Pentecôte

(Jn 15, 26-27 ; 16,12-15)

Mai 2024

Frères et sœurs, je ne vous demanderais pas un gros effort d’imagination si je vous propose de penser à un poisson rouge dans un petit aquarium rond. Et si vous suivez le mouvement de ce poisson imaginaire, vous voyez qu’il tourne en rond. Il paraît même que si vous mettez ce poisson dans un plan d’eau plus vaste, il continue de tourner en rond, jusqu’au moment où un courant l’entraîne et lui donne de sortir de ce cercle infernale, de ce cercle confortable.

Cette image, je l’emprunte au Frère Christian de Chergé, et s’il nous parlait ainsi de poisson dans un bocal, c’était pour faire une comparaison avec l’Eglise. L’Eglise, et nous dans l’Eglise, nous tournons ou tournerons en rond si un courant, un souffle, l’Esprit ne nous entraîne pas vers des rivages inconnus. L’Esprit, le don de l’Esprit, que nous célébrons aujourd’hui, élargit notre horizon et déploie notre vie. Il nous donne de porter un regard nouveau sur ce que nous nous habituons trop facilement à prendre pour la réalité. Et sans cesse, ce mouvement est à reprendre, à recommencer, pour découvrir le pas que nous avons à poser aujourd’hui, le pas conforme à Dieu et qui nous mène à lui. L’Esprit est donc Celui qui éclaire notre réalité et qui en fait une continuelle nouveauté.

Cet Esprit donc, comme pour le poisson, est mouvement, mise en mouvement. Un mouvement intérieur qui nous met en route à la suite du Christ et qui nous attire ainsi vers le Père. Mais ce mouvement est aussi extérieur, dans le sens où il nous tourne vers les autres. Ainsi, si l’Esprit pousse des missionnaires aux quatre coins du monde, ce n’est pas d’abord par une force extérieure à eux, mais bien par ce mouvement, cet engouement en eux. Un feu intérieur, un amour qui les consume, les aiguillonne, les rend contagieux. La Pentecôte, le don de l’Esprit, c’est certes cette rencontre entre l’homme et Dieu, cette écoute et cet accueil de Dieu dans nos vies rendu possible au-delà de tous les obstacles que notre quotidien peut lui opposer. Mais ce don de l’Esprit, c’est aussi cette rencontre possible entre nous. C’est l’Esprit qui fait Eglise, communauté. C’est l’Esprit qui permet une écoute et un accueil au-delà de toutes nos différences, au-delà de toutes nos réticences. L’Esprit ouvre une brèche dans nos armures et nos sécurités, nos peurs et nos antipathies. Il est cette écoute et cette rencontre de Dieu en l’autre. « Rejoindre, comme le dit encore Christian de Chergé, la ‘petite flamme’ déposée en chacun », cette flamme, « langues qu’on aurait dites de feu » qui, dans la première lecture, « se partageaient [et se posaient] sur chacun » des apôtres (Ac 2,3). Un Esprit qui nous ouvre les uns aux autres et qui, dans le même temps, nous donne de l’entendre davantage parce que nous sommes ensemble, parce que nous nous écoutons, nous rencontrons les uns les autres, parce que la vérité n’est ni en moi, ni en vous, mais au milieu de nous. « Rejoindre la ‘petite flamme’ déposée en chacun », découvrir que Dieu lui parle, à lui aussi, et qu’il me parle à travers lui. Oui, « Parthes, Mèdes et Élamites, […] tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu » (Ac 2,9.11) ; tous, chaque personne rencontrée, peut être entendue dans ma langue, dans ma vie, mon histoire, pour me révéler les « merveilles de Dieu ».

Frère Christian a encore écrit que « l’Esprit Saint est le ‘martyr’ par excellence », c’est-à-dire, selon l’étymologie grecque, le témoin. Et s’il est témoin et martyr, c’est parce qu’il est don. Don du Père pour le Fils et du Fils pour le Père ; don total de soi qui ne retient rien de soi. C’est en quelque sorte une définition de la vie à laquelle Dieu nous appelle, vie qu’il veut pour nous en nous donnant son Esprit. Vivre, c’est, ou ce serait, se donner totalement, sans rien se retenir. C’est cette vie en Dieu Trinité – la Trinité que nous fêterons dimanche prochain –, cette vie-même de Dieu qui nous est donnée, communiquée, partagée. Ce qui fait dire à Frère Christian « qu’en tout homme le Christ se cherche et s’accomplit ». En tout homme, par amour du Père, le Christ veut s’incarner, et il veut, en retour, en cet homme, se donner totalement au Père. Et il nous prend avec lui dans ce mouvement d’amour. Et cela, c’est l’Esprit qui le reçoit et nous le communique sans rien se garder pour lui. Il est ce souffle qui passe de l’un à l’autre ; la force d’un souffle, et en même temps, la pauvreté d’un simple souffle.

Frères et sœurs, nous sommes invités, comme le dit saint Paul dans la deuxième lecture, à « march(er) sous la conduite de l’Esprit » (Ga 5,25). Pour savoir si c’est ainsi que nous marchons, Paul nous donne deux listes d’attitudes qui peuvent nous aider à discerner là où nous pouvons encore progresser, là où nous devons laisser l’Esprit de Dieu entrer en nous et nous mettre en mouvement, nous sortir de notre bocal. N’ayons pas peur de regarder en face ce qui nous ferme à l’Esprit, ce qui ferme le chemin de la vie pour nous et autour de nous.