C NOEL JOUR JEAN 01,01-18 (4)
Chimay : 25.12.2021
Frères & sœurs, la naissance de Jésus est d’abord annoncée aux petits, aux bergers de Bethléem : elle leur est présentée comme « une grande joie pour tout le peuple » (Lc 2,10). Dans la société d’alors, les bergers sont ces petits, peu reconnus, qui occupent une place marginale. Ce sont eux pourtant qui se hâtent pour découvrir le nouveau-né couché dans une mangeoire (Lc 2,16). Et à la vue de ce petit, ils ont glorifié Dieu : car Dieu se révèle aux petits et aux humbles ! A travers les décisions des gouvernants, Dieu préparait la naissance du Sauveur, mais c’est aux humbles qu’il l’a fait annoncer. Les bergers sont venus à la crèche, mais ils n’ont pas gardé pour eux leur rencontre avec le Sauveur.
L’événement de Bethléem est bien l’accomplissement des promesses de Dieu que nous lisons dans les prophètes : le peuple humilié, réduit à marcher dans les ténèbres, connaîtra la venue d’une grande lumière (Is 9,1) et on ne dira plus de lui désolation (Is 62,4) et on ne parlera plus de ruines de Jérusalem (Is 52,9). Le petit peuple d’Israël est celui à qui est réservé ce jour de victoire de la lumière sur les ténèbres. Pour le prophète Isaïe, le salut que verront les nations, c’est peut-être seulement la vision de Jérusalem enfin relevée de ses ruines avec le Seigneur à sa tête. Mais si l’on relit le vieux texte à la lumière de l’Évangile, il se déploie pour annoncer à tous les peuples du monde qu’en Jésus, le nouveau-né dans une crèche, Dieu vient les sauver.
En cette nuit de Noël, nous avons aussi accueilli cette lumière fragile de l’espérance qui nous est donnée dans la naissance de Jésus, le Prince de la paix. Nous saurons la reconnaître et l’apprécier si notre cœur est un cœur de pauvre, un cœur qui se laisse convertir pour agir avec justice et piété (Tt 2,12) car la bonté de Dieu éclate à Noël, pour être révélée à tous les hommes, au peuple ardent à faire le bien (Tt 2,14). Mais c’est par Jésus-Christ et non par nos mérites que nous sommes sauvés. Toutes les démarches de Dieu auprès des hommes culminent dans la parole qu’il nous adresse par son Fils. Depuis que ce Fils est venu parmi nous, les paroles anciennes, celles des prophéties et des psaumes en particulier, s’enrichissent d’un nouveau poids de sens. La vie de Jésus en dit plus que les longs discours. Jésus est l’image parfaite du Père. Dieu nous parle de bien des manières par la création et la vie des hommes (Sg 13) ; mais son dernier mot, c’est Jésus Christ.
La venue du Christ dans notre monde n’est un pas un mythe : Saint Luc prend soin de la situer dans la chronologie de l’empire romain (Lc 3,1-2). Dans cet événement de l’histoire se réalise la promesse de Dieu : « Je serai au milieu de toi » (Ex 29,45). En devenant petit enfant, « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14). Dieu a créé le monde par sa Parole, son Verbe. L’enfant qui naît de la Vierge Marie n’est autre que ce Verbe. Il est entré par amour pour nous dans notre condition de faiblesse. Et c’est lui la vraie lumière qui éclaire tout homme (Jn 1,4). Ceux et celles qui l’accueillent en vérité sont nés de Dieu. Cette parole se réalise encore pour nous aujourd’hui.
L’évangile de Jean, que nous avons lu aujourd’hui, s’ouvre sur la contemplation de Dieu qui crée par sa Parole. La relation est posée dès le début : entre Dieu et l’humanité, au cœur de la création, il y a la Parole. Et l’homme va prolonger cela, en Adam, que Dieu chargera de nommer les autres créatures ; ainsi commencent la vie sociale et la rencontre. Mais bien des êtres humains souffrent de ne pas oser ou de ne pas pouvoir parler. Bien des gens sont détruits de n’avoir pas su parler à leur conjoint, à leurs enfants ou à leurs parents, ou encore à leur ami, au moment où se creusait une difficulté. Combien disent n’avoir pas su parler à l’autre, et à Dieu lui-même ? Difficultés de communication et croissance des conflits !
