B 25 MARC 09,30-37 (10)
Scourmont : 22.09.2024
Frères et sœurs, alors que Jésus marche vers la croix, c’est-à-dire le don de sa vie pour le salut de l’humanité, ses disciples rêvent de grandeur et de premières places. Cela nous montre deux logiques qui s’opposent : l’une est animée par le don de soi, le service, l’obéissance au Père ; l’autre recherche le pouvoir, la domination, la gloire. Cela nous interroge sur ce qui nous guide dans nos choix quotidiens : la générosité ou l’ambition.
Saint Jacques, dans l’épître que nous avons lue, dénonce « la jalousie et les rivalités (qui) mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes » (Jc 3,16). Il nous recommande de nous attacher à « la sagesse qui vient d’en haut ». Cette sagesse « est pacifique, bienveillante, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bons fruits, sans hypocrisie » (Jc 3,17). Au contraire, se laisser guider par l’ambition conduit facilement au désordre, au vice et au mensonge. La soif de s’enrichir justifie l’emploi de tous les moyens, y compris la violence et le meurtre. La convoitise qui est à l’origine des guerres entraîne la brutalité, le malheur, la souffrance et la mort. Enfin la vaine souffre facilement la vantardise, la fausseté, le mensonge, etc. Car la vérité, nous ne pouvons la trouver que dans la Sagesse qui vient de Dieu : elle est « droiture, paix, tolérance, compréhension, féconde en bienfaits » (Jc 3,17), nous dit encore saint Jacques. Cette sagesse qui vient de Dieu transforme notre cœur « en cœur doux et humble » (Mt 11,29) et fait de nous des artisans de paix.
L’Évangile de saint Marc que nous avons lu dénonce une tentation qui divise l’Église, et bien des familles ; selon l’expression du pape François, il s’agit de « l’envie mondaine d’avoir le contrôle, la renommée, la gloire, les applaudissements. Tout cela arrive au moment où Jésus parle « de service et d’humiliation ». Il annonce à ses disciples que « le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes » (Mc 9,31). Ils le tueront à cause de nos péchés, et, trois jours après sa mort, il ressuscitera pour notre salut.
En écoutant cet évangile, nous voyons bien que les apôtres n’ont rien compris à la mission du Christ ; Jésus vient de leur parler un langage d’humilité, de sacrifice et de rédemption. Eux, ils parlent un langage d’arrivistes, de parvenus, d’ambitieux. Leur seule préoccupation, c’est d’aller le plus haut possible dans l’exercice du pouvoir. Pour Jésus, c’est l’occasion de faire une mise au point très ferme : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9,35).
Cet enseignement de Jésus vaut aussi pour nous, qui que nous soyons. Sur la route que Jésus nous montre pour aller de l’avant, le service est la règle : le plus grand est celui qui sert : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27). Ce n’est surtout pas celui qui se vante, ni celui qui cherche l’argent et la domination. La vraie grandeur, c’est l’accueil et le service des petits. Ce service est élevé au rang de service de Dieu. « Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites » (Mt 25,40). Jésus renverse les valeurs qui structurent spontanément la vie des humains : être le premier, être le plus grand... Or pas d’autre manière d’être grand que de se laisser configurer au Christ, serviteur et sagesse de Dieu.
L’évangile nous apprend aussi que Jésus se déplace. C’est dans ce cadre qu’il annonce sa Passion : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront... » (Mc 9,31). Autant dire que tous sont susceptibles de mettre Jésus à mort. Un propos qui n’est pas sans rappeler la parabole de la semence où tous ont la liberté d’accueillir ou non la Parole de Dieu, de recevoir ou non le Verbe (Mc 4,1-20). Car recevoir celui qui a choisi de se faire vulnérable et serviteur a de quoi susciter quelques appréhensions, voire la peur.
Avons-nous réalisé que le Christ s’en remet à chacun de nous, que nous avons le pouvoir de le laisser vivre en nous ou d’étouffer ce qu’il nous offre, le pouvoir de créer le désordre par nos rivalités et nos envies ou par nos peurs (Jc 3,16-4,3) ? Ne sommes-nous pas appelés à une conversion radicale qui certes s’inscrit dans le temps, comme ce fut le cas pour les disciples, mais dont l’horizon n’en est pas moins de devenir d’autres christs, c’est-à-dire des serviteurs, tel le Messie « doux et humble de cœur » (Mt 11,29), qui ne regarde pas aux apparences, et a donné sa vie pour tous, sans distinction ? A chacun de nous de consentir à devenir l’un de ces petits qui met sa confiance en Dieu, dont il sait tenir son être et son devenir, qui sait être solidaire des souffrances d’autrui ! Mais souvent, « la fumée de l’orgueil », comme l’écrivait saint Augustin, nous fait perdre de vue cette réalité. D’où l’importance de l’humilité-vérité, laquelle est à demander comme un don précieux.
À travers ces trois lectures d’aujourd’hui, Dieu qui nous parle ; le juste qui souffre (Sg 2,12.17-20) nous renvoie aux chrétiens persécutés qui sont obligés de fuir leur pays. Nous pouvons aussi nous reconnaître à travers l’intriguant dont nous parle saint Jacques (Jc 3,16-4,3). Le Seigneur veut nous libérer de cette recherche de nous-mêmes. Et dans l’évangile, il nous rappelle que les vrais grands ne sont pas ceux qui recherchent les premières places et les honneurs mais ceux et celles dont le cœur est ouvert aux autres.
Nous sommes donc appelés à être une Église au service des autres, en particulier des plus fragiles. Pour cette mission, nous ne sommes pas seuls. À chaque messe, le Seigneur est là pour nous nourrir de sa Parole et de son Corps. Son Pain Eucharistique nous est distribué pour nous donner la force d’aimer comme lui et avec lui. Par sa présence avec nous tous les jours, jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20), le Christ veut nous entraîner à sa suite jusqu’au bout de l’amour. Prions-le qu’il nous donne aussi force et courage pour rester en « tenue de service » (Lc 12,35-40). Le service, c’est l’attitude que Jésus demande à ses disciples. Ce n’est pas aux foules qu’il s’adresse mais bien à celles et ceux qui le suivent. Et eux tous, il les invite d’abord et avant tout à mettre leur confiance « en son Père qui a trouvé bon de (leur) donner le Royaume » (Lc 12,32). C’est sur la base de cette confiance en Dieu que le disciple peut vivre, au sens propre et au sens figuré, en tenue de service et y demeurer. Le service tel qu’attendu par le Christ n’est pas tant ce que nous entendons volontiers dans notre vie de tous les jours, à savoir faire des choses pour l’autre. Servir consiste plutôt à « être avec la personne, lui être disponible, vivre en relation avec elle, faire acte de fidélité ». Nul n’échappe à la nécessité de cette conversion.