Mémoire de saint Ignace d'Antioche,
17 octobre 2024
Homélie
J'ai connu, aux États-Unis, un pasteur baptiste qui venait souvent faire des retraites dans notre monastère de Holy Spirit, en Géorgie. Il y a plusieurs années, il ne se sentait pas très bien et il est allé voir un médecin. Après une série d'examens, le médecin lui a annoncé qu'il était atteint d'un cancer en phase terminale et qu'il ne lui restait probablement que quelques mois à vivre. L'homme a accueilli cette nouvelle avec une très grande sérénité et n'a pas semblé perturbé du tout. Le médecin s'est étonné de cette sérénité et lui a dit : "La plupart des gens sont très perturbés, voire découragés, lorsqu'on leur annonce qu'ils ont un cancer, surtout en phase terminale. Comment se fait-il que vous soyez si paisible ? La réponse fut : "Eh bien, ma conviction est que nous sommes tous en phase terminale !".
Je pense que c'était l'attitude des grands martyrs, comme Ignace, que nous célébrons aujourd'hui, qui fut l'un des premiers martyrs chrétiens, et l'un des plus grands. Pour ces martyrs, le sens de la vie ici-bas était qu'elle n'était qu'un passage vers la vie éternelle avec Dieu. C'est pourquoi ils ne craignaient pas la mort. Elle était plutôt attendue, souvent avec joie, comme le moment heureux d'entrer dans ce bonheur éternel.
Ignace, évêque d'Antioche fut condamné à mort. Il fut emmené d'Antioche à Rome par un groupe de soldats romains. C’était un très long voyage, et tout au long de ce voyage, Ignace écrivit sept lettres à différentes Églises. Ces lettres sont parmi les plus belles jamais écrites par un chrétien. Ignace, qui sait qu'il sera donné en pâture aux lions, à Rome, écrit : "Je suis le blé du Christ, moulu par la dent des bêtes pour devenir du pain pur".
En recevant le corps du Christ dans cette Eucharistie, rappelons-nous que c'est le corps du Christ, qui a été moulu comme du blé pendant sa passion et qui est mort pour nous. Demandons le courage de mourir à nous-mêmes, d'accepter toutes les morts quotidiennes qui nous permettront d'affronter notre propre mort finale, quand elle viendra, comme une heureuse transition vers une vie de bonheur éternel avec Dieu.
Le texte d’Évangile que nous venons de lire est la continuation de celui que nous avions hier.
Dans l’Évangile de Luc, tout l’enseignement de Jésus se situe dans un contexte de lutte entre le royaume de Dieu dont Jésus annonce la venue et les forces du mal, représentées d’abord par le tentateur au désert, puis par l’opposition de plus en plus forte que les Pharisiens et les Scribes offrent à Jésus, jusqu’à sa longue montée vers Jérusalem, où les forces du mal sembleront avoir triomphé de lui quand il est mis à mort et déposé au tombeau, en attendant la victoire finale du Fils de Dieu le matin de la résurrection.
Dans le texte que nous venons de lire, Jésus continue la longue liste de reproches aux Pharisiens et aux Docteurs de la Loi, dont nous avons lu une bonne partie hier.
Et tous ces reproches sont résumés dans une phrase terrible : « Malheureux êtes-vous, docteurs de la Loi. Vous avez enlevé la clé de la connaissance ; vous-mêmes n’y êtes pas entrés, et ceux qui essayaient d’entrer, vous les avez empêchés. »
La connaissance de Dieu est au cœur de toute la Révélation aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament. L’être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, est capable de le connaître et donc aussi de l’aimer. Mais cette connaissance lui est donnée – il s’agit d’un don. Ici-bas nous voyons Dieu à travers les images que nous avons de Lui. Dans le siècle à venir, nous le verrons face à face. Mais dès ici-bas, nous avons déjà une authentique connaissance de Lui à travers l’amour. Un amour qui est pur don, puisque cet amour a été mis dans nos cœurs par l’Esprit- Saint. Un amour qui se manifeste à travers la fidélité à son commandement – qui est lui-même tout d’abord le commandement de l’amour, qui résume tous les autres.
Lors de la tentation d’Adam et Éve, au début de la Genèse, le tentateur veut les convaincre qu’ils peuvent s’accaparer cette connaissance que Dieu voudrait, selon le tentateur, se réserver pour Lui-seul. Jésus reproche aux Pharisiens d’avoir enlevé la clé de la connaissance, en remplaçant l’amour pour l’observance d’une multitude de commandements et de pratiques.
Au cours de cette Eucharistie, demandons-nous dans quelle mesure nous pénétrons nous-mêmes le mystère de la connaissance de Dieu, par la fidélité à son commandement de l’amour de Dieu et du prochain, et dans quelle mesure nous nous fermons à cette connaissance – et en même temps en bloquons l’accès à nos frères et à nos sœurs – chaque fois que nous manquons à ce commandement fondamental de l’amour de Dieu et de notre prochain.
Armand Veilleux