C 02 JEAN 02, 01-12 (16)
Scourmont : 19.01.2025
Frères et sœurs, « il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité, ainsi que ses disciples » (Jn 2,1). Or, on manqua de vin… Ce n’est pas surprenant, car au temps de Jésus, les noces duraient une semaine. La fête a donc failli être gâchée. On n’avait pas prévu assez de vin. Marie s’en aperçoit. Elle s’adresse directement à Jésus ; puis aux serviteurs ; elle leur dit : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2,5). Et c’est le signe extraordinaire : six cents litres d’eau deviennent six cents litres de vin ; c’est bien plus qu’il n’en faut pour une si petite noce.
Ainsi donc, Jésus commence son ministère en prenant part à une noce. C’est son premier signe, dit saint Jean (2,11). Certains esprits grognons ont dû penser que c’était une curieuse façon d’annoncer le Royaume de Dieu. D’ailleurs on le lui reprochera : « Il mange avec les pécheurs et les publicains ». Jésus lui-même s’en est rendu compte : un jour il répliquera : « le Fils de l’homme est venu : il mange et il boit et l’on dit : c’est un glouton et un ivrogne ! Mais la sagesse de Dieu se révèle juste par ses œuvres » (Mt 11,19).
Il ne faut pas lire cet Évangile comme une belle histoire qui finit bien. En agissant ainsi Jésus procède dans la ligne droite des prophètes. Les uns et les autres proclamaient le Message de Dieu autant par des gestes symboliques que par des paroles. L’image des noces exprime l’amour de Dieu pour son peuple. Son geste nous rappelle l’Alliance Nouvelle. Un jour, Jésus a comparé le Royaume de Dieu à un roi qui célébrait des noces pour son fils (Mt 22,2). Jésus a épousé notre humanité pécheresse pour l’élever jusqu’à sa divinité. Il invite chacun à vivre une alliance d’amour avec lui. Le vin des noces, c’est le sang eucharistique !
L’Évangile souligne aussi le double mouvement, et des pécheurs qui s’approchent de Jésus pour l’entendre, et du Seigneur qui les accueille. Besoin d’entendre la Parole de Dieu chez ceux que l’on regarde comme inaptes à l’écouter ! Il est si commun d’enfermer les gens dans des groupes, dans des classes. Notre formalisme conduit à un déterminisme simpliste : il y a des gens bien (nous évidemment) et les autres, ces publicains et ces pécheurs. Il y a aussi cet accueil tout à fait extraordinaire de Jésus, souligné avec agacement par ses propres ennemis. « Il reçoit des pécheurs et mange avec eux ! » (Lc 15,2).
Nous aurions besoin souvent de ce contact humain, dans des choses aussi simples et vitales qu’un repas, pour découvrir l’extraordinaire complexité des hommes nos frères, classés dans la catégorie des publicains et des pécheurs. Comment inviter un tel à notre table et manger avec lui ? Le Fils de l’homme, Lui, a été assez réaliste pour le faire. Car Jésus se moque des convenances. Il accueille ces gens mal vus par les bien-pensants. C’est déjà beaucoup d’audace. Mais Il va plus loin, Il établit une relation profonde et amicale avec eux en mangeant chez eux ou avec eux. Cela nous l’osons rarement.
Un aumônier de prison avait donné un Évangile à un détenu d’âge mûr. Il se le reprochait : « Cet homme était-il capable de comprendre le Message de la Bonne Nouvelle ». Quelques mois plus tard, le détenu lui a dit : « Tu vois, les gens comme moi étaient au premier rang pour écouter ton prophète ». Devant l’étonnement de l’aumônier, il lui a montré ces versets de l’Évangile. Jésus rencontre les hommes qui sont loin de Dieu, non pas dans des discussions abstraites, mais dans des soupers. Et à ce moment-là, tous s’approchent de Lui pour l’entendre, pris au charme de son accueil. Beau scandale pour les gens rangés et pieux : « Cependant, tous les publicains et les pécheurs s’approchaient de Lui pour l’entendre. Et les pharisiens et les scribes murmuraient, disant : Cet homme accueille des pécheurs et mange avec eux ! » (Lc 15,1-2). C’est saint Luc qui le dit.
Mais le vin manqua. Dans la Bible, le vin c’est le symbole de la joie, de la réjouissance et de la bénédiction de Dieu. Le manque de vin exprime la détresse des hommes qui sont loin de Dieu. Jésus a vu cette détresse et il est descendu parmi nous pour que nous ayons la plénitude de sa joie. Tout cela, il le manifeste à Cana par ces noces. Et il ne lésine pas sur les moyens : six cuves prévues pour les ablutions, soit environ six cents litres de vin ! Et pas du vin ordinaire, mais du vraiment « supérieur » comme on n’en avait jamais goûté ! Du bon vin gardé jusqu’à maintenant, celui de son amour pour nous.
Le texte d’Isaïe nous a invités à entrer dans l’élan d’enthousiasme du prophète. Notre Dieu apporte la joie aux délaissés de la terre qui deviennent ses préférés. Isaïe s’adresse pourtant à une communauté qui se trouve réduite à une poignée de rescapés. Nous n’avons pas de mal à nous reconnaître dans cette description : il est de bon ton d’être inquiet pour l’Église ; c’est vrai que la baisse de la pratique religieuse, le manque de prêtres, les divisions entre chrétiens ont de quoi nous inquiéter. Mais le prophète intervient pour nous rappeler que Dieu n’a jamais cessé de nous aimer. Il se présente à tous comme l’époux qui est passionné d’amour pour son épouse. Sa puissance et sa gloire vont éclater, à tel point que les pays voisins seront émerveillés.
Dans la lettre aux Corinthiens (1 Co 12,4-11), saint Paul nous rappelle précisément que nous ne sommes pas abandonnés. Si des communautés chrétiennes se développent, c’est d’abord grâce à l’Esprit Saint. Il est toujours présent et agissant dans le cœur de ceux et celles engagés sur la route des missionnaires. Comme l’apôtre Paul, nous pouvons, nous aussi, faire la liste considérable des dons de l’Esprit Saint dans l’Église d’aujourd’hui. Quel que soit le charisme de chacun, c’est toujours lui qui agit. C’est d’abord grâce à lui que le travail des missionnaires peut porter du fruit. Car les dons ou les talents que Dieu distribue généreusement dans son Église ont une portée communautaire.
Enfin, en lisant l’Évangile de ce jour, nous ne devons pas oublier le rôle de Marie, la mère de Jésus. Elle a vu le manque de vin et elle l’a dit à son fils. Elle est aussi présente dans notre vie. Elle voit tous nos manques, manques d’amour et de joie, manques d’espérance, manques de paix, manques de respect. Si nous n’avons pas l’amour, nous ne pouvons pas entrer dans cette alliance entre Dieu et les hommes. Mais il nous faut entendre l’invitation de Marie : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2,5).
Aujourd’hui comme autrefois, Jésus nous invite à puiser. Cette eau qu’il nous faut puiser, c’est celle de la vie qui est en Dieu, c’est celle de son amour ; c’est l’eau vive que Jésus proposait à la Samaritaine (Jn 4,1-42). Le Seigneur ne cesse de vouloir nous combler de cette vie qui est en lui. Il nous suffit de puiser à la source et Lui fait tout le reste.
En conclusion, l’Évangile nous dit que Jésus « manifesta sa gloire » et que « ses disciples crurent en lui » (Jn 2,11). Ici, ce n’est que le début. La manifestation suprême de sa gloire aura lieu à « l’Heure de la Croix ». Le signe de Cana nous annonce la joie débordante de Pâques. Ce vin servi en abondance est le signe de la nouveauté et de la puissance de l’Évangile. À Cana, Jésus a transformé l’eau en vin. Mais n’oublions pas qu’il veut changer notre vie fade comme de l’eau en une vie bonne et savoureuse comme un grand cru. Un jour, ce sera la grande surprise. Nous pensions qu’il aurait servi le bon vin en premier. Encore une fois, une dernière fois, nous découvrirons que Jésus aura gardé le meilleur pour l’après, pour l’ivresse des siècles des siècles. Amen.