C 04 LUC 04, 21-30 (12)
Frères et sœurs, les textes bibliques de ce dimanche nous parlent de l’appel du Seigneur. Le livre de Jérémie (Jr 1,4-5.17-19) nous montre le prophète Jérémie qui est devenu son porte-parole. Il ne choisit pas le message qu’il transmet aux hommes de son temps. Il ne doit pas être un « prophète de cour » qui cherche à plaire. Sa mission, c’est de transmettre les paroles de Dieu, même si elles ne plaisent pas. Il devra parler sans crainte, même au risque de sa vie. Il sera affronté à un environnement hostile. Mais Dieu lui promet de ne pas l’abandonner. Il est l’Emmanuel, Dieu avec nous.
Avant que ne commence pour le prophète Jérémie sa connaissance de lui-même, il y avait déjà Dieu. Dieu est antérieur à toutes nos paroles sur nous-mêmes. « Toi, mon soutien dès avant ma naissance, tu m’as choisi dès le ventre de ma mère ; tu seras ma louange toujours ! » (Ps 70, 6). Difficile de savoir comment le prophète Jérémie a connaissance de la parole de Dieu dont il fait part à ses contemporains. Difficile, aussi, de dire comment il fait la distinction entre les paroles qui lui appartiennent et celles dont il comprend que le Seigneur en est l’origine. Tout spécialement quand ces mots sont si intimes, si personnels : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré » (Jr 1,4).
Dans cet extrait, Jérémie parle de lui autant qu’il parle de Dieu, mais cette clarté sur lui-même dit bien des choses. Le prophète a conscience que ce qu’il est, ce qu’il se sent appelé à devenir, en dépit des dangers et les risques à venir, est le lieu où Dieu l’attend. Ce que Jérémie perçoit de plus évident et de grand en lui, Dieu n’en est pas absent. Il comprend que Dieu est non pas la cause, mais l’origine. Il est au point de départ de ce que Jérémie se sait être. Son origine est en Dieu.
Jérémie découvre en lui la parole de Dieu. Cette Parole vient rejoindre ses propres paroles sur sa vie et sur ses espoirs. Cette prise de conscience est salutaire car elle déplace tous nos débats. Le prophète ne dit pas que Dieu le détermine ou qu’il a une vocation pour lui. La découverte est autre. En toute simplicité, il raconte que Dieu est au plus profond, au plus intérieur, à l’origine de ce qui fait sa vie. Il est avec lui et cette proximité n’est pas due à de bonnes actions ou à un choix de sa part. Cette proximité ne disparaîtra pas non plus, Dieu ne prendra pas la fuite, il ne le reniera pas. Le prophète reconnaît comment Dieu est déjà là, au cœur de son existence, depuis le début. Il nous le dit, il le dit à voix haute pour que cette parole devienne parole de Dieu pour chacune de nos existences. Car la découverte de Jérémie vaut pour nos vies. Dieu nous connaît et rien de ce que nous sommes ne peut l’éloigner ou lui faire peur. Nous pouvons toujours compter sur lui. Nous sommes à lui. Il nous a faits à son image.
L’apôtre Paul a, lui aussi, été affronté à l’hostilité des gens. À plusieurs reprises, il a dû aller à contre-courant de la mentalité environnante. L’hymne à l’amour que nous lisons aujourd’hui (1 Co 12,31-13,13) intervient dans une polémique sur les charismes. Chacun a tendance à considérer le sien comme supérieur à celui des autres. Il y a ceux qui parlent en langues, ceux qui sont prophètes, ceux qui ont la connaissance des mystères de Dieu… Mais le plus important c’est qu’ils soient animés par l’Esprit d’amour. Ce qui fait la valeur d’une vie, ce n’est pas d’accomplir des choses extraordinaires, c’est notre amour de tous les jours pour tous ceux et celles qui nous entourent qui en procure la valeur. La haine, la violence, l’indifférence n’auront pas le dernier mot. C’est l’amour qui l’emportera.
Dans l’Évangile, nous retrouvons Jésus à la synagogue de Nazareth. C’est le deuxième acte de cette rencontre. Une violente controverse oppose Jésus aux juifs présents. C’est dans ce village qu’il a passé toute son enfance et qu’il a exercé son métier de charpentier. Tous le connaissent bