Rameaux

(Mc 11, 1-10 ; 14, 1 – 15, 47)

                                                                                                                         Mars 2024

Frères et sœurs, après l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, nous avons vu comment il en a été expulsé, là encore dans un cortège, mais cette fois dans celui d’un condamné à mort. Nous avons entendu le complot et la trahison ; la frayeur et l’angoisse ; l’abandon et le reniement ; les faux témoignages ; les crachats, les gifles et les coups ; les moqueries, les injures et les insultes ; la condamnation et la croix ; l’obscurité et la déréliction ; la mort et le tombeau. Si je me livre à une si longue énumération, c’est pour deux raisons. D’abord, ces souffrances, et bien d’autres encore, relatent la Passion de Jésus, et cette passion nous touche, nous afflige. C’est la passion de l’envoyé de Dieu que, rameaux en mains, nous avons adoré, nous et la foule de Jérusalem. Mais, dans nos rêves de grandeur et de vie plus facile, nous n’avions pas réalisé que cette venue de Dieu jusqu’à nous se faisait sur un « petit âne » (11,7). « Celui qui vient au nom du Seigneur » (9) vient simplement, humblement, parce qu’il vient comme un homme, parce qu’il vient à hauteur d’homme et de nos vies. Et celui qui meurt sur la croix, si « vraiment, [il est] Fils de Dieu » (15,39), comme le dit le centurion de l’évangile, il est aussi vraiment homme : un homme parmi les autres, un homme qui incarne, symbolise, signifie tous les hommes et toutes les femmes. En conséquence, et c’est la deuxième raison, ces souffrances que je viens d’énumérer, ne sont donc pas seulement celles de Jésus il y a 2000 ans, mais celles du Christ crucifié dans notre humanité ; celles de l’amour et de la vie de Dieu rejetés de notre humanité ; celles de tant d’hommes et de femmes, d’hier et d’aujourd’hui, d’ici ou d’ailleurs, de nos villes ou nos villages, à Gaza ou au Congo, trahis, abandonnés, moqués, torturés, mis à mort.

Quand le Christ se donne à son Père et à nous jusqu’au bout, jusque sur la croix, c’est bien pour dire et redire ce que souffre notre monde, le voisin ou l’étranger. Et au cœur de cette souffrance, au plus profond de ce cri, le Christ vient dire l’amour de Dieu, sa présence, et ouvrir ainsi un chemin à celles et ceux qui souffrent, à nous, à nous et à eux réunis.

En première lecture, nous avons entendu le livre d’Isaïe et ce qu’on appelle le troisième chant du serviteur, ces paroles de cet homme qui se laisse entraîner dans la mort qu’on lui inflige, sans répondre par la violence, mais en mettant toute sa confiance, toute sa force en Dieu. Les premiers chrétiens ont reconnu Jésus en sa Passion dans cette figure. Vendredi, pour la célébration de la mort du Seigneur, nous réentendrons le récit de la Passion, mais cette fois dans sa version johannique. Et là encore, en première lecture, nous écouterons le quatrième chant du serviteur, avec toujours la même souffrance, mais également toujours la même réponse de non-violence et de confiance. Ce qui peut nous interpeller dans ce récit, et nous éclairer sur ce que nous célébrons aujourd’hui et durant cette Semaine Sainte, c’est que ce quatrième chant du serviteur ne s’attarde pas uniquement sur cet homme martyrisé, mais aussi sur un « nous ». Je cite : « nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé […] : par ses blessures, nous sommes guéris » (53,3-5).

Dieu vient dire et assumer la souffrance du monde, et nous ouvrir un chemin de vie et d’espérance. Mais donc, en conséquence, Dieu vient se révéler dans ceux qui souffrent. Il nous interpelle à travers eux, et paradoxalement, il vient nous guérir, nous sauver, par eux et avec eux. Comme nous sommes invités à nous tourner vers la croix, nous sommes convoqués à nous tourner vers nos frères et sœurs qui souffrent. Nous laisser travailler, transformer, par ce qu’ils ont à nous dire : nous dire de la souffrance, mais aussi nous dire de l’espérance et de la vie. Celles et ceux que nous évitons parfois, souvent, celles et ceux que nous méprisons peut-être, qui ne comptent pas, comme le dit le prophète Isaïe, sont pour nous un appel du Seigneur à sortir de nous-mêmes, de notre petit bonheur, pour déployer en nous et autour de nous, ensemble, ce que Dieu veut susciter. C’est autour de la figure d’un crucifié, d’un exclu, au pied de la croix, que Dieu a voulu rassembler les hommes. Et c’est encore à partir des exclus d’aujourd’hui, à partir des cris et des silences de notre monde, que Dieu veut nous convoquer et nous rassembler. Alors, en cette Eucharistie et en cette Semaine Sainte, demandons la grâce de nous laisser toucher et déplacer, convertir et envoyer par le Crucifié.