5 octobre 2024                                                       Samedi, 26ème sem. « paire »

Job 42,1-3,5-6,12-17 ; Luc 10,17-24

Chers Frères,

Depuis plusieurs jours la première lecture de l’Eucharistie, sur semaine, est tirée du Livre de Job, et nous terminons précisément aujourd’hui ce livre, qui est très important du point de vue de la tradition monastique – et cela pour diverses raisons. Il est important, bien sûr, à cause de son thème central, celui de la souffrance, qui prépare à l’enseignement du Nouveau Testament sur le mystère de la Croix. L’auteur du livre est en réaction contre l’enseignement traditionnel, selon lequel Dieu est juste et donc récompense le bon et punit le méchant. À cette théorie, le livre de Job oppose un homme concret, qui est aussi bon qu’on puisse l’être, et qui pourtant est terriblement affligé. Il veut comprendre le mystère de la souffrance, et, en fin de compte il n’a pas d’explication. C’est un mystère insondable. La souffrance n’a pas de sens. Inutile d’essayer d’en chercher le sens. Et, dans le Nouveau Testament, le Fils de Dieu donnera une réponse non pas en expliquant le mystère de la souffrance, mais en l’assumant, en mourant sur la Croix et, ainsi, en lui donnant finalement un sens. Si Dieu a souffert, la souffrance a certainement un sens et c’est un sens de rédemption. Toutes nos souffrances, petites et grandes, prennent leur sens -- l’unique sens qu’elles peuvent avoir -- en étant une participation à la Croix du Christ, à cette souffrance librement assumée par amour – non pas par amour de la souffrance, mais par amour de l’homme.

Mais il y aussi autre chose dans le Livre de Job qui est important pour nous moniales et moines. L’histoire de Job décrit fort bien tout le cheminement du dépouillement continuel que nous devons faire pour arriver à la pureté du coeur qui nous permettra de voir Dieu. Job est la personne qui possède tout ce en quoi l’être humain trouve normalement sa sécurité et son identité. Tout lui réussit. Il a des richesses matérielles ; il a une femme et des enfants, une bonne santé et des amis et aussi un statut social très élevé. Puis, tout cela lui est enlevé. Job fait alors, non sans crise et rébellion, la merveilleuse découverte que, après avoir perdu tout ce qu’il avait, il continue d’être, et, n’ayant plus rien à perdre, il acquiert cette liberté qui lui permet de se tenir debout devant Dieu et de lui parler librement. Tout le cheminement de la conversion monastique décrit dans nos Constitutions et notre document sur la formation consiste en ce dépouillement graduel de toutes nos fausses sécurités humaines. Quand il nous est difficile ou impossible de parler librement à Dieu – ou à nos frères et soeurs – c’est que nous avons encore quelque possession à défendre: ce peut être simplement notre image, notre réputation, notre nom.

Après cette transformation, Job peut de nouveau tout recevoir, y compris sept fils et trois filles au nom enchanteur! Il reçoit maintenant tout comme don gratuit de Dieu et non comme le fruit de ses propres efforts. Il est devenu un homme libre.

Et l’Évangile d’aujourd’hui n’a pas un message différent. Il est tiré de cette série d’enseignements que Luc place ensemble durant la montée de Jésus vers Jérusalem, que nous lisons depuis quelques jours, et qui commencent par l’énumération des exigences radicales de la suite du Christ:   “Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer la bonne nouvelle” -- “Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière...” Puis Jésus envoie ses disciples en mission deux par deux. Et quand ils reviennent, tout joyeux de leurs succès – ils ont réussi à chasser les esprits mauvais -- Jésus leur rappelle ce qui était déjà la leçon ultime du Livre de Job. Cela n’est pas leur œuvre; cela leur a été donné. Et cela leur a été donné parce qu’ils ont tout quitté pour se mettre à la suite du Christ et se sont faits “petits”.

Et alors Jésus lui-même tressaille de joie en parlant à son Père, parce que ce message caché aux grands et aux puissants a été révélé à ceux qui se sont faits petits. Et il n’est certainement pas hors propos, quelques jours après la Fête de la Petite Thérèse, de rappeler que c’est là aussi le sens de l’Enfance Spirituelle. Jésus, dans l’Évangile, ne nous appelle jamais à demeurer enfants. Il nous appelle à “devenir des enfants”. C’est très différent. Pour devenir enfant il faut d’abord être devenu adulte et aller au-delà. La voie de l’Enfance spirituelle c’est la voie du dépouillement qui conduit à la liberté, comme celui vécu par Thérèse et déjà décrit, en quelque sorte, dans le Livre de Job.

Demandons au Seigneur pour nous-mêmes, et les uns pour les autres, ce don de la pauvreté du coeur, du dépouillement à l’égard de tout ce qui nous retient, pour arriver à cette liberté et à cette pureté du coeur qui nous permettent de voir Dieu.