Frères et Sœurs, comme dimanche dernier, nous retrouvons Jean-Baptiste. Il était dans le désert, dans toute sa fougue de prophète, et aujourd’hui il est dans une prison, comme semblant douter. Dans le désert, en pleine lumière, « Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui » (Mt 3,5).

Dans sa prison, dans la ténèbre, on se rend encore jusqu’à lui, petite flamme qui luit comme un espoir. Ses disciples, contrairement à ceux du Christ qui s’enfuiront, sont auprès de lui, petit reste d’une communauté peut-être à l’image de notre Eglise. C’est là que Jean pose cette question qui doit interroger notre façon de vivre l’Avent : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (3). Alors qu’il est en prison, alors qu’il pourrait croire s’être trompé et qu’il est trop tard pour espérer une autre issue, alors que lui et ses disciples pourraient poser un terrible constat d’échec sur sa vie, cet homme reste en attente, en espoir. De plus, alors que son destin personnel semble se détacher de celui de ses disciples, il continue de parler en nous, en communauté, en peuple de Dieu : « devons-nous en attendre un autre ? » L’Avent, donc, non pas ce temps facile qui prépare à la joie de Noël, mais ici comme ce temps de l’attente jusque dans l’incertain, l’échec, le doute ; un temps où l’on s’accroche, où l’on apprend à croire en une promesse, à adhérer au Messie. Et l’Avent, non pas comme un temps pour soi seul, mais comme ce temps de la communauté, ce temps de l’Eglise qui se rassemble, qui s’encourage, pour reconnaître et accueillir celui qui vient.

D’un côté, donc, un homme en prison ; et de l’autre, un homme, Jésus, qui annonce la Bonne Nouvelle du Salut : « Les aveugles retrouvent la vue... les boiteux marchent.… les morts ressuscitent… » (5). Deux hommes qui semblent apparemment bien loin l’un de l’autre, mais pourtant Matthieu nous dit que « Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ ». La bonne nouvelle, même incertaine, vient jusqu’à lui. Et je nous pose la question : est-ce qu’aujourd’hui encore, la bonne nouvelle vient nous rejoindre jusque dans nos prisons personnelles et communautaires ? Et surtout, nous qui sommes ses apôtres, rejoignons-nous les gens, nos contemporains, nos voisins, dans leur prison ? Est-ce que notre message, et peut-être davantage est-ce que la rumeur, la réputation, la bonne nouvelle de nos œuvres – à l’image de celles que réalise Jésus - vient les rejoindre jusque dans leur prison, pour leur donner une espérance, une lumière, leur ouvrir un autre chemin possible ? Bref, sommes-nous les véritables témoins de celui qui doit venir, ou est-ce que notre monde doit se résigner à en attendre un autre, un autre que le Christ, d’autres que nous, parce que nous serions incapables de le lui annoncer ? Voilà donc peut-être notre Avent : attendre Dieu, le rechercher, le scruter, non d’abord pour en retirer bénéfice, mais pour en être les témoins, les prophètes. Est-il celui qui vient dans nos vies, celui que nous attendons jusque dans l’obscurité, le doute, l’échec - tous ces lieux redoutables, inconfortables, mais pourtant ces lieux où il peut vraiment prendre chair, s’incarner, nous sauver ? Ou inversement, est-ce que nous nous consolons, perdons, fuyons en en attendant un autre, dans tous ces semblants de salut que nous propose notre société ? Après tout, est-ce que l’un de nos défauts ne serait-il pas de nous contenter de ce que nous avons déjà reçu et compris, et de ne pas chercher à en accueillir davantage, parce que finalement nous en aurions assez pour nous ? Ne serions-nous pas insuffisamment en attente de Dieu, en désir de lui, parce que nous nous contenterions d’être normaux, moyens, et pourquoi pas médiocres, et nous oublierions que d’autres, dans leur prison, attendent de nous un message d’espoir, un message de vie ? Jean-Baptiste dans sa prison, et par sa mort dans des circonstances dérisoires, est un perdant, mais il n’est absolument pas un médiocre, lui dont « personne ne s’est levé de plus grand que » lui.

Alors, comprenez-moi bien, si je nous pose ces questions, ce n’est pas pour nous culpabiliser, pour vous demander de porter un fardeau que je ne bougerais même pas du petit doigt, pour vous demander de devenir des Mère Thérésa ou des Jean Vanier, ou encore pour « en attendre un autre » qui finalement ne serait que nous-mêmes empêtrés dans notre bonne volonté, mais insuffisante et sans endurance. Non, mais c’est pour redire que seuls, nous n’y arriverons pas. Il faut qu’il vienne, il faut que nous l’attendions. Alors pour cet Avent, scruter sa parole dans les Ecritures et dans la vie, désirer être ses témoins, le désirer lui, et le désirer avec et pour les autres. Ainsi il pourra nous transformer pour laisser paraître et reconnaître, au-delà même de ce que nous sommes, au-delà de notre médiocrité, le Messie ami et salut des hommes.