5e dimanche ordinaire B

 Frères et sœurs, certains romans sont écrits de façon à vous dissuader de vous arrêter de lire : on a toujours envie de tourner la page pour connaitre la suite de l’intrigue, et découvrir enfin le secret, le mystère. Eh bien, pour essayer de soutenir votre attention, et parce que l’évangile de Marc nous accompagne tout au long de cette année liturgique - et nous n’en sommes encore qu’au premier chapitre - j’évoquerai aujourd’hui le secret, le mystère et la question que Marc déploie dans son évangile.

 

D’abord le secret. Il était présent la semaine dernière quand Jésus, entrant dans la synagogue de Capharnaüm avec ses 4 disciples fraîchement choisis, délivre un homme d’un esprit mauvais. Et il en est de nouveau question aujourd’hui, alors que nous lisons la suite de ce récit : Jésus « chassa beaucoup d’esprits mauvais et il les empêchait de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était. » Il s’agit donc de ce qu’on appelle le secret messianique, où Jésus, en demandant le silence sur son identité, veut nous protéger de nos illusions, d’une conception trop hâtive du Messie qui ne serait que la projection de nos désirs faciles et de nos rêves de toute-puissance. Il veut nous éviter d’adopter l’attitude de Pierre et de ses compagnons, qui se laissent entraîner par l’enthousiasme intéressé de la foule, se mettant à sa recherche un peu comme, lors de la chasse, les battues que l’on entend dans le bois de Bourlers ou le long de la frontière, interrompant ainsi la prière silencieuse et sereine de Jésus.

 

Alors bien sûr, ce secret est directement lié à l’autre point que je veux aborder, c’est-à-dire à la question qui construit l’évangile de Marc, celle l’identité de Jésus. Cette identité est d’emblée dévoilée au lecteur puisqu’elle est exprimée au premier verset de l’évangile. Mais elle ne cesse de sillonner le récit, interrogeant les disciples, les foules, les autorités et bien sûr, parce que c’est là le but à atteindre, nous-mêmes. Qui est Jésus ? Expérimenter dans sa vie et dans sa foi qui il est.

Les esprits mauvais le savent, mais savoir ne veut pas dire croire. Les quatre disciples, eux, se sont laissés interpeler, appeler par lui, mais ne savent pas encore qui il est. Jésus, les prenant avec lui, le leur révèle peu à peu, et notamment ici par la médiation de la belle-mère de Simon.

Cette femme malade fait la rencontre de la délicate et respectueuse compassion de Jésus qui s’approche…la prend par la main…et la fait lever. Et se réalise alors ce qui est peut-être le véritable miracle : « elle les servait ». Touchée par Jésus, comme si il lui avait transmis, transféré ce qui l’anime, c’est elle qui révèle aux disciples qui est leur maître en devenant, comme lui, serviteur, servante.

 

Nous en arrivons alors au troisième point de l’évangile, l’énigme en saint Marc : le mystère des disciples. Il y a deux semaines, nous avons vu ces quatre pêcheurs, dans un geste fort et fou, se mettre à la suite de Jésus. Nous connaissons leur parcours, et comment raisonnent en nous ces noms de Pierre, André, Jacques et Jean. De grands saints, que nous considérons parfois comme des privilégiés puisque, après tout, ils ont connu Jésus en chair et en os ! Et pourtant, tout au long de cette année, réécoutons leurs chemins en saint Marc, et laissons-nous interpeler par l’incompréhension récurrente de ces hommes, leur manque de foi, leurs trahisons ou reniements. Marc nous les montre comme voyant tout, mais ne comprenant pas grand-chose, et par contre il nous fait croiser d’autres disciples qui sont de véritables lumières sur nos routes : la belle-mère de Pierre, la Syro-phénicienne, l’aveugle Bartimée, le centurion au pied de la croix ou encore, bien sûr, les femmes au tombeau.

A la fin du récit d’aujourd’hui, Jésus dit à ses disciples : « Partons ailleurs ». Alors certes nous connaissons la suite, mais nous pourrions légitimement nous demander si ces hommes l’ont suivi, bousculés qu’ils étaient déjà, encore, dans un confort qui semblait leur ouvrir les bras. Pierre aurait pu dire, comme à la Transfiguration, « Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes ».

Alors suivre Jésus, le suivre vraiment, pour pouvoir le connaitre et croire en lui, pour pouvoir dévoiler le secret messianique et proclamer par toute sa vie qui il est, c’est accepter de devenir lentement disciple, et peut-être aussi consentir à se reconnaître un piètre disciple, qui doit être à l’écoute non de ses certitudes ou de ses acquis, mais de ce que Jésus lui dit, de ce que Jésus lui montre, de ceux que Jésus lui montre.

Un jour, Pierre pourra prendre la tête des foules, non plus pour traquer Jésus ou ce qu’il peut en tirer, pas davantage pour mettre en valeur son expérience, sa connaissance ou encore sa foi, mais pour rappeler combien seule l’identité de ce Jésus, seule cette présence du Christ, justifie que lui, le pêcheur, ait pris un tel chemin.