23e dimanche Ordinaire B
(Mc 7, 31-37)
Septembre 2024
Frères et sœurs, en entendant ce récit de miracle, je pense à tous les prédicateurs de ce matin, mais encore à chaque chrétien appelé, envoyé pour témoigner, me disant que chacun est un peu, beaucoup, cet homme qui n’entend pas, « un sourd », et qui en conséquence a « de la difficulté à parler », comme nous le dit saint Marc. Pour parler, en tout cas parler correctement, pour pouvoir témoigner, avoir quelque chose à dire qui touche l’autre, il faut entendre, il faut savoir écouter. Alors, essayons ensemble, peut-être…
D’abord nous sommes, avec cet évangile, en territoire païen. Les disciples ne sont pas mentionnés, et sont même peut-être absents. Un commentateur écrit que « les disciples ont glissé du côté des pharisiens, déjà disqualifiés, tandis que la Décapole, Tyr et Sidon reçoivent le rayonnement de la Parole de Dieu, avec l’oreille pour entendre ». Si la Parole est toujours nouvelle, et même Bonne Nouvelle, Evangile, c’est bien parce qu’elle vient sans cesse, à nouveaux frais, interpeller, guérir, sauver, convertir, ce qui, en nous, ne l’était pas. Pour rester disciple, c’est-à-dire pour poursuivre notre marche à la suite du Christ, où qu’il aille, il faut ne jamais nous croire arrivés – tels des pharisiens – mais nous reconnaître, comme nous l’avons fait au début de cette eucharistie, de pauvres pécheurs, et ici, avec Marc, disons-le, des païens, des hommes et des femmes qui peinent à reconnaître et entendre, écouter, la présence de Dieu dans leur vie.
De cet évangile, nous pouvons aussi peut-être souligner, comme nous l’avons fait plus haut, le lien entre l’écoute et la parole. Parce que finalement, c’est davantage la capacité à parler qui est mise au centre de ce texte. Certes, il faut que cet homme s’ouvre à ce qui lui est dit, mais Marc insiste sur le fait qu’il puisse le dire à son tour. Jésus fait de nous de véritables sujets, non pas pour tourner autour de notre égo, mais bien pour nous ouvrir à ce qui est donné, à lui, aux autres. Et cette attention nous la retrouvons dans la façon avec laquelle il se s’occupe de cet homme. Il l’emmène à l’écart, nous dit saint Marc, comme pour lui donner toute son importance, toute sa dignité, se consacrant tout entier à lui seul. Et par ses gestes, sa salive, son gémissement, il s’engage corporellement, intimement, avec lui, pour lui. Si cet usage de la salive peut nous surprendre, il correspond à ce que faisaient les guérisseurs de ce temps, mais surtout il dit quelque chose d’une communication de l’un à l’autre, d’une transmission : Jésus se communique à lui, à nous. Il nous faut entendre cette proximité envers chacun, ce don de lui-même, son souci, son soin en notre faveur.
Et cette présence de Jésus près de nous commence, dans cet évangile, par le fait, comme nous l’avons dit, d’emmener cet homme à l’écart, créant ainsi un espace personnel entre eux, un lieu de protection, de confiance, où celui qui a tant de mal à parler va pouvoir peut-être enfin se dire.
Il nous faut entendre aussi dans ce texte, comme un appel, le fait que Jésus se tourne vers son Père : il lève les yeux au ciel. Et il prononce ce mot, en hébreu, puis traduit comme pour le mettre en relief : « Effata !… Ouvre-toi ». Un seul mot qui rejoint les profondeurs de l’homme et qui, peut-être, dans le même mouvement, s’adresse au ciel : « Ah ! si tu déchirais les cieux, et si tu descendais », dit, crie, désire le prophète Isaïe (64,1).
Enfin, dans ce regard porté vers le ciel, il nous faut aussi entendre davantage. Jésus montre à son compagnon et à nous-mêmes, comme le suggère Anselm Grün, « ce que signifie vraiment entendre et parler, ce que devrait être une vraie conversation : le ciel s’ouvre au-dessus des partenaires, l’espace se dilate. Quand j’écoute l’autre, poursuit le bénédictin, quand j’entends non seulement ses paroles, mais aussi à travers elles sa personne même, et que je dis ce qu’il y a en moi, alors il se forme entre nous une communauté. Dans l’expérience d’une véritable communauté, conclut-il, quelque chose […] est présent qui dépasse le plan humain, c’est l’irruption dans notre vie d’une transcendance divine ». Si Jésus guérit cet homme, c’est certes parce qu’on le supplie « de poser la main sur lui », nous dit Marc, mais surtout parce que Jésus veut manifester, exprimer le dessein de Dieu. Et ce dessein, c’est que nous entendions, que nous nous écoutions et que nous puissions nous dire : dire ce qui se vit en nous, qui vient de nos profondeurs, mais qui nous est donné d’ailleurs, que nous nous donnons et recevons des uns des autres.
Puissions-nous, en cette eucharistie, recevoir la grâce d’entendre et de dire ce dessein ; le communiquer. Mais pour cela, comme Jésus, il nous faudra vivre cette rencontre de l’autre, façonner un espace de confiance mutuelle, nous apprivoiser, nous ouvrir les uns aux autres pour que le ciel s’ouvre et manifeste sa présence de toujours.