B PÂQUES 05 JEAN 15, 01-08 (14) Chimay : 02.05.2021

Frères et sœurs, en se disant la vraie vigne, Jésus prend le relais du peuple d’Israël et inaugure un peuple nouveau. L’appartenance à ce nouveau peuple n’est plus d’ordre ethnique, racial ou religieux, mais dépend de l’union étroite avec Jésus, la vraie vigne. Toutefois dans le texte d’évangile de ce jour, il ne s’agit pas d’un vignoble aux nombreux plants, mais d’un seul plant. Dans les pays orientaux, certains ceps pouvaient être gros comme des arbres. Jésus emploie cette image de la vie courante pour nous faire comprendre le lien unique que nous avons avec lui.

Il est la véritable vigne. Son Père est le vigneron. Et nous sommes les sarments qui portons les fruits visibles de la vigne en ce monde. La vigne est donc faite de croyants qui réfléchissent à leur foi dans la complexité des situations qu’ils vivent, et non de savants rivés sur ce qu’ils considèrent comme des vérités intangibles. Mais nous ne pouvons porter du fruit que si nous demeurons rattachés au cep. C’est pour nous que Jésus ajoute : « Ce qui glorifie mon Père c’est que vous portiez du fruit en abondance » (Jn 15,8). Ces fruits que Dieu attend de nous c’est d’abord notre amour de tous les jours pour tous ceux et celles qui nous entourent. Ce sont des gestes de bienveillance, de bonté, de sagesse, dans le concret de nos existences. C’est une attention toute particulière aux petits, aux pauvres, aux exclus qui sont de plus en plus nombreux en cette période de crise. Nous ne devons jamais oublier qu’ils ont la première place dans le cœur de Dieu. Si nous les rejetons, nous nous coupons de Jésus lui-même. Nous nous desséchons.

 

Parmi les fruits de l’union au Christ, Jésus évoque la prière en son nom, c’est-à-dire selon son cœur. Voilà qui nous incite à reprendre la prière que nous avons reçue de lui, à savoir le Notre Père dont Jean Cassien nous dit qu’il nous conduira à la prière pure, c’est-à-dire à une prière sans retour sur nous-mêmes, qui consiste à respirer Dieu, à le laisser vivre en nous où que nous soyons et quoi que nous fassions.

L’évangile nous dit que pour produire du fruit, la vigne a besoin d’être taillée. Même chose dans un verger : à un moment donné le responsable arrose les pommiers pour que des pommes tombent. Ainsi à la fin de la saison, il peut récolter 5,000 grosses pommes bien mûres, plutôt que 10,000 pommettes qui n’atteindront jamais leur pleine maturité. Aussi à la bonne saison, le vigneron sacrifie un certain nombre de pousses latérales pour améliorer la récolte. Il accepte de perdre pour gagner. Ces images empruntées à l’art du vigneron nous rappellent plusieurs paroles de Jésus que nous retrouvons tout au long des évangiles.

En effet, de nombreuses paroles de Jésus nous appellent au renoncement, à la rupture. Quand Jésus appelle des disciples, ces derniers doivent tout laisser derrière eux. Au jeune homme riche qui lui demande ce qu’il doit faire pour avoir en héritage la Vie éternelle, Jésus répond : « Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor au ciel ; puis viens et suis-moi » (Mc 10,21). Un autre jour, il recommande à ses disciples de prendre la dernière place pour être premiers (Lc 14,10). À plusieurs reprises, il les met en garde contre le danger des richesses (Mt 19,23). La rencontre du Christ ressuscité sur le chemin de Damas bouleverse la vie de Paul, mais elle commence aussi à faire bouger l’Eglise (Ac 9,26-31).

Nous convertir à Jésus Christ c’est nous libérer de toutes ces chaînes qui nous empêchent d’aller à lui. L’évangile est une rude école d’émondage, il nous invite à pratiquer des coupes à blanc dans nos vies, à nous libérer de notre orgueil et de notre égoïsme, à nous désencombrer du superflu qui nous paralyse. Si nous acceptons tous ces renoncements, c’est en vue d’un bien supérieur. Ce qui est premier dans l’image de la vigne c’est que la sève puisse circuler. Pour le Christ, la sève c’est le lien vital qui relie les disciples au Maître. Ceux qui se coupent de lui vont à la dérive. Ceux qui restent reliés à lui bénéficient du ressourcement permanent assuré par la sève. Nous porterons du fruit en écoutant la Parole de Dieu, en ayant foi en Jésus, en observant les commandements, en étant serviteurs, en priant, en accueillant l’Esprit Saint.

Pour cette mission, nous ne sommes pas seuls ; nous sommes enracinés dans une communauté qui s’appelle l’Église. Rappelons-nous ce qui s’est passé pour l’apôtre Paul : il a été un grand prédicateur de l’évangile. Mais tout cela n’a été possible que parce qu’il était en communion avec le groupe des apôtres et envoyé par eux. C’est parce qu’il était en communion avec le Christ et avec la communauté des chrétiens que sa mission a pu porter du fruit. Connu comme persécuteur, son accueil dans la communauté a exigé aussi une conversion du regard des autres disciples.

Saint Jean nous exhorte à mettre en cohérence ce que nous professons et ce que nous faisons. Ce qui fait la valeur d’une vie, ce n’est pas les belles paroles mais l’amour mutuel, les gestes de partage, d’accueil et de solidarité. C’est la recommandation de saint Jean dans la deuxième lecture : « N’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité » (1 Jn 3,18). « Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui » (1 Jn 3,24). Ce n’est pas en m’écoutant parler que vous pouvez savoir que je crois en Dieu, c’est en me regardant agir.

Chaque dimanche, nous nous rassemblons en Église pour nous nourrir de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie. Elles émondent nos peurs, nos manquements, nous doutes, nos erreurs, nos fautes, bref tout ce qui nous aliène et nous empêche d’avancer sur le chemin de la Vie. Le Christ est là présent : Il rejoint les communautés réunies en son nom. La prière que nous lui adressons nous invite à nous tenir debout devant lui. C’est auprès de lui que nous puisons la force de prendre part à la lutte contre le mal et le malheur des hommes. Dieu accueille notre prière et il nous envoie l’Esprit Saint en vue de cette mission. Demandons-lui qu’il nous garde reliés à lui pour que notre mission porte les fruits qu’il attend de nous. Et souvenons-nous que « si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur » (1 Jn 3,24). D’ailleurs, avec un brin de sagesse, nous pouvons nous fier à Dieu, comme si le succès des choses dépendait tout entier de nous, et en rien de Dieu. Mais nous pouvons y mettre tout notre labeur, comme si Dieu allait tout faire et nous rien. (Ignace de Loyola).