Noël 2024
(Messe du jour)
(Lc 2, 1-10)
« Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » (7). Frères et sœurs, en méditant cet évangile de Noël, un évangile de joie et de fête, c’est cette phrase, plutôt sombre, qui m’a particulièrement interpelé, au risque d’en faire la base de cette homélie. Dans le même esprit, nous pourrions ajouter le verset suivant qui dit également une situation d’exclusion, de mise à l’écart : « Dans la même région, écrit saint Luc, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux » (8). Et dans la matinée, à la messe de 11 heure, nous entendrons dans l’évangile de saint Jean une autre phrase qui s’en rapproche : « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu » (1, 11).
Vu sous cet angle, Noël, ce que nous fêtons dans la joie, c’est donc peut-être d’abord cela : une exclusion, une rencontre avortée. Ou plutôt, le cadre de Noël, son contexte, sa raison, c’est celui d’une mise à l’écart, du rejet ou de l’indifférence, de la non-reconnaissance de l’autre. Et en ce sens, nous pourrions dire que c’est tous les jours Noël !
Nous pourrions disserter sur la responsabilité des contemporains de Jésus, sur leur incapacité à le reconnaître, à le rencontrer et à l’accueillir, mais cela, bien sûr, nous renverrait à nous-mêmes. Nous pourrions donc chercher les raisons qui font que, aujourd’hui encore, nous excluons, nous laissons en marge, nous ne nous sentons pas vraiment concernés, solidaires, face à telle ou telle personne, face à telle ou telle situation dramatique que vivent des populations entières. Mais tout cela serait vain, inutile, si nous n’en venions pas à la raison qui peut changer, convertir, retourner nos comportements ; le sens qui bouleverserait et entraînerait notre cœur. Et cette raison, et ce sens, c’est en cette nuit même qu’ils nous sont donnés : c’est une personne, un enfant, Dieu fait homme.
Car si Dieu naît dans ce que la tradition appelle une étable, ce n’est pas d’abord parce qu’il aurait été exclu, victime de nos égoïsmes dont nous aurions à nous repentir. Non, je l’ai dit, aujourd’hui, cette nuit, est une fête. Et si c’est une fête, c’est parce que Dieu n’est pas venu nous dire que nous l’avons relégué dans une mangeoire, mais il est venu dire au secret de chacun que c’est lui qui a voulu y naître pour y rejoindre celles et ceux qui sont exclus. Et là encore, sa proximité avec les plus pauvres n’est pas là pour dénoncer nos vies, malgré tout confortables. Elle est là pour nous dire que c’est là que Dieu nous parle. C’est-à-dire que le Verbe fait Chair, Dieu qui devient homme, se dit d’abord, nous parle d’abord dans ces plus pauvres que nous regardons à peine. Et contempler la crèche, contempler l’enfant qui s’y trouve, c’est côtoyer, rencontrer, écouter celles et ceux qui étaient exclus ; celles et ceux qui, par cet enfant, ont un message pour nous. « Ne craignez pas, dit l’ange aux bergers, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple » (10). Cette bonne nouvelle, qui leur est annoncée en premier, nous avons à l’entendre de celles et ceux qui, jusqu’alors, étaient sans voix ; celles et ceux dont nous n’aurions jamais pensé, à l’instar de cet enfant couché dans une mangeoire, qu’ils puissent nous dire qui est Dieu.
Et la bonne nouvelle qui retentit en cette nuit par la naissance d’un enfant pour qui il n’y avait pas de place, c’est que chacun, chacune, a sa place ; à la fois unique, fragile et nécessaire. Et notre place, ma propre place, ce n’est pas celle que je prends, celle qu’on me laisse, mais c’est celle qu’on me donne et celle que je donne à l’autre. La vie et le monde n’adviendrons vraiment à eux-mêmes ; vous et moi, nous n’adviendrons vraiment à nous-mêmes, nous ne serons pleinement nous-mêmes que le jour où chacun, où tous sans exception auront leur place, le jour où chacun donnera à l’autre sa place.
Et pour naître à ce jour, pour naître à ce souffle de vie, il nous faut donner à Dieu, à l’enfant, sa place dans notre vie. Il nous faut nous laisser rejoindre au plus profond de nous-mêmes par ce Dieu qui ne juge pas. Ce n’est pas dans la salle commune de notre cœur qu’il veut naître, cette salle bien rangée, garnie, décorée. Non, c’est dans notre crèche, ce que nous laissons sur le côté, loin des yeux des autres, croyons-nous ; ce que nous ne voudrions pas montrer. Et pourtant, c’est là que Dieu a quelque chose à nous dire ; c’est là, peut-être seulement là, qu’il peut naître et se donner, à moi, aux autres, à nous.
Frères et sœurs, en cette nuit de Noël, c’est aux petits, à commencer par celui que nous sommes, que Dieu a choisi de se dire. Ce sont les petits, les pauvres, les exclus qu’il a choisis pour nous parler, pour nous donner sa vie, sa joie, son salut. Alors que cette Eucharistie, que ce pain donné et partagé, nous donne de vivre de ce que Dieu veut pour nous et pour le monde.