B 32 MARC 12, 38-44 (13)
Chimay : 07.11.2021
Frères et sœurs, les trois textes bibliques de ce dimanche nous parlent du don généreux de ceux qui n’ont rien. Ils nous montrent le geste de deux pauvres femmes. Elles ont donné tout ce qu’elles avaient pour vivre. Voilà deux magnifiques témoignages en ce jour où nous célébrons celui qui a donné sa propre vie pour notre salut et celui du monde entier.
L’Évangile nous présente une veuve anonyme très pauvre mais particulièrement généreuse. Cela se passe sur le parvis du Temple de Jérusalem, ou « dans le Temple en face de la salle du trésor » (Mc 12,41). Jésus s’y trouve pour donner un enseignement. Il recommande à tous de ne pas imiter les scribes quand ils pèchent par orgueil et par désir de paraître. Le plus grave c’est qu’ils volent les plus pauvres. Jésus nous met en garde contre tous ces dangers. Le salut qu’il est venu apporter au monde doit nous conduire à être vrais avec nous-mêmes, avec Dieu et avec les autres. Les apparences peuvent tromper les hommes mais Dieu voit ce qu’il y a dans le cœur de chacun. La valeur de ce que nous donnons ne se mesure pas à la quantité, mais au fait que nous donnons tout, si peu que ce soit.
Jésus s’est assis en face de la salle du trésor et il observe les gens qui déposent leurs offrandes. Il voit des riches qui donnent beaucoup, et c’est très bien. Mais voilà qu’arrive une veuve très pauvre. Elle n’a rien mais elle donne tout. Elle se moque de ce que pèsent ses deux petites pièces. Le plus important est ailleurs : elle aime Dieu ; elle aime le Temple où il vit depuis des siècles d’après la tradition des juifs de ce temps ; elle respecte les prêtres et les scribes qui parlent de lui. C’est tout son cœur, tout son amour qu’elle met dans le tronc. Alors Jésus affirme qu’elle a donné plus que tous les autres. Son amour pour Dieu pèse bien plus que tout l’or du monde
La première lecture nous devisait d’une veuve païenne cette fois (1R 17,10-16). C’est chez elle qu’est envoyé le prophète Élie. Elle n’a rien à manger et son enfant va mourir. Quand le prophète lui demande « un petit morceau de pain », l’épreuve est rude. Ce petit pain ne sera pas pour son enfant, pour qu’il vive encore un petit peu, mais comme la veuve du Temple, elle donne tout. Mais quand on donne tout, on reçoit tout. Parce qu’elle a tout donné, elle se voit comblée par le Dieu vivant alors que les Israélites infidèles subissent la sécheresse.
En écoutant ces deux récits, comment ne pas penser à cette autre veuve, Marie debout au pied de la croix de son fils ! L’admiration de Jésus pour ces femmes vient de ce qu’il est justement celui qui livre sa vie. Il a été dépouillé de ses vêtements, de ses disciples, de sa liberté. Il vient de donner sa mère à son disciple et, à travers lui, à chacun de nous. « Lui qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon d’être traité à l’égal de Dieu. Mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur » (Ph 2, 6-7). Tout comme ces pauvres veuves dont on vient de parler, Il est celui qui donne tout. Elles sont à son image.
Ce qui est étonnant dans l’Évangile de ce jour, c’est la première place donnée aux petits, aux exclus, à ceux qui sont les derniers en ce monde. Par contre, Jésus a des paroles très dures contre certains scribes qui ne cherchent qu’à être bien vus sur les places publiques, dans les synagogues et les dîners. Ils dévorent les biens des veuves au lieu de leur venir en aide. C’est d’autant plus grave qu’elles sont réduites à la misère. En agissant ainsi, ils trahissent leur fonction.
C’est aussi pour nous que cet évangile a été écrit et proclamé : Méfiez-vous de ceux qui cherchent les premières pages dans les journaux, les succès dans les sondages, les grands discours à la télévision. Cet orgueil n’est pas seulement le lot des scribes du temps de Jésus. Il nous menace tous plus ou moins. La tentation de rechercher les premières places est toujours bien présente. C’est toujours agréable de recevoir des éloges et d’attirer l’admiration des autres. Mais le plus important c’est le regard de Dieu. Il voit mieux que nous ce qu’il y a dans le cœur de chacun. Ce qui fait la valeur d’une vie c’est notre amour de tous les jours pour tous ceux et celles qui nous entourent. Georges Guynemer disait : « Tant qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné ».