Dieu n’a cessé de fréquenter les hommes par sa Parole qui est son Fils, jusqu’au jour où la Parole s’est faite chair. La Parole de Dieu est venue « vers les siens, mais les siens ne l’ont pas reconnu(e) » (Jn 1,11). La parole est souvent en échec, mais ce qui fait traverser cet échec, c’est de se tenir à la fois dans la grandeur et l’humilité. L’enfant que Dieu donne au monde est grandeur et humilité. Alors, la parole en échec devient parole en espérance, et un jour, elle sait être parole d’espérance. Telle est le dynamisme de la fête de la nativité du Seigneur. Certes, il manque ici la magie de Noël, mais c’est parce qu’elle retombe quand les guirlandes sont rangées avec l’enfant Jésus, remis dans sa boîte jusqu’à l’année suivante. La Parole, elle, « demeurera parmi nous ». Forte et fragile. Grande et humble. Cette Parole qui était au commencement, qui était Dieu, et qui s’est faite chair. Elle est Parole de notre Dieu, et celle de l’homme la prolongera. La Parole demeurera, même cachée, dans la tourmente, dans le silence et dans l’absence. Même dans la mort sur la croix. Et si l’on croise les évangiles de la nuit et du jour de Noël, le nouveau-né, dans la mangeoire, nous fera dire que la Parole de Dieu est venue comme un enfant, qui, selon l’étymologie, est celui qui ne parle pas. Quel paradoxe que celui de « la Parole qui ne parle pas », disait saint Bernard de Clairvaux !
Oui, la Parole « demeurera parmi nous », parce que la Parole s’est faite chair, d’une fragilité qui est la nôtre. Noël est la fête de l’annonce de l’Évangile pour tous les hommes de la terre. Irruption du Christ dans le peuple meurtri et perdu des croyants ; naissance dans notre monde en déroute : cette venue en notre chair de la Parole qui souffre l’échec est bien déconcertante mais cela sonne juste. Et c’est pour cela que nous y croyons, et c’est comme cela qu’est patiemment rétablie la dignité humaine. Quand Dieu devient l’un de nous, il accepte ce qui nous limite et qui, jour après jour, nous pose question. Nos impuissances, nos peurs, nos souffrances, nos douleurs physiques et nos péchés sont liés justement à ce que Dieu assume en naissant à la vie humaine.
À Noël, Dieu s’inscrit dans nos limites. Comme nous, Jésus passera toute sa vie à essayer d’accepter ces contraintes, à les accueillir, à les comprendre, à les offrir, à les guérir, à faire en sorte qu’elles ne le coupent pas des autres. Et il laissera l’amour du Père habiter ces impasses. « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Mt 11,25). Ce faisant, il rejoindra ceux pour qui la vie est particulièrement douloureuse, en leur communiquant la force d’une vie humaine traversée par Dieu. Le jour de Noël est une invitation à faire quelque chose de ces limites en laissant Dieu nous aider à les habiter.
Aujourd’hui l’inouï se produit : nous découvrons dans la crèche de Jésus l’au-delà de l’humain car l’enfant nouveau-né est le Verbe fait chair, il est Dieu ; et il se fait homme. Aujourd’hui, le salut nous est donné, même s’il faut un cœur de pauvre pour l’accueillir dans cet enfant nouveau-né ! En ce moment de l’histoire, le Verbe éternel ou plutôt « hors du temps », fait irruption dans le monde des hommes. En ce moment de l’histoire, le monde de Dieu et le monde des hommes se rejoignent : le Créateur de l’univers prend chair en un tout petit – le Plus-que-Tout se fait le moins-que-rien – il devient l’un de nous. Et c’est cela, cette folie de l’amour de Dieu pour chacun de nous, que nous célébrons en ce jour de Noël. Alors, frères et sœurs, dans la douceur de ce temps laissons nos cœurs s’emplir de la Présence du tout petit, puissance de Dieu.