4e dimanche ordinaire B
(Mc 1,21-28)
Janvier 2024
« Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? » (24). Ce sont les mots de l’esprit impur dont nous parle saint Marc. Littéralement : « Quoi entre toi et moi ? » ou, autre traduction, « de quoi te mêles-tu ? ». Cette question, nous pourrions nous la poser. Qu’y a-t-il entre Jésus et moi ? Entre Jésus et nous, comme communauté monastique, comme communauté chrétienne ? Quelle est sa réelle place dans nos vies ? Dans quelle mesure est-il partenaire de notre quotidien ? Sa source et son but ? Finalement, qui est-il, ce Jésus ; qui est-il vraiment dans nos vies ?
L’esprit impur sait qui est Jésus : « Je sais qui tu es, lui dit-il : tu es le Saint de Dieu » (24). Il sait, en effet, mais pour le rejeter, comme si chacun - le mal et le bien - pouvait avoir son espace réservé comme deux droites parallèles qui jamais ne se rencontreront.
Les scribes, eux aussi, savent, mais comme des savants. Ils n’enseignent pas « en homme(s) qui (ont) autorité », c’est-à-dire que l’Ecriture qu’ils interprètent - comme j’essaie d’ailleurs de le faire - ne pénètre pas leur vie, n’a pas de conséquence, de consistance véritable dans leur vie.
Alors, quand les gens de la synagogue entendent Jésus, ils sont « frappés(s) par son enseignement » (22). Jésus, sa parole, est pour eux un choc, pour reprendre le titre d’un livre. Jésus est un choc, une déflagration dans notre vie, une révélation, en tout cas il devrait l’être si c’est vraiment lui que nous avons rencontré et si c’est vraiment lui que nous rencontrons encore aujourd’hui dans notre quotidien. Un choc, parce qu’il étonne – toujours nouveau, toujours surprenant ; un choc, parce qu’il change tout, parce qu’il nous met et remet en route ; un choc, parce qu’il dépasse tout, lui « qui peut réaliser, par la puissance qu’il met à l’œuvre en nous, infiniment plus que nous ne pouvons demander ou même concevoir », comme le dit saint Paul aux Ephésiens (3,20).
Et si Jésus fait taire l’esprit impur, ce n’est pas tant pour préserver le secret messianique si cher à saint Marc, que pour nous inviter, non à savoir qui il est, mais à l’expérimenter. Découvrir Jésus, le connaître, c’est consentir à lui donner une place dans le concret de notre vie, à expérimenter sa présence et son action. Dieu est une expérience. Non pas une expérience scientifique, mais ‘un vivre avec’.
Et ces personnes dans la synagogue vont expérimenter par deux fois la présence de Jésus. D’abord, nous l’avons dit, par son enseignement, qui les frappe, mais aussi par l’exorcisme qu’il réalise. Et de nouveau, « Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux : ‘Qu’est-ce que cela veut dire ?’ » (27). Pourtant, ils en sont encore à une question qui porte sur l’évènement, sur le quoi, et il leur faudra du temps, il nous faut du temps, pour passer à une question qui porte sur le sujet, sur le qui.
Mais il nous faudra encore davantage de temps pour que celui qui pose la question – c’est-à-dire nous-mêmes - soit lui aussi profondément un sujet, pour qu’il soit véritablement celui qu’il est appelé à être. Car l’important ici, une nouvelle fois, n’est pas tant la question, ni même la réponse, que celui qui répond. Il y a, nous l’avons dit, celui qui connaît la réponse, mais qui la rejette loin de sa vie. Il y a celui qui sait, mais qui sait uniquement dans sa tête, ou encore qui rêve, qui n’incarne pas ce qu’il sait. Et puis, il y a celui qui rencontre et découvre, qui sait en expérimentant, et qui voit sa vie transformée. Celui-là, à son tour, transforme la vie des autres « en homme, [en femme] qui a autorité ». Et il peut ainsi devenir un témoin, propager cette « renommée [qui, nous dit saint Marc,] se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée. Il le peut non d’abord en disant ce qu’il sait ou ce qu’il faudrait savoir, mais en laissant percevoir quelque chose de ce qu’il vit et - parce qu’il nous faut passer du quoi au qui - en laissant percevoir de qui il vit, avec qui il vit. C’est sa propre expérience, sa propre vie qui pourra inviter à faire aussi cette expérience, cette rencontre avec Jésus de Nazareth. Et il sera donné, peut-être, de découvrir ce qu’il y a entre lui – Jésus - et moi.
Et entre lui et moi, il y a d’abord un espace à entretenir, à soigner, non pour tenir Jésus à distance, mais bien pour rendre la rencontre possible ; pour que, au quotidien, elle puisse se vivre et s’enrichir. Cet espace, c’est encore celui que Jésus crée en faisant taire l’esprit impur, en ne nous donnant pas une réponse toute faite qui prendrait toute la place, mais une réponse que nous aurons peu à peu à découvrir en cheminant avec lui, à l’instar des quatre disciples qu’il a appelés quelques versets plus haut, et qui sont là, avec lui, spectateurs silencieux, mais qui font l’expérience de Dieu.
Le Jésus de saint Marc nous invite à prendre notre temps, celui qui permet d’écouter et de regarder, qui donne de faire attention à ce qui arrive, à ce qui se dit, à Celui qui se dit dans nos vies.