Deuxième dimanche Avent C
(Luc 3,1-6)
Décembre 2021
Frères et sœurs, dans la première partie de cet évangile, Luc mentionne de nombreux personnages : Tibère, Pilate, Hérode, Philippe, Lysanias, Hanne et Caïphe ou encore Jean et Zacharie. Mis à part les deux derniers, dont il a déjà parlé dans son premier chapitre, Luc nous indique aussi les fonctions de chacun, et disons-le, leur pouvoir, pouvoir qui se manifeste notamment par des lieux, des étendues géographiques - l’empire, la Judée, la Galilée, etc. - ou encore, pour les grands prêtres, de façon implicite, le Temple. Quant à Jean, on peut difficilement parler de pouvoir, puisque son lieu à lui, c’est le désert.
Toutefois, l’acteur principal de ce passage n’est aucun de ces hommes, même pas Jean, mais la parole de Dieu, et plus encore, Dieu lui-même. Tous ces puissants, ces territoires, la date qui nous est indiquée, ne sont là que pour situer dans l’histoire l’action, l’initiative, la fulgurance de Celui qui vient à nous, et pour dire que cet évènement concerne l’univers entier, et donc nous avec lui : « L’an quinze du règne de l’empereur Tibère […], la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean ». La parole de Dieu, comme elle l’avait fait jadis par la voix des prophètes, a une nouvelle fois retenti dans le monde et il nous faut maintenant l’écouter.
Jean, contrairement aux autres personnages, n’est pas défini par sa fonction, mais par ce qui lui arrive, et ce qui lui arrive, nous l’avons dit, c’est une parole. Cette parole ne nous est pas retranscrite, mais nous en lisons ses effets : Jean quitte le désert pour parcourir « toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés, comme il est écrit dans le livre […] d’Isaïe ». Cette parole le met en route et au service, et de Dieu, et des hommes. Elle le fait proclamer et même crier : elle est un cri qui nous est adressé et que nous devons entendre.
Cette parole, Jean ne l’a pas entendue dans un monde bien organisé, planifié, maîtrisé, à l’image du monde des puissants, mais dans le désert. C’est-à-dire là où l’on manque ; là où la vie est précaire, fragile ; mais aussi, là où Dieu a déjà cheminé avec son peuple pour lui donner la Loi et le conduire jusqu’à la Terre promise. Et il est intéressant de souligner qu’en Hébreu, les mots désert et parole sont construits sur la même racine, comme si cette parole ne peut être entendue que là où elle peut occuper tout l’espace, que là où nous consentons à cheminer pour pouvoir l’écouter.
Cet évangile d’aujourd’hui peut donc nous montrer la voie à suivre pour ce temps de l’Avent. Est-ce que, pour nous aussi, une parole surgit, nous arrive, nous met en route ? Est-ce que nous lui donnons la place dans notre vie pour être entendue ? Est-ce que nous en avons le désir, et pour reprendre l’image du désert, la soif de l’entendre ? C’est-à-dire est-ce que nous sommes prêts à nous enfoncer un peu, parfois même juste pour un temps, dans le désert, la solitude, le silence, dans ce lieu où nous renonçons à tous nos artifices et sécurités, pour entendre LA parole qui nous mettra en route, qui nous mettra en vie ? Finalement, est-ce que nous désirons entendre Dieu, le voir s’étendre dans notre vie, s’y incarner, ou préférons-nous nous contenter de ce que nous croyons déjà savoir ?
A l’évocation de ces questions, il peut y avoir en nous comme un frein, une réticence, une paresse ou une peur, d’où cette proclamation de Jean à « un baptême de conversion ». Il nous faut tous, toujours, revenir à Dieu, réorienter notre route, quitter nos lieux de pouvoir ou de maîtrise pour nous abandonner dans la confiance. Il nous faut tous, toujours, renoncer à notre péché originel qui consiste à se détourner de Dieu, de l’autre, pour se tourner vers soi ; la conversion, c’est le mouvement inverse. C’est, comme le dit Isaïe, « prépare(r) le chemin du Seigneur, rend(re) droit ses sentiers », en abaissant les collines de notre orgueil et de notre autosuffisance pour combler les ravins de pauvretés et d’indifférence que nous laissons se creuser. Retourner à Dieu consistera à ne plus nous prendre comme point de repère, point de mire ou encore comme unité de valeur.
Dans ce retour à Dieu, où les collines s’estomperont peu à peu, où les ravins se combleront, nous perdrons probablement nos repères habituels, n’étant plus toujours sûr du chemin puisque ses paysages nous seront inconnus. Mais alors, pour avancer, nous serons obligés de garder comme seule balise celui que nous attendons et désirons, celui qui vient à nous et que nous suivons : la parole de Dieu faite chair, dans notre chair. Ainsi, frères et sœurs, la conversion que nous sommes appelés à vivre, n’est pas tant un évènement ponctuel qu’une longue marche, un mode de vie. C’est se laisser interpeler chaque matin par cette parole qui est l’évènement même de notre vie. C’est par cette écoute que nous trouverons le vrai goût de la vie et qu’à notre tour nous pourrons proclamer que « tout être vivant verra le salut de Dieu ».