Frères et sœurs,

dans le cadre des chapitres que je donnerai à la Communauté durant ce Carême, je m’appuierai sur les prédications que le Capucin Raniero Cantalamessa a données l’année dernière au Vatican. Or, sa première conférence reprend l’évangile d’aujourd’hui, conférence qui va donc nous servir de canevas pour cette homélie.

En ce temps liturgique qui commence, le Père Cantalamessa invite chacun à rentrer en soi-même pour rencontrer le Seigneur. Le jeûne, la prière et l’aumône, dont nous parle Jésus dans l’évangile, nous y aident en purifiant notre cœur et en nous mettant ainsi sur le chemin de la béatitude : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » (Mt 5, 8). Cette pureté, le Capucin la définit comme une « droiture des intentions » qui est donc le « contraire [de] l’hypocrisie que dénonce » Jésus : hypocrisie face à Dieu, mais que celui-ci démasque de suite ; mais surtout hypocrisie face aux autres et même face à soi-même. « Le plus grand acte d’hypocrisie serait de cacher sa propre hypocrisie » dit le prédicateur. Et il ajoute qu’elle « est en grande partie vaincue dès qu’on la reconnaît ». Alors, nous sommes-là, ce matin, ces quarante jours qui viennent pour « reconnaître la part d’hypocrisie, plus ou moins consciente, qu’il y a dans nos actions. »

Déjà Pascal écrivait que « L’homme a deux vies : l’une est la vie réelle, l’autre est la vie imaginaire qu’il pense vivre dans l’opinion des gens. Nous travaillons sans cesse à embellir et à préserver notre être imaginaire et nous négligeons notre être véritable. » Ce carême se présente alors comme un temps pour prendre soin de nous, soin de notre vrai moi et de notre vraie relation aux autres.

 

Vous savez que « l’origine […] du terme hypocrisie […] vient du langage théâtral […où] il signifiait simplement réciter, représenter sur la scène ; [… où] les mots et les attitudes extérieures ne correspondent pas à la réalité intime des sentiments ; [où] ce qui est sur le visage n’est pas ce qui est dans le cœur. » Ainsi, l’hypocrisie, c’est mettre « un masque, [c’est] cesser d’être une personne pour devenir un personnage ». La Résurrection que nous célébrerons au terme de ce Carême est justement l’inverse : Dieu nous invite à être pleinement nous-mêmes, à être des vivants tels que nous sommes. Ces 40 jours nous sont donc donnés pour nous débarrasser de nos masques et de nos jeux, nous libérer de nos illusions souvent nées de la peur de ne pas être aimés. 40 jours de marche et de combat, mais pour découvrir combien nous sommes aimés.

« L’hypocrisie, dit encore le Père Cantalamessa, est mensonge, [mais surtout elle] met [Dieu] à la deuxième place, plaçant […] le public en premier. […] Cultiver l’apparence plus que le cœur signifie automatiquement donner plus d’importance à l’homme qu’à Dieu. » Ce Carême nous interroge donc sur la place que nous donnons et que nous voulons donner à Dieu dans notre vie, dans notre quotidien. Par conséquent, un temps aussi pour démasquer notre manque de foi et nos idolâtries. Un temps pour ajuster notre relation à Dieu, et ainsi aux autres, car l’hypocrisie est aussi le signe de notre manque « de charité envers [eux …]. Elle a tendance à n’en faire que de simples admirateurs. Elle ne leur reconnaît pas leur dignité, mais ne les considère qu’en fonction de sa propre image. » Ce Carême pour nous retirer du centre de la scène et offrir leur place aux autres.

Cette dénonciation de notre hypocrisie – car c’est bien la nôtre qu’il faut  dénoncer et non celle des autres –, ce combat que nous menons dans notre cœur, est un long chemin comme celui qu’ont emprunté les Hébreux. Le Père Cantalamessa rappelle que « nous ne pouvons éviter d’avoir instinctivement le désir de paraître sous un bon éclairage, de faire bonne impression, de plaire aux autres. » Mais il nous propose un moyen : « la rectification de l’intention. On atteint, dit-il, la droiture d’intention par la rectification constante et quotidienne de notre intention. » Et il ajoute : « Si l’hypocrisie consiste à montrer le bien qu’on ne fait pas, un remède efficace pour contrer cette tendance est de cacher aussi le bien qu’on fait. Privilégier ces gestes cachés qu’aucun regard terrestre ne gâchera et qui conserveront tout leur parfum pour Dieu. » Et c’est ce que Jésus nous invite à faire : « Prie en secret… jeûne en secret… fais l’aumône en secret et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (cf. Mt 6, 4-18).

Le Carême, un temps donc pour rentrer en soi-même, mais pour ne pas être dupe de soi-même. Un temps pour fixer notre regard sur celui qui n’a jamais joué de l’hypocrisie, sur celui qui est la vérité et la vie. Avoir le courage de la vérité, voilà un chemin qui mène à la vie, un chemin sur lequel il nous faudra renoncer à bien des illusions, nous dépouiller de nombreux masques ; un chemin que nous confions au Seigneur en cette eucharistie où, par l’imposition des cendres, nous confessons notre pauvreté, mais aussi notre foi.