Fête de la Dédicace
(Mt 6,1-6.16-18)
Octobre 2024
Frères et sœurs, pour cette fête de la Dédicace de notre église, j’aimerais m’appuyer sur une des constitutions de notre Ordre, la constitution n°7 sur l’observance régulière. Elle se trouve en tête du chapitre 1er sur la ‘voie cistercienne’, le chemin que nous empruntons ensemble pour suivre le Christ en Eglise, en communauté. Je cite : « La conversatio [ - le mode de vie -] dans l'Ordre Cistercien de la Stricte Observance est une vie consacrée à Dieu, qui trouve son expression dans la communion fraternelle, dans la solitude et le silence, dans la prière et le travail et dans une discipline de vie. Par une secrète fécondité apostolique, elle fait grandir le Corps Mystique du Christ. »
Il s’agit d’ « une vie consacrée à Dieu », à l’image de cette église de pierres et de briques, qui lui est consacrée, dédicacée. Consacrer, nous dit le dictionnaire Le Petit Robert, c’est « rendre sacré en dédiant à Dieu ». Et, si je poursuis avec la définition donnée, nous comprenons que cette sacralisation se fait en « destinant » ce lieu, nos personnes, notre communauté, à Dieu. Notre église, notre Communauté, nos personnes ont une destination, une orientation ; elles ont un chemin et une rencontre, qui est Dieu. D’ailleurs, autre acception du mot consacrer, il s’agit de donner et de se donner.
Et la constitution nous explicite alors comment se consacrer, comment se donner. Si notre but est bien de se consacrer à Dieu, il s’agit d’abord, pour cela, de vivre « dans la communion fraternelle ». Pas simplement de vivre les uns avec les autres, voire les uns à côté des autres, mais bien de vivre dans la recherche et le désir d’une communion, d’une union entre nous ; de vivre réellement avec l’autre, tous les autres. Et si nous avons besoin de la grâce pour cela, il nous faut aussi, de notre côté, nous y engager, y mettre notre volonté et notre vie. Nous sommes tous, chacun à sa place, bâtisseur et responsable de cette vie de communion.
Notre consécration passe donc par cette communion fraternelle, mais aussi, en même temps, pas l’un sans l’autre, par la solitude. Le moine – et tout homme – a besoin d’assumer sa solitude. Pour vivre en communion avec nos frères, il nous faut être capables de vivre la communion avec nous-mêmes ; nous accepter tels que nous sommes. Être en paix avec soi pour pouvoir l’être avec les autres. Et finalement, cette solitude, c’est ensemble que nous devons l’assumer : favoriser, encourager et supporter la solitude de tous et de chacun.
La solitude, dit la constitution, est liée au silence. Un silence aussi précieux que fragile, qui ne nous éloignerait pas les uns des autres, mais qui puiserait à la même source, celle de la Parole du Bien-aimé qui nourrit, qui donne la vie à chacun d’entre nous. Le silence comme écrin nécessaire, essentiel, pour le moine, pour la communauté et pour la communion.
Une consécration qui se vit, bien sûr, dans la prière, une prière surgie de l’écoute de la Parole, donnée par l’Esprit. Et cette prière qui a donc besoin pour se dire, de solitude et de silence, mais aussi de fraternité.
Prière et, dit encore la constitution, travail. Une nécessité anthropologique, existentielle, mais qui exprime aussi notre solidarité entre nous et avec le monde. Un travail qui nous enracine, nous incarne, nous confronte aussi parfois les uns aux autres. Un travail qui dit que Dieu est à l’œuvre dans cette Eglise que nous sommes et dans ce monde qui nous est confié.
Tout cela, dit encore le texte, se vit, se meut, se réalise « dans une discipline de vie ». Nous ne sommes pas, comme le dénonce Benoît, des sarabaïtes « sans pasteur, renfermés dans leur propre bergerie, et non dans celle du Seigneur » (RB 1,8). Nous sommes « éprouvés […] par une règle, maîtresse d’expérience » (6) et « la satisfaction de nos désirs [ne nous] sert [pas] de loi » (9). Ainsi, vivant en Eglise, en communauté, nous ne sommes pas non plus, comme l’écrit encore Benoît, « des gyrovagues […], jamais stables, esclaves de leurs volontés propres » (10.11).
Enfin, dit la constitution, « par une secrète fécondité apostolique, la conversatio [ - notre mode de vie - ] fait grandir le Corps Mystique du Christ. » Au secret de notre vie, de cette communion entre nous, de notre solitude et de notre silence, de notre prière et de notre travail, de cette discipline à laquelle et dans laquelle nous nous engageons, se trame quelque chose en nous et entre nous, mais aussi pour l’Eglise et le monde.
Chers frères, en ce jour où nous fêtons notre dédicace, nous sommes ramenés à ce qui fait le cœur de notre vie. Cette fête n’a de sens que si nous nous attachons à vivre ces éléments que nos constitutions nous rappellent. Et les mettre en œuvre ensemble, les uns avec les autres, les uns pour les autres, est au cœur de notre quotidien. Alors en cette eucharistie, où nous partageons le même pain et la même coupe, accueillons, désirons, la grâce qui fait de nous des moines, qui fait de nous des frères.