(Luc 2,1-14)

Frères et sœurs, nous nous étonnons parfois que tant d’hommes et de femmes autour de nous ne croient pas au Dieu de Jésus Christ. Nous nous étonnons souvent, voire nous nous désespérons, que certains de ceux qui ont grandi dans la même foi que nous, de ceux, peut-être, que nous avons éduqués dans cette foi, aient fini par s’en éloigner.

Mais à la lecture de cet évangile, nous pourrions plus facilement le comprendre. Comment croire, en effet, qu’un « nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » est capable d’apporter le salut que Dieu veut pour nous ? Quel est, quel serait ce Dieu qui vient ou viendrait à nous si petit, si insignifiant, face à cet empereur Auguste d’hier ou d’aujourd’hui qui, lui, ordonne et recense toute la terre ? La Bonne Nouvelle en laquelle nous croyons et que nous voulons offrir au monde n’est faite que de fragilités : un bébé et une vierge, un crucifié, de simples femmes pour annoncer sa résurrection, et des apôtres qui l’ont lâchement abandonné pour proclamer le Salut. Alors certes, il y a aussi la puissance des miracles, mais les grands prêtres n’y croiront pas et le peuple lui-même finira par les oublier. Oui, notre foi repose d’abord sur cette fragilité, et nous pourrions donc dire que ce qui est probablement le plus étonnant, c’est que nous, nous croyons ; c’est que nous, nous sommes rassemblés dans cet église pour célébrer la naissance de cet enfant que nous confessons comme Seigneur et Sauveur. Et cette nuit, nous venons renouveler notre foi en reconnaissant ce qui est grand et puissant dans l’humble et le petit. Noël, c’est nous laisser creuser comme une mangeoire pour faire en nous un espace, libérer une place, pour accueillir non ce qui est fort, mais ce qui est faible et petit.

Le théologien Joseph Moingt disait qu’Israël croyait en un Dieu qui vient, un Dieu qui s’approche. Et il ajoutait que Noël répondait à la question du « jusqu'où s'approche-t-il ? ». Cette nuit, comme dans la nuit de Pâques, nous savons qu’il s’approche jusqu’à prendre notre condition d’homme, jusqu’à se faire notre semblable, jusqu’à livrer son corps entre nos mains, jusqu’à aimer chacun jusqu’à la mort, et jusqu’à nous partager sa vie divine. Mais maintenant la question pour nous n’est peut-être plus : jusqu’où s’approche-t-il ? Mais : Jusqu’où le laissons-nous s’approcher, s’incarner, naître dans notre vie ? Rien ne sert de fêter Noël, si ce n’est pas pour le laisser s’approcher encore davantage de nous, davantage en nous. Le laisser toucher nos refus, nos duretés, nos laideurs, non pour les juger, mais pour les transformer, les prendre sur lui, les assumer. Madeleine Delbrel écrivait que « Rien au monde ne nous donnera l'accès au cœur de notre prochain sinon le fait d'avoir donné au Christ l'accès au nôtre. ». Voilà l’enjeu de cette nuit douceâtre, l’enjeu de notre vie ! Se laisser approcher, se donner de naître et renaître, pour devenir proche à notre tour, pour incarner la vie que Dieu nous donne et veut donner dans cette mangeoire. A Noël, si Dieu s’incarne, c’est pour que nous aussi nous nous incarnions pleinement comme homme, comme fils, comme frère.

Durant le temps de l’Avent, l’Eglise nous a appelés à veiller, à attendre la venue du Seigneur, à être attentif afin de laisser de la place à Dieu. Et cette nuit, l’évangile nous dit ce qu’il advient de ceux qui ont veillé. Ces veilleurs, ce sont les bergers et c’est à eux qu’il est donné de rencontrer le Messie. Certes, leur veille ne consiste ici qu’à prendre soin de quelques moutons, mais le signe qui leur est donné de la venue et de l’action de Dieu dans notre monde n’est pas beaucoup plus grand : un enfant dans une mangeoire. Alors j’en reviens à ce que je nous disais : ce qui est étonnant, c’est que nous croyons, et que nous aussi nous sommes des ces bergers. Ce qui est étonnant, c’est que de moins en moins nombreux, parfois de plus en plus à contrecourant, nous ayons encore l’audace de reconnaître la proximité de Dieu dans notre vie et son action au cœur du monde. Dieu apparemment si discret, et parfois si absent, et pourtant il y a en nous cette foi qu’il ne cesse de s’approcher, d’apporter le salut, de nous aimer. Au cœur de la nuit, au cœur du petit, il y a une bonne nouvelle qui retentit pour ceux qui savent l’entendre, tel le chant des anges qui proclament : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. » Si nous attendons Dieu dans l’éclatant, le claquant, l’évident, nous prenons le risque de ne pas le reconnaître dans la crèche ou au tombeau. Mais si nous consentons à la fragilité des signes du quotidien, pour donner notre confiance à la force de la parole, à la fidélité de la promesse, à l’éternité de l’amour, alors, humbles veilleurs, humbles bergers, le ciel s’illuminera pour nous et pour le monde. En ce temps où notre terre dévoile à son tour sa fragilité, que notre foi soit pour l’humanité un signe, un petit signe, du salut qui s’offre à tous.