitre. Cette scène est vraiment surprenante. Il s'agit de la guérison d'un aveugle par étapes successives. Dans un premier moment l'aveugle peut voir les hommes, mais sa vue reste si embrouillée qu'il lui semble voir des arbres marcher. Jésus accomplit alors la seconde phase de l'opération et l'aveugle recouvre totalement la vue. Quelque chose de semblable arrive à Pierre. Après que Jésus eût calmé la mer, et alors que tous se demandaient : "qui peut-il bien être?" il était devenu évident pour Pierre que Jésus était bien le Messie. Mais c'était encore une vision trouble. Il ne savait pas et ne voulait pas savoir que Jésus serait un Messie crucifié. Il le comprendra plus tard, après la Résurrection.
La vérité était aussi difficile à avaler pour Pierre qu'elle l'est pour nous, à cause des conséquences dans sa vie comme dans les nôtres. Suivre un candidat populaire à la royauté et un thaumaturge réputé était plutôt agréable. Être le disciple d'un condamné à mort était autre chose. Et cependant le message de Jésus est clair: "Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix, et qu'il me suive." S'il semble difficile, et même impossible, d'interpréter ces paroles, la raison en est sans doute qu'elles n'ont pas besoin d'interprétation et ne souffrent pas d'être interprétées. Elles doivent être prises dans leur sens littéral: "Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix, et qu'il me suive."
Armand VEILLEUX