Dimanche des Rameaux

28 Mars 2021

Homélie 

Que s’est-il passé ? Que s’est-il passé entre ces deux évangiles que nous avons entendus ce matin, entre l’entrée triomphale à Jérusalem, le bruit et la joie de la foule enthousiaste, et, de l’autre côté, la violence du cri unanime : « crucifie-le ! », ou encore le silence et la peine du tombeau ? Si l’évangile de Marc était un roman, peut-être aurions-nous du mal à croire plausible un tel renversement. Alors certes, dès le chapitre 2, on accuse Jésus de blasphème, et déjà, au chapitre 3, Hérodiens et Pharisiens se mettent d’accord pour le faire périr. Mais ils n’osent pas passer à l’acte parce que la foule l’accueille comme le Messie. Et si, après l’entrée à Jérusalem, ils se heurtent à lui dans le Temple, Marc nous dit que la foule, elle, est « frappée de son enseignement » (11,18), « frappée d’étonnement » (12,18), et qu’elle « l’écoute avec plaisir » (12,37). Pourtant, nous l’avons entendu, au chapitre 15, les grands prêtres soulèvent cette même foule pour qu’elle demande la libération de Barabbas et c’est ainsi que retentit, comme un verdict sans appel, sans humanité, le « crucifie-le ! ».

 

A ce moment, la foule ne croit plus en Jésus. Elle ne croit plus en ce Messie temporel qui se laisse si facilement arrêter, et lui préfère un autre, Barabbas, un émeutier nous dit saint Marc, donc un homme qui lutte avec ses mains, avec ses poings, contre l’occupant romain.

Nous avons donc ici une partie de la réponse à notre question sur la volte-face de la foule. Elle attendait un homme fort, au sens où elle l’entendait, un roi qui change tout maintenant, un Messie qui, comme nous le disons en ce temps de pandémie, nous ferait entrer dès aujourd’hui dans le « monde d’après », sans prendre le temps, sans perdre le temps, de vivre et de mourir, de passer, par le monde de maintenant. La foule ne croit pas en Jésus, parce qu’elle ne reconnaît pas sa véritable puissance qui consiste à remettre sa vie, son présent, son avenir, malgré tout, non dans ses poings ou la force de ses poignets, mais dans les mains d’un autre, dans les mains du Père. La foule n’a pas compris la force, la vitalité, de celui qui est allé jusqu’au bout de sa mission, jusqu’au bout de son amour, de sa Passion. C’est pourtant bien là qu’il est le Messie, « celui qui vient au nom du Seigneur ! » (11,9), car il n’y a pas d’autre chemin possible pour venir « au nom du Seigneur ».

Entre l’entrée à Jérusalem et la crucifixion, la foule a donc cessé de croire en ce Messie – ou plutôt en ses rêves - mais c’était aussi pour elle un passage, une Pâque nécessaire pour, peut-être, au matin de Pâques, entrer enfin dans la vraie foi. Et nous aussi, bien souvent, il nous faut faire encore ce chemin, découvrir le vrai Jésus, aimer Dieu pour ce qu’il est et non pour ce qu’il donnerait ; aimer Dieu pour ce qu’il nous donne de traverser, pour ce qu’il traverse avec nous, pour nous, et non pour ce qu’il nous éviterait de vivre. Croire consiste à prendre le chemin, à passer par la croix, le tombeau, qui se présentent à nous lorsque nous suivons le Christ, lorsque, tout simplement, nous vivons.

Assurément, ce chemin n’est pas facile et c’est encore ce que nous a montré l’évangile. Car tous - hormis peut-être quelques femmes, celles que nous retrouverons dans la nuit de samedi à dimanche -  tous se sont trompés, ont attendu autre chose de Jésus, un autre chemin, une autre vie que celle que Dieu veut engendrer et ressusciter en nous. Ainsi, tous, à leur façon, ont condamné, trahi, renié, et nous avec eux. Et comme un signe de ce qui nous unit les uns aux autres, à la fois dans notre dignité de fils de Dieu et dans notre faiblesse, nous avons entendu que la trahison d’un seul aura suffi à ébranler toute une communauté, toute une église et à retourner la foule et le monde. Tout s’est écroulé comme un château de cartes lorsque l’une d’elles a vacillé.

Dressée comme une croix, une seule restera stable et fidèle, et c’est sur elle, sur Lui, que nous sommes invités à bâtir et rebâtir. Notre chemin de vie passe par ce chemin de foi, de confiance, d’amour. Qu’en cette eucharistie et Semaine Sainte, nous puissions approfondir notre appartenance, une appartenance commune, qui repose sur la force et la fidélité de « celui qui vient, [de celui qui vit] au nom du Seigneur ».