L’Annonciation 2020
(Luc 1,26-38)
Chers frères,
en cette fête de l’Annonciation, comme neuf mois plus tard en celle de la Nativité, c’est le mystère de l’Incarnation que nous célébrons : « Et le Verbe s’est fait frère » comme l’a écrit le Bienheureux Christian de Chergé. Ainsi, face à cette proximité de Dieu dans chacune de nos vies et dans celle de notre communauté, nous pouvons reprendre la question de Marie : « Comment cela va-t-il se faire… ? » Comment Dieu peut-il se faire si proche et comment Dieu peut-il être frère, être dans le frère ? « L’ange lui répondit : ‘L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre’ ». C’est donc l’Esprit qui est ici à l’œuvre et que nous devons discerner dans notre quotidien.
Luc nous présente Marie comme un cœur disposé à accueillir l’Esprit. Elle l’est par son humilité, par son obéissance, par son désir d’être « servante ». Nous aussi, nous le savons, nous devons être des servants, et je privilégierais aujourd’hui ce terme plutôt que celui de serviteurs, car il me semble qu’il exprime mieux encore et la disposition, le consentement à servir, et l’action, le fait de servir réellement, concrètement. L’ange nous interpelle dans notre capacité, dans notre qualité de servants de Dieu et de nos frères.
Et c’est donc l’Esprit qui doit nous mettre en route à partir de là où nous en sommes, personnellement et communautairement. Comme le disait le pape François, « À celui qui se contente de demi-mesures, (l’Esprit) donne des élans de don. Il dilate les cœurs étriqués. Il pousse au service celui qui se vautre dans le confort. Il fait marcher celui qui croit être arrivé. Il fait rêver celui qui est gagné par la tiédeur. » Si Marie, comme nous le disions, semble être un cœur disposé, le nôtre est peut-être plus proche de ce que vient de nous en dire le Saint Père : médiocre, étriqué, égoïste, orgueilleux ou tiède, pour ne citer que cela. Nous pouvons nous y reconnaître et surtout - car ça nous est plus facile - nous pouvons y reconnaître les autres. Pourtant, avec l’Esprit, c’est bien une autre perspective qui se propose à nous : don, ouverture, service, mouvement et rêve ; une perspective qui laisse en effet rêveur et pour nous-mêmes, et pour nos frères, et pour notre communauté. Et pourtant, c’est bien l’Annonce qui nous est faite ce matin, « Car rien n’est impossible à Dieu ». Et si nous creusons dans notre mémoire, si nous relisons notre histoire, c’est bien pour cela, pour servir, pour aimer, que nous avons été appelés à cette vie monastique et que nous avons répondu nous aussi fiat.
Alors, évidemment, comme il en a été de l’Incarnation, et comme il en est de l’histoire du Salut, tout ne change pas du jour au lendemain. Nous sommes, comme nous le rappelle ce temps du Carême, en marche dans un désert dans lequel nous tournons souvent en rond. Mais nous savons aussi que ce Salut est à l’œuvre, que l’Esprit est à l’œuvre dès maintenant. Discerner son action dans notre vie, ce pourrait être tourner notre regard vers nos frères pour découvrir que eux aussi s’attachent à désirer que ce salut se réalise, à vouloir être fidèles à la promesse qu’ils ont reçue, et surtout, qu’ils s’appliquent chaque jour – ou presque - à marcher « sous l’ombre du Très-Haut », et à recommencer le lendemain. S’il nous est difficile de nous changer, s’il nous est encore plus difficile de changer nos frères, nous devons, par contre, demander l’Esprit pour changer notre regard et sur nos frères, et sur nous-mêmes. Collaborer à l’œuvre de l’Esprit, être servants, consisteraient donc ici pour nous à choisir d’aider, d’encourager, de soutenir, plutôt que d’enfermer l’autre dans tous ces défauts que nous rappelait le pape François. Deux attitudes différentes, l’une qui ouvre un avenir, un salut, comme l’annonce d’une naissance ; l’autre qui enferme et nous entraîne avec elle, comme dans une tombe. Il en va, je crois, de la vérité de notre foi. « Celui qui dit aimer Dieu et n’aime pas son frère est un menteur » nous dit saint Jean ; et bien peut-être pourrions-nous dire que celui qui dit croire en Dieu et ne croit pas en son frère est un menteur. Mais ce qui dit aussi la responsabilité pour chacun de vouloir être digne de cette confiance.
Tout cela nous éloigne peut-être de cette fête de l’Annonciation et pourtant, s’il y a bien pour nous un lieu où le Salut doit s’incarner, un lieu où la proximité de Dieu, son amour, doit nous apparaître plus clairement, un lieu où sa promesse doit se réaliser, c’est bien dans cet espace de vie, cet espace de relations, notre communauté que Dieu nous a donnée. Choisir, comme Marie, de redire aujourd’hui notre oui ; y discerner, sous l’action de l’Esprit, nos difficultés à le vivre ; et ainsi reconnaître que nous avons besoin de nos frères, de leur miséricorde, de leur non-jugement, pour reprendre sereinement notre route dans l’Esprit à leur côté et à leur service. Que cette eucharistie nous en donne la lumière, le désir et la force.