Noël 2018 (Luc 2,1-14)
Frères et sœurs, la nuit de Noël est pour chacun d’entre nous remplie de souvenirs : la chaleur du foyer familiale, les lumières, les vacances, les cadeaux et j’en passe. Il y a aussi bien sûr la crèche qui trône parfois dans la maison et dans l’église, où nous voyons Marie et Joseph, les bergers et les anges en adoration ; une sérénité qui se dégage à laquelle semble même participer l’âne, le bœuf et les moutons.
Mais tous ces détails de la crèche traditionnelle, qui insistent sur les conditions supposées voire même romancée de la naissance de Jésus, risquent de nous faire perdre de vue l’essentiel. Car comme le dit l’ange aux bergers, et comme l’ont bien compris les parents de Jésus, il s’agit de la naissance du Sauveur, de l’accomplissement de la promesse, du salut qui vient se réaliser en nous et pour nous, en cette nuit. Nous n’avons donc pas d’abord à nous attendrir, mais à prendre conscience de la gravité, de l’importance de ce qui se passe sous nos yeux : Dieu vient frapper cette nuit à notre porte pour réaliser son œuvre, pour nous faire naître à la vraie vie. Et la naissance de cet enfant restera une fable s’il ne vient pas naître en nous, ou plus exactement si nous ne lui pas de la place en nous pour naître et grandir dans notre vie.
Sa naissance à Bethléem, hors de « la salle commune », est aussi cachée que le seront ses 30 premières années de vie, aussi obscure que le sera sa mort. Et dans ce qui est désormais pour nous une nuit de fête, sa mort est paradoxalement déjà annoncée. Le corps emmailloté de l’enfant évoque le corps enveloppé dans un linceul ; ce même corps couché dans une mangeoire annonce celui qui sera mis dans un tombeau ; les prénoms des parents nous disent déjà l’autre Marie – Marie-Madeleine - et Joseph d’Arimathie au soir de la mort ; la nuit d’où jaillit la lumière évoque l’obscurité de la 6e heure où le soleil se cache ; et la gloire cachée dans un bébé rejoint celle d’un crucifié ; tout cela se passant dans les deux cas hors de la ville. A chaque naissance, on peut se demander « Que sera cet enfant et quelle sera sa vie ? » Ici, Luc, nous en livre déjà le secret.
Mais voici qu’un cri se fait entendre, une parole, un ange : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle… Aujourd’hui… vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. » (10-11) ; ce qu’au terme de son évangile Luc résume en quelques mots : « il est ressuscité ». La crèche, que nous représentons parfois dans une grotte, c’est déjà la croix mais aussi, mais surtout, le tombeau vide, la Résurrection, le sauveur annoncé et manifesté aux bergers comme il le sera aux femmes ou aux apôtres. La crèche, c’est déjà la bonne nouvelle du salut qui vient jusqu’à nous en cette nuit. Ce ne sont donc pas seulement les bergers qui sont interpelés, enveloppés de la lumière de la gloire du Seigneur, mais nous ! Alors, qu’attendons-nous de cette nuit ? Sommes-nous venus y chercher le salut ? Et bien sûr, question habituelle, avons-nous besoin du salut ? Je laisse chacun répondre à cette question, mais pour nous y aider, je nous invite à regarder ces visages qui peuplent les évangiles. Comme les bergers, boiteux, aveugles, sourds et pécheurs se tourneront vers cet enfant devenu grand pour en recevoir ce que la vie, ce que leur vie ne savait pas ou ne pouvait plus leur offrir. Ils vont accueillir Jésus, accueillir ce qu’il sèmera en eux, et ainsi le boiteux marchera et l’aveugle recouvrera la vue. Par contre, il en est d’autres qui se fermeront à Jésus et s’opposeront à lui : ce sont les grands prêtres et les pharisiens. Sûrs de leur capacité à se hisser par eux-mêmes à la hauteur de l’amour et de la justice de Dieu, ces hommes se révèleront incapables d’accueillir le salut parce que, après tout, persuadés de ne pas en avoir besoin.
Alors, nous le comprenons aisément, si nous voulons que Noël soit un vrai Noël, un vrai cadeau, c’est du fond de nos ténèbres, comme le dit le prophète Isaïe, au cœur des conséquences de notre péché et de nos passions comme le dit encore saint Paul à Tite, que nous devons accueillir le salut, que doit naître l’enfant, le Seigneur qui fera resplendir, enfin, la lumière. Oui, si comme nous le disions, la crèche a déjà un goût de mort et de résurrection, c’est parce que Dieu vient s’incarner, Dieu vient se donner, non pas là où notre vie est douce et facile, mais là où elle étouffe, là où on l’étouffe. Dieu, en s’incarnant, vient littéralement se livrer comme le suggère cet enfant emmailloté dans une mangeoire. Il se livre, il livre son corps et sa vie, comme on se livre à la bataille, pour affronter nos combats, nos défaites, nos renoncements. Il vient, dans la nuit, dans le caché, hors de la ville, pour faire éclore la vie et la lumière, les faire naître et renaître. Ce soir, derrière la naissance d’un enfant, c’est de notre naissance qu’il s’agit, de notre possible naissance à davantage de vie, celle que Dieu veut pour nous. Alors rendons-lui gloire et réjouissons-nous !