Saint Benoît

(Prov 2,1-9 ; Ps 33 ; Col 3,12-17 ; Mt 19,27-29)

2023

Frères et Soeurs, pour méditer ensemble en cette fête de saint Benoît, les textes que nous venons d’entendre peuvent nous donner quelques points de repères pour notre vie, comme si c’était Benoît lui-même qui nous les adressait.

C’est notamment le cas de la première lecture, au Livre des Proverbes, que Benoît cite dès le Prologue de sa Règle. Nous y nous sommes interpellés comme fils : « Mon fils, accueille mes paroles ». Être chrétien, être moine, c’est vivre au quotidien cette filiation, en sachant que pour être, il nous faut d’abord recevoir, accueillir ce que notre père veut nous donner. Notre Père des Cieux, bien sûr, mais aussi, en son nom, notre père saint Benoît, à travers sa Règle. Recevoir et accueillir, mais également nous recevoir et nous accueillir nous-mêmes et les uns les autres, en nous laissant engendrer par un même père. Nous sommes encore en chemin, en naissance, jusque dans nos errements, et nous ne nous vivons plus comme fils, non pas tant quand nous nous égarons que quand nous nous arrêtons, quand nous nous limitons à nous-mêmes. Voilà la mort qui guette tout homme, tout moine, toute communauté : s’arrêter pour ne plus se laisser engendrer, déplacer.

« Mon fils, accueille mes paroles… l’oreille attentive… le cœur incliné », dit encore le Livre des Proverbes. Toute notre vie bénédictine, cistercienne, notre lieu et notre clôture, notre stabilité et en même temps notre chemin, est donc cet espace favorable à l’écoute, ordonné à l’écoute. Nous sommes des écoutants – en tout cas, nous devons l’être. Ecoute de la Parole entendue, dans l’Esprit, à l’église ou durant la lectio, mais aussi dans les rencontres et les évènements. Nous sommes ou devons être des accueillants de cette parole. En quelque sorte, des portiers et des hôteliers qui lui ouvrent la porte, lui préparent une chambre, un repas, un lieu où elle peut se dire, où elle peut s’accomplir. Notre plus grand travail consiste à se laisser travailler par cette parole ; à lui libérer de la place, du silence, de l’écoute, en nous et entre nous. Nous avons la grâce, dans cette suite du Christ à l’école de saint Benoît, d’avoir un mode de vie ordonné autour de cette écoute ; de pouvoir, chaque jour, se laisser interpeler par la Parole qui élargit l’espace, qui ouvre la vie, qui fait avancer et rencontrer, qui fait de nous des fils et des frères. La mort qui guette tout homme, tout moine, toute communauté, c’est de ne plus vivre de cette écoute.

Autre grâce donnée, c’est la vie commune. Saint Paul, dans la deuxième lecture, nous en dresse un véritable mode d’emploi. Ce qui fonde nos relations communautaires, c’est le fait que nous ayons « été [chacun et tous ensemble] choisis par Dieu », que nous sommes « sanctifiés, aimés par lui » (Col 3,12). Benoît ne cherche pas à rassembler des hommes pour réaliser un projet ou une ambition, encore moins pour faire nombre. Mais il propose une école du service du Seigneur, un mode de vie, pour répondre à un appel, à un amour ; pour le concrétiser et l’approfondir personnellement et communautairement ; pour permettre, non pas à nous, mais à Dieu, de réaliser son œuvre d’amour gratuit.

Nous pouvons ainsi reprendre tout simplement les mots adressés aux Colossiens il y a 2000 ans comme chemin pour nous aujourd’hui : « revêtez-vous [revêtons-nous] de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. Support(ons-nous) les uns les autres, et pardonn(ons-nous) […]. Par-dessus tout […], ay(ons) l’amour, qui est le lien le plus parfait […] (n)ous qui form(ons) un seul corps. » (3, 12-15). Toutes ces paroles ne décrivent pas une société idéale, une communauté sans heurts. S’il faut de la patience, s’il faut se pardonner ou encore se supporter, comme le dit Paul, c’est qu’il y a encore, toujours, des difficultés, des offenses, des blessures. Mais ce constat est à l’image de ce que vit notre monde. Benoît, à la suite du Christ, ne nous promet pas une vie éthérée, protégée, mais un chemin à la fois personnel et communautaire où, souvent, nous tombons ou faisons tomber, nous bousculons ou sommes bousculés. Mais parce que ce chemin est vécu à la suite du Christ, parce qu’il est vécu entre frères, parce qu’il est chemin de conversion, de retour à Dieu, nous dit Benoît, ce chemin est notre témoignage vécu, pour le monde qui a besoin d’une parole, d’une réponse de foi, d’espérance et de charité. La mort qui guette tout homme, tout moine, toute communauté, c’est de ne plus vouloir, ne plus renouveler, ce chemin de fraternité.

Chers frères, si ce chemin a commencé, comme nous l’entendions dans l’évangile, par le fait de « tout quitt(er) pour suivre » (Mt 19,27) le Christ, il est clair qu’il nous faut sans cesse quitter pour continuer à le suivre. Qu’en cette fête de saint Benoît, qu’en cette eucharistie, nous puissions recevoir la grâce de quitter ce qui nous retient encore, ce qui nous empêche de suivre le Christ et de marcher avec nos frères. C’est là la vie, « la vie éternelle » (29), pour tout homme, tout moine, toute communauté.