31e dimanche ordinaire C
(Lc 19,1-10)
Frères et sœurs, Luc nous raconte ici comment la rencontre de Jésus peut bouleverser et transformer une vie. Et il le raconte à chacun d’entre nous pour que nous aussi nous désirions faire et refaire cette rencontre.
Zachée n’est pas un exemple de vertu ni de piété. C’est un homme riche, certes, mais isolé, peu ou pas fréquentable ; un matérialiste, dirons-nous, comme nous y invite notre société de consommation. Quand Jésus traverse Jéricho, Zachée fait tout pour le voir, jusqu’à « grimp(er) sur un sycomore » (4). Le fait-il pour faire comme les autres, pouvoir dire qu’il a vu l’homme à la mode, ou y a-t-il en lui un désir plus profond, une intuition qui lui suggère qu’il y a ici, aujourd’hui, un message pour lui, quelque chose à recevoir ? Eh bien, en effet, ce n’est pas quelque chose, mais quelqu’un que Zachée va accueillir. « Jésus leva les yeux et lui dit : ‘Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison’ » (5). Celui qui voulait voir est soudain mis en pleine lumière, et non pas pour faire briller des paillettes, faire miroiter une gloire, une vie, qui ne serait pas la sienne, mais pour justement aller au cœur de sa maison, au centre de sa vie, et même de ses ténèbres et y introduire la lumière. Jésus apporte à chacun d’entre nous la lumière sur et dans nos vies ; cette lumière qui se fraie un chemin quelles qu’en soient les ténèbres. Et Zachée ne s’y trompe pas. « Vite, il descendit et reçut Jésus avec joie » (6). Cet homme, que tout et tous condamnaient, reconnaît en un éclair le don qui soudain lui est fait. Sa vie s’ouvre ; une perspective inconnue, oubliée. Et tout cela par une présence, un regard, une parole. Et la réponse de Zachée est limpide : c’est d’abord celle de la joie ! Là où le jeune homme riche, qui accomplissait tous les commandements, s’en va tout triste, Zachée, le publicain, entre dans la joie parce qu’il s’ouvre à la relation qui lui est offerte gratuitement, malgré tout, par Jésus. Et, en conséquence, il entre dans la relation avec les autres, cette relation que l’argent non seulement ne pouvait lui offrir, mais venait même empêcher : « je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus » (8). Zachée, l’homme que tous condamnaient, découvre sur lui un autre jugement, celui de Dieu, un jugement qui le sauve et le remet en relation avec tous. Jésus donne ainsi à Zachée une nouvelle raison d’être, un sens à sa vie, le salut.
Mais cette histoire de Zachée n’est finalement pas la sienne, mais celle de Jésus. Ce Jésus qui prend soudain sur lui, de par cette même foule qui l’admirait, l’opprobre et la condamnation : « Voyant cela, tous récriminaient : ‘Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur’ » (7). Ce ne sont plus seulement les pharisiens qui condamnent cette attitude de miséricorde, mais bien la foule entière. Ce ne sont plus des publicains qui le convient dans leur demeure, mais Jésus lui-même qui s’y invite. Ce n’est plus un père qui accueille son fils prodigue, mais Jésus qui rejoint ce pécheur inconnu qu’il aurait pu ignorer. Et Jésus nous le dit, il nous dit qui il est : « le Fils de l’homme […] venu chercher et sauver ce qui était perdu » (10).
Bonne nouvelle, donc, joie pour nous, puisque Jésus veut, de son propre dessein, nous sauver de ce qui nous détourne de lui et des autres. Sommes-nous, nous aussi comme Zachée, capables de nous réjouir que Dieu veut pénétrer dans nos ténèbres, dans ce que nous ne voulons pas voir en nous-mêmes ? Sommes-nous prêts à lui ouvrir la porte là où nous cherchons sans cesse à la fermer aux regards des autres et de nous-mêmes ? N’ayons pas peur de le laisser descendre dans notre cœur, dans nos péchés, dans nos échecs ou nos ratés, car le Christ veut, à partir de là, en faire renaître la paix et la joie.
Surtout, ne laissons pas la foule nous enfermer dans le péché, et ne soyons pas de cette foule pour les autres. Nous l’avons dit, alors que Jésus ouvre un chemin de vie à Zachée, la foule le lui reproche, comme si le péché devait toujours avoir le dernier mot, comme s’il était impardonnable et donc éternel, comme si la violence devait toujours répondre à la violence.
Alors, j’aimerais finir avec quelques mots de Monseigneur Leborgne, prononcés lors des funérailles de Lola, cette fille de 12 ans assassinée le 14 octobre. Ce qui y est dit de la mort, peut être aussi entendu à propos du péché, celui de Zachée comme le nôtre : « C’est la logique de mort que Jésus vient briser. Celle aussi qui voudrait nous étouffer dans la violence de l’abject et de la mort […]. Jésus nous précède […] dans ce qui nous tue nous aussi. Jésus plonge dans la mort, dans ce qui nous broie et nous déchire, pour que nous n’y soyons plus seul, pour que sa présence nous préserve du désespoir et que, dans la grâce de sa résurrection, nous puissions tous ensemble oser l’avenir, et croire aux promesses de la vie. »