Vigiles Pascales 2022
(Luc 24, 1-12)
Avril 2022
Homélie
Frères et Sœurs, lorsque nous parlons de résurrection, nous pensons souvent « vie après la mort ». Pourtant, dans la tradition juive, dans ces milieux où ont été écrit ces récits du matin de Pâques, ce n’est pas cette question qui est première. Ce qui interroge la foi d’Israël, c’est le sort de l’innocent, le devenir du juste, et plus précisément du juste persécuté et apparemment abandonné par Dieu. C’est toute la question de l’injustice, et donc du mal, de son triomphe apparent, et de son corolaire, la mort. C’est ce cri qui ne cesse de retentir dans les psaumes, notamment ceux que nous avons chantés en ce Vendredi Saint. Et cette semaine, nous avons entendu dans les récits de la Passion, combien Jésus est présenté comme l’innocent et le juste. C’est donc bien cette question qui est en jeu ici et, quand les femmes entendent les anges leur annoncer que « le Vivant […] est ressuscité » (5-6), elles comprennent que Dieu n’a pas abandonné le juste, et que c’est bien lui, Dieu, et non la mort, qui est le maître, le défenseur, le dernier mot de nos vies, son mot, son Verbe éternel.
La Résurrection nous invite à la foi. Elle suscite notre confiance en ce Dieu présent qui n’abandonne pas ceux qu’il aime. Oui, c’est d’abord de l’expérience de la Résurrection que naît et jaillit la foi, et seulement ensuite elle devient l’objet de la foi. Nous croyons en la Résurrection du Christ, parce qu’un jour, un matin, la Résurrection nous a touchés comme une évidence, comme une nouvelle vie possible. Et c’est pourquoi certains théologiens ont pu dire que la seule preuve authentique de la résurrection, ce n’est ni la pierre roulée, ni le tombeau vide, ni l’absence du cadavre, mais l’existence de l’Eglise.
Tout aurait dû s’arrêter au tombeau, la pierre devant empêcher toute relation entre le Christ et nous, mais voilà… Tout a repris vie et quelle vie ! Ces femmes qui venaient au tombeau, à la mort, en sont à leur tour comme expulsées ; comme si, elles aussi, pareillement la pierre, avait été roulées, renvoyées. Le tombeau est ouvert et vide, mais il résonne d’une parole : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée » (5-6). Et cette parole leur redonne vie. Ou encore, comme le disait saint Paul dans l’épître aux Romains : « si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » (6,8). Et comment ne pas dire que ces femmes sont passées par la mort avec le Christ, elles qui l’ont suivi sur les routes, elles qui étaient au pied de la croix, qui ont vu sa mise au tombeau et qui, « Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore » (1) voulaient encore être avec lui ? Car voilà, nous le disions, parler de résurrection, ce n’est pas d’abord envisager la vie après la mort, mais bien la vie de maintenant, une vie habitée, transfigurée par la parole qui met en route. Oui, elles se rappellent « les paroles qu’il avait dites » (8) et, contrairement à l’évangile de Marc, elles ne sont pas envoyées en Galilée pour le rencontrer. C’est ici et maintenant qu’elles découvrent que ce qui a été vécu avait été annoncé. Le Vivant est présent dans sa parole, une parole qui parle encore aujourd’hui. Et c’est en quelque sorte ce que nous avons vécu dans la deuxième partie de cette célébration avec toutes ces lectures, ces psaumes, cet évangile. Nous avons été baignés, baptisés dans l’Ecriture. Et tous ces récits nous ont invités à croire en la résurrection, c’est-à-dire à faire confiance à ce Dieu qui n’abandonne pas son peuple, qui le relève, qui lui donne un présent en lui ouvrant un avenir.
Croyons-nous en un tel Dieu, lui faisons-nous confiance au milieu de la grave actualité de notre monde et parfois de nos vies ? Ces femmes, elles, ont fait confiance quand, « désemparées » (4) nous dit saint Luc, elles se sont laissées saisir par une parole ; elles se sont laissées saisir là où elles auraient voulu saisir, posséder, s’assurer.
Alors, cette nuit, ce matin, peut-être ne sommes-nous pas les femmes, mais Pierre qui court au tombeau, voit les linges et s’en retourne « chez lui, tout étonné de ce qui [est] arrivé » (12). Pierre, comme les autres apôtres qui trouvaient les propos des femmes « délirants » (11), ne croit pas encore, mais il est à son tour ébranlé, ne sachant que penser. Il retourne chez lui, en lui-même, là où la parole peut continuer de le travailler, là où il saura s’ouvrir au mystère. Et nous aussi, nous devons comprendre que nous sommes devant un mystère – la Résurrection – mais un mystère qui nous est donné, révélé, et qu’il nous faut nous laisser habiter par lui afin de pouvoir l’accueillir, s’en nourrir et en vivre.
Que cette célébration, et que tout ce temps pascal qui s’ouvre devant nous, nous donne d’être disponibles, à l’écoute de ce mystère, à l’écoute de la parole du Ressuscité, afin qu’il transforme notre vie et donne ainsi vie et paix à notre monde.