Noël 2017
Chers frères et sœurs, voilà ! c’est Noël, cette fête que l’on prépare depuis plusieurs jours voire plusieurs semaines, les cadeaux, le repas, les invités, les kilomètres aussi parfois à parcourir pour être là, à l’heure, avec les autres. Mais, disons-le, cette nuit, demain ou dans quelques jours, il faudra repartir, ranger, nettoyer et reprendre le quotidien, avec parfois ce sentiment désagréable de refermer la parenthèse. Alors, que fêtons-nous à Noël, ou plus exactement que vivons-nous ? Et quelle espérance donner à ceux qui ne fêterons pas Noël, parce qu’ils sont seuls, encore plus seuls ?
A partir de l’évangile que nous venons d’entendre, nous pouvons d’abord mettre en avant un contraste. Luc nous plonge dans la grande histoire, celle « de l’empereur Auguste ordonnant de recenser toute la terre » (2,1). Il nous montre ainsi un empereur puissant qui - les historiens nous le disent - se présente aussi comme celui qui apporte le salut : c’est la Pax Romana, la paix imposée par les armes. Nous savons que le roi David, quelques siècles plus tôt, a voulu, lui aussi, recenser Israël et que cela lui fut reproché car, dans la Bible, connaître le nombre de personnes est un privilège de Dieu qui seul a la vraie connaissance. Ce qui peut surprendre dans le recensement d’Auguste, c’est qu’Israël, habituellement rebelle aux ordres qui lui sont donnés, et à commencer bien sûr par ceux de Dieu, s’exécute ici sans sourciller : « tous allaient se faire recenser » (2,3). On peut y reconnaître une certaine complicité de la part d’Israël, de la part des hommes, avec l’ordre établi, avec l’état de notre monde, et alors, disons-le, un certain emprisonnement, un certain aveuglement. Oui, Israël a besoin d’un salut, d’une délivrance, mais ce n’est pas Auguste, mais Dieu seul qui peut lui donner.
Or, ce monde, où tout semble ordonné comme un bilan comptable, ce monde qui nous rappelle le nôtre quand on nous parle de PIB, de taux de croissance et de taux d’intérêt, ce monde semble incapable d’accueillir ce que Dieu veut lui offrir, incapable d’accueillir une naissance, un enfant pour qui « il n’y avait pas de place…dans la salle commune » (2,7). Cet enfant, ce sont les paroles de l’ange qui nous le décrivent : il est Sauveur, Christ et Seigneur. Il est donc présenté comme l’intervention de Dieu sur terre, la puissance de Dieu, non sur les hommes, comme l’empereur, mais pour les hommes. Et il y a d’autres détails qui nous disent encore mieux comment se fait cette intervention de Dieu pour nous. Cet enfant est né dans la ville David, non pas Jérusalem la grande, la fière, mais Bethléem, la petite ville dont David est issu, et d’où il a été choisi et appelé alors qu’il n’était encore qu’un berger. C’est donc un roi, un vrai, que Dieu donne à son peuple, mais un roi pauvre et humble. Cela, nous l’avons compris aussi dans le fait qu’il ne soit qu’un enfant, dépendant de la toute-puissance, non de l’empereur, mais de celle de ses parents, une toute puissance d’amour. Il est couché dans une mangeoire dont l’Eucharistie que nous célébrons cette nuit nous rappelle la force : un Dieu qui se risque et se donne, un Dieu qui se fait nourriture et partage. Et puis il y a ce mot, « aujourd’hui » (2,11), un aujourd’hui perpétuel, un aujourd’hui pour chaque jour. C’est aujourd’hui que ça se passe : il ne s’agit pas ici d’une promesse, mais de l’accomplissement de la promesse ; il ne s’agit pas ici d’attendre, d’espérer, comme nous l’avons fait durant l’Avent, mais de reconnaître, de découvrir, d’accueillir en nous ce qui est déjà à l’œuvre.
Cette nuit, comme les bergers, il nous faut réentendre ces paroles : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple. » (2,10). Et plus loin, les anges chantent : « paix sur la terre aux hommes que (Dieu) aime » (2,14). Pas de crainte, plus de crainte, mais la joie, la paix, l’amour. Voilà le cadeau qui nous est fait, celui que nous devons découvrir, accueillir. La paix, la joie et l’amour ne sont pas à rechercher dans des cadeaux artificiels, mais dans une relation filiale avec Dieu, relation que nous sommes bien souvent incapables de vivre, mais que Jésus, le Fils unique, le Premier-né, vient aujourd’hui nous ouvrir, vient aujourd’hui nous donner. Cette naissance de Jésus, c’est notre propre naissance comme Fils de Dieu, naissance à la seule relation qui donne la vie, à la seule relation qui nous ouvre les uns aux autres. Cette naissance de Jésus, c’est la découverte que la vie, notre vie, est dans le don, et non pas, comme l’empereur, dans l’accumulation. Oui, frères et sœurs, cette nuit, comme demain et toujours, croyons que, où que nous soyons, où que nous en soyons, la paix, la joie et l’amour nous sont offerts chaque fois que nous les choisissons, chaque fois que nous tentons de les offrir aux autres dans la simplicité, l’humilité et la pauvreté assumées de nos vies.