B ASSOMPTION LUC 01, 39-56 (6)

Chimay : 15.08.2021

 

Frères et sœurs, depuis les commencements du christianisme, beaucoup de choses ont été dites et écrites sur Marie de Nazareth. Avec le temps, dans l’Église, certaines déviations s’étaient produites dans la théologie, la prédication et le culte marial. Marie était devenue une femme méconnue et inconnue dans le monde déchristianisé et sécularisé. Pour beaucoup, elle est une déesse ou une figure légendaire pour croyants en mal de sécurité affective et d’exaltation pieuse.

 

Heureusement, depuis le concile, les auteurs ont insisté sur Marie telle que présentée dans la Parole de Dieu. Les études et les écrits ont parlé de Marie des Évangiles, celle que nous présente l’Écriture, la Parole de Dieu bien lue et bien interprétée. L’Évangile est conforme à la réalité quand il présente la liberté audacieuse de Marie à l’Annonciation, le manifeste révolutionnaire de son Magnificat et la fidélité courageuse de sa foi jusqu’au pied de la croix.       

Au fil des ans, on avait tellement présenté Marie comme une « Super Woman » qu’on a fini par voir en elle un modèle inimitable, un personnage irréel. Une espèce de femme bionique, presque arrachée à la condition de créature, loin de nos problèmes ; tellement pure et sainte que nous n’oserions pas nous en approcher, ni lui confier nos misères. Elle est pourtant de notre race, une femme vraiment de chez nous. Or, notre époque aime particulièrement les saints doués d’humanité.

        Qui mieux que Thérèse de l’Enfant Jésus pourrait nous convaincre de la vie réelle de Marie ? « Il ne faudrait pas dire d’elle des choses invraisemblables ou qu’on ne sait pas : par exemple que, toute petite, à trois ans, elle est allée au Temple s’offrir à Dieu avec des sentiments brûlants d’amour et une ferveur extraordinaire, tandis qu’elle y est peut-être allée tout simplement pour obéir à ses parents. Pour qu’un sermon sur la sainte Vierge porte du fruit, il faut qu’il montre sa vie réelle, telle que l’Évangile la fait entrevoir, et non pas sa vie supposée ; et l’on devine bien que sa vie réelle, à Nazareth et plus tard, devait être tout ordinaire… On montre la sainte Vierge inabordable ; il faudrait la montrer imitable, pratiquant les vertus cachées, dire qu’elle vivait de foi, comme nous, en donner des preuves tirées de l’Évangile ». L’humble carmélite de Lisieux avait la vision de l’Évangile en nous présentant, à sa façon et de manière simple, la Marie des théologiens.

        En ce sens le dialogue entre les deux cousines Marie et Élisabeth est désarmant de simplicité. La volonté divine se pose comme une évidence pour toutes les deux, vécue dans la confiance et source de bonheur. « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni » (Lc 1,42).

L’échange auquel l’Écriture donne accès n’est pas banal puisqu’il met en scène la rencontre entre deux cousines à un moment crucial de chacune de leur vie. En entendant Marie la saluer, Élisabeth comprend de l’intérieur, depuis ses entrailles, que Marie est porteuse de la promesse divine. Elle le lui exprime d’une façon éminemment biblique. « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur » (Lc 1,45). Élisabeth sait bien qu’une telle proximité à Dieu ne peut passer que par la foi. Non pas foi qui consiste à croire quelque chose à propos de Dieu, mais celle qui consiste à croire Dieu. Marie va enfanter le Sauveur car elle a pris au sérieux la parole de Dieu dans sa vie. C’est ce qu’Élisabeth remarque et lui dit : heureuse es-tu d’avoir cru que c’était possible, d’avoir accepté d’y croire, d’avoir mis ta confiance dans le Seigneur.

La réaction d’Élisabeth en dit long sur ce contexte biblique parfois si loin de nous. Dieu y semble naturel et évident. Il se présente comme un partenaire dans le quotidien des personnes. Il n’est pas une idée ou une conviction. Il n’est pas un espoir lointain ou compliqué. Il existe dans la relation entre les personnes, dans les choix de vie qu’elles posent, dans les paroles qui sont prononcées ou entendues. Le bonheur consiste alors à cette qualité de présence et de confiance que les personnes entretiennent avec lui. Élisabeth souligne combien Marie peut être heureuse de sa relation à Dieu, combien cette confiance doit lui apporter sécurité et stabilité. Marie le lui confirme et dit combien sa vie a du sens parce qu’elle y voit les merveilles de l’action de Dieu. « Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse » (Lc 1,48). Ce dialogue lointain est pour nous une chance de regarder le monde comme la Parole de Dieu nous invite à le faire. Et de donner une chance à Dieu de combler nos vies.

La Vierge n’a pas changé. Si nous l’appelons, elle court toujours vers nous. Et Jésus est en elle ou à ses côtés. Oui, bien sûr, nous ne sommes pas Élisabeth et Marie n’est pas notre cousine. Elle est encore plus, puisqu’elle est notre mère. Ainsi l’a voulu Jésus sur la croix (Jn 19,25-27). La Vierge est venue dans notre vie. Elle vient toujours comme pour Élisabeth.

Tout cela doit donner une nouvelle orientation à la manière dont nous vivons les uns avec les autres. Si nous voulons honorer Marie, il ne faut pas oublier qu’elle est notre mère à tous, y compris de ceux que nous n’arrivons pas à supporter. Comment honorer Marie en ce 15 août si nous avons un regard et des paroles méprisantes pour telle ou telle catégories de personnes. Comment l’appeler « Reine de la Paix » si nous sommes fâchés avec un voisin ? Comme le Christ, Marie souffre de ces divisions qu’il y a dans le monde, dans nos communautés et nos familles.

Mais avec elle, il n’y a pas de situation désespérée. Quand tout va mal, quand nous sommes sur la croix, elle est là. Elle se tient debout pour nous aider à traverser l’épreuve. Quand nous sommes en manque de paix et de joie, elle est encore là. Comme aux noces de Cana, elle dit à Jésus : « Ils n’ont plus de paix et de joie ». Et Jésus nous rend la paix et la joie. Elle ne craint ni notre péché ni notre douleur. Elle qui a misé toute sa vie sur l’amour, elle nous aide à nous remettre debout pour reprendre notre route à la suite du Christ.

En ce jour, nous rendons grâce au Seigneur pour ce cadeau merveilleux qu’il nous fait en nous donnant Marie pour mère. Cette fête de l’Assomption vient raviver notre lien profond à Jésus et notre désir de le suivre fidèlement tout au long de notre vie.