Ces textes bibliques qu’on a lus rejoignent l’Évangile des béatitudes : « Heureux les pauvres de cœur » (Mt 5,3). Ils sont proclamés heureux, non à cause de leur misère mais parce que le Royaume des cieux est à eux. La considération et la reconnaissance des hommes ne sont rien par rapport au don de Dieu.
Un peu d’histoire maintenant. Le 6 mai 1783, le cardinal François de Bernis représentant Louis xvi auprès du Saint-Siège alerte son ministre des affaires étrangères : un mendiant français vient de mourir et la ville de Rome accourt vers sa tombe. Comment ce démuni en errance provoque-t-il une telle ferveur ? Benoît Labre, le vagabond de Dieu, rayonnait du don total de sa personne, pour qui voulait bien prêter attention à lui.
Ainsi en est-il avec le Seigneur. Nous le lisons en saint Marc ce dimanche. La veuve a déposé dans le trésor du Temple plus que tous les autres, car elle a mis tout ce qu’elle possédait. Si c’est notre tout qui est offert, il surpasse ce que l’homme peut concevoir et il émerveille le Fils de Dieu. Ceux qui se perdent en salutations et honneurs, nous avertit Jésus, ne peuvent voir ce qui se dessine à l’intérieur de l’homme. La veuve de l’Évangile, et les innombrables Benoît Labre de la terre, ne suscitent que mépris ou, dans le meilleur cas, indifférence chez ceux qui se satisfont de leur valeur. Mais les scribes ont beau faire preuve avec ostentation de leur dignité, si les hommes s’y trompent, Dieu voit leur appât du gain qui ne les fait pas épargner les plus démunis, notamment les veuves. Ainsi encore, les dons importants des gens riches peuvent tromper les hommes sur leur générosité ; Dieu mesure tout autrement la valeur du don de la personne qui a donné tout ce qu’elle avait pour vivre.
Les textes de ce dimanche nous donnent à contempler l’inestimable don de deux veuves qui, à l’époque antique, font partie des éléments les plus pauvres de la société. Ces femmes, sans pratiquement aucune ressource, donnent tout au péril de leur vie, dans un total abandon à Dieu. Dans les camps de la mort, certains ont eu la force de donner quatre petits bouts de pain pour assurer la survie d’une autre personne, au détriment de la leur. Pour la majorité d’entre nous, qui ne vivons pas en des temps où la vie ne tient qu’à un fil, Dieu nous attend dans les petits dons répétés chaque jour, dans la joie et la persévérance : un sourire en croisant son voisin, le petit-déjeuner que l’on prépare à son conjoint, une écoute amicale, un regard de compassion, le service humble et caché de la prière d’intercession... Il suffit de peu de chose pour changer l’orientation d’une vie. Nul doute que nous savons nous montrer inventifs dans ces minuscules petits gestes quotidiens qui mis bout-à-bout forment une véritable chaîne d’amour. En donnant, on a parfois l’impression de perdre, de se perdre, alors que donner c’est recevoir. Un matin, à Auschwitz, une femme mourante demande à Magda Hollander-Lafon d’approcher et lui dit de prendre dans sa main les quatre petits bouts de pain qu’elle a gardés mais qu’elle ne peut plus manger : « Tu es jeune, tu dois vivre », lui dit-elle. Cette phrase a fait renaître Magda, jeune adolescente plongée dans un enfer qui la happait[1].
En célébrant cette Eucharistie, nous nous tournons vers le Seigneur par l’intermédiaire de Marie, la pauvre femme de Nazareth qui a donné toute sa vie à Dieu pour nous ; demandons-lui le don d’un cœur pauvre, mais riche d’une générosité joyeuse et gratuite.
[1] Magda Hollander-Lafon, Quatre petits bouts de pain : Des ténèbres à la joie, Paris, Albin Michel, 1972, 147 p.