Saint Bernard 2024

(Sg 7, 7-10.15-16 ; Ps 62.2.3-4.5-6.8-9a ; Phil 3 ,17-4,1 ; Jn 17,20-26)

Frères et sœurs, pour l’homélie de l’année dernière, j’avais repris les deux premiers sermons de saint Bernard sur le Cantique des cantiques. Cette fois, je vous propose de nous appuyer sur le troisième sermon.

« Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche ». Voilà le désir de l’épouse ; voilà le désir de nos Pères Cisterciens ; voici, oui ou non, oui et non, notre désir. A la fin du deuxième sermon, saint Bernard écrivait que ce « saint baiser a été bien utilement accordé au monde […] pour satisfaire le désir des parfaits. » Mais il en donnait une seconde raison, et qui est en fait la première, celle qui certainement nous concerne davantage : « ce baiser a été […] accordé […] pour fortifier la foi des faibles », pour fortifier notre foi à nous tous ici rassemblés.

Mais pour parvenir à ce baiser, pour le recevoir, Bernard nous invite à faire tout un chemin qui va des pieds à la bouche en passant par les mains. Nous ne devons pas, dit-il, avoir « la témérité de [nous] élever jusqu’à la bouche », mais nous tenir craintifs avec lui, Bernard, aux pieds du Seigneur, à l’image du publicain tournant son regard vers la terre et se reconnaissant bien petit. Pourtant, cette place du pécheur, Bernard nous invite à ne pas la considérer « comme vile ou méprisable », indigne de nous, car elle est encore celle de « la sainte pécheresse se débarrassa(nt) des péchés et revêtant la sainteté ». Elle est notre point de départ, notre lieu de rencontre. C’est de cette place que nous pourrons dire, pour reprendre les paroles du Cantique, parole allégorique bien sûr : « Je suis noire, et pourtant belle ». Et cette transformation, cette conversion, nous dit Bernard, elle l’a obtenue en « pleur(ant) amèrement », en « poussant de longs soupirs du fond de ses entrailles, secouée en elle-même par des sanglots salutaires, […] vomi(ssant) son fiel. C’est alors que, dans sa miséricorde, le médecin céleste s’est précipité à son aide ».

En entendant ces mots, je me demande où sont mes sanglots, où sont nos pleurs ? Que faisons-nous de cette souffrance d’être encore si loin de Dieu ? Enfouissons-nous cette blessure sous un tas de distractions, d’occupations ? La ressentons-nous encore ou nous sommes-nous habitués, voire satisfaits dans un modus vivendi ? Oui, frères, Bernard nous invite, nous interpelle, pour que nous revenions sans cesse – et je dirais sans cesse à nos lèvres – à ce désir de Dieu, à sa quête, à sa vie.

Et il poursuit son sermon en nous disant que ce secours du médecin à celui qui se reconnaît malade lui est donné par sa parole. La parole « un breuvage fort et énergique, dit-il, […] ‘qui sonde les cœurs et les reins’ ». Parole de vie qui nous donnera d’entendre nous aussi : « Tes péchés te sont remis ».

De ce lieu d’humilité où l’on baise les pieds de celui qui a lavé ceux de ses disciples, Bernard nous invite au deuxième baiser : celui des mains. Car si Jésus a remis nos péchés, c’est bien pour que nous cessions de pécher. Par ce baiser, après avoir reçu de lui « la volonté du repentir », il s’agit d’obtenir la force. Et à cette fin, nous avons besoin que le Christ ne retire pas de nous sa main, cette main qui nous relève, qui nous protège ; cette main, ce Christ « sans qui [nous ne pouvons] rien faire ». Il nous faut recevoir de lui qu’il nous fasse « produire des fruits dignes de [notre] repentir » et qu’il nous « empêche de ‘retourner encore, comme le dit l’Ecriture, à [notre] vomissement’ ».

En évoquant ces deux baisers, Bernard nous invite – réaliste – à ne pas vouloir « atteindre le sommet tout d’un coup », mais à « progresser peu à peu » ; « ne pas cherche(r) ce qui [nous] dépasse », mais entreprendre, à la suite du Christ, un chemin humble et patient de purification, pour recevoir ainsi « l’espoir d’oser davantage », sans perdre de vue que tout cela nous est donné.

Forts de ce chemin et de la « double expérience de la complaisance divine », nous pourrons prétendre au troisième baiser, celui de la bouche. « Car, nous dit Bernard, à mesure que tu grandis dans la grâce, tu sens aussi ton cœur se dilater dans la confiance. De là, poursuit-il, vient que tu aimes avec plus d’ardeur et que tu frappes avec plus d’assurance pour obtenir ce qui te manque ». Il s’agit de « lever la tête vers la bouche glorieuse […], non pas simplement pour la contempler, mais […] pour y poser un baiser », c’est-à-dire ne faire « ‘qu’un seul esprit avec lui’, grâce à sa complaisance. »

Alors, frères et sœurs, nous pourrons dire et vivre avec saint Bernard cette parole qui doit être au cœur de notre vie et de chacune de nos journées, de nos prières et de nos rencontres : « Je chercherai ta face, Seigneur ». C’est ce que nous sommes venus vivre ici au monastère, c’est ce que nous sommes appelés à vivre ensemble au quotidien : la quête du Seigneur, de sa face, de son baiser.

Que cette eucharistie imprime en nous encore davantage ce désir de Dieu, qu’elle nous en donne la force et la volonté, pour enfin, sans cesse, parvenir à ce baiser.