6e dimanche ordinaire B

(Jn 15, 9-17)

Mai 2024 

« Aimez-vous les uns les autres » (12). Frères et sœurs, ces quelques mots sont parmi les plus connus que le Christ ait prononcés. Et, sur le papier, ils désignent ce que doivent vivre les chrétiens que nous sommes. Je dis sur le papier, car bien sûr, nous savons que ce n’est pas si simple, et ce n’est pas, loin s’en faut, l’exemple que nous montrons toujours.

Si nous voulons aimer, il nous faudra certes de la volonté, de la patience, du courage, mais ce n’est pas ainsi que nous y parviendrons réellement. Le Christ nous dit bien de nous aimer « les uns les autres », mais il ajoute, « comme je vous ai aimés » (12). Il dit aussi qu’il nous a aimés « comme le Père [l’] a aimé » (9). C’est donc en nous inscrivant dans le mouvement de cet amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père que nous apprendrons à aimer. Et je dis bien apprendre car je crois, par expérience, qu’il s’agit moins de vouloir aimer que d’apprendre à aimer. C’est-à-dire qu’il nous faut nous ouvrir à quelque chose, quelqu’un, un mouvement, qui nous vient d’ailleurs. Accueillir, au cœur d’une vie qui pourrait être trop centrée sur elle-même, cette vie, cet amour, qui nous vient d’un autre. Et saint Jean le disait dans la deuxième lecture : « l’amour vient de Dieu ». Et il ajoutait : « Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés » (1 Jn 4, 10).

Alors je cite abondamment les lectures que nous venons d’entendre, mais tout y est dit ! Que faudrait-il ajouter ? Nous sommes invités à nous tourner vers Dieu, à vivre une relation personnelle avec le Christ pour reconnaître cet amour qui vient de Dieu, pour l’accueillir, le laisser œuvrer en nous. Si nous voulons aimer, et ainsi si nous voulons vivre, le Christ est notre seul chemin, chemin quotidien, chemin parcouru avec lui, derrière lui. Si nous voulons aimer, il s’agit d’abord de nous laisser aimer. C’est simple, peut-être simpliste, voire même scandaleux quand tant d’hommes et de femmes crient vers le Ciel pour que leur souffrance soit atténuée. Des cris apparemment trop souvent sans réponse, mais qui augmente, je crois, notre responsabilité quand la vie semble nous épargner. Quand l’autre ne peut plus croire à cet amour, c’est à nous d’y croire pour lui, c’est à nous d’accueillir cet amour.

Dieu nous aime en son Fils, et Dieu nous donne d’aimer en son Fils, par son Fils qu’il nous a envoyé, nous dit encore saint Jean, « en sacrifice de pardon pour nos péchés » (10). C’est-à-dire, il nous a aimés en nous pardonnant, en nous sauvant du péché, en nous disant et en nous montrant que, malgré notre péché, nous sommes aimés et sauvés. Un amour inconditionnel pour celui qui, sans cesse, malgré tout, revient toujours à son Seigneur.

Et cet amour, cette miséricorde, nous sommes, à notre tour, envoyés pour en témoigner. « Donner sa vie pour ceux qu’on aime » (13), comme Jésus l’a fait pour nous ; aller, vivre, rencontrer, pour porter du fruit, un fruit qui demeure. Nous pouvons aimer, et parfois prendre le risque d’aimer, parce que, nous l’avons dit, cet amour est fondé sur cet amour du Christ, amour que les Evangiles ne cessent de nous relater dans toute sa nouveauté, dans toute son audace, dans toute son évidence. Et aimer, non pas parce que les autres seraient aimables, mais parce que, comme nous, ils sont aimés.

Madeleine Delbrel a écrit que l’amour de « chaque homme », l’amour de Dieu dans chaque homme « sans préférence, sans catégories, sans exception », est signe que nous aimons réellement Dieu. Mais elle ajoute qu’existe le danger que nous ne puissions pas « vivre ce commandement de l’amour ». Alors elle nous dit que « nous ne le pourrons pas si […] nous ne prions pas […]. C’est dans la prière et dans la prière seulement, que le Christ se révélera à nous dans chacun […]. C’est dans la prière que nous pourrons demander que nous nous donnions à chacun, don sans lequel il n’y a pas d’amour. C’est par la prière que notre espérance grandira à la taille ou au nombre de ceux que nous rencontrerons, ou à la profondeur de leurs besoins. C’est la foi et c’est l’espérance, dilatées par la prière, qui débarrasseront le chemin de notre amour de son obstacle le plus encombrant : le souci de nous-mêmes. »

Enfin, écrit-elle, il existe un autre danger qui serait « d’aimer non "comme Jésus nous a aimés", mais à la mode humaine. » Alors elle nous rappelle que ce n’est pas notre amour que nous avons à donner : c’est l’amour de Dieu. L’amour de Dieu qui est une personne divine, [qui] est un don de Dieu à nous, mais cela reste un don qui doit, pour ainsi dire, nous traverser, nous transpercer pour aller ailleurs, pour aller dans les autres. C’est un don qui réclame la toute-puissance, et que nous ne croyions pas à la puissance d’une autre chose. Un don qui ne peut être gardé pour nous sous peine d’être éteint, de cesser d’être un don. » Alors en cette eucharistie, comme dans toute notre vie, désirons, demandons et accueillons ce don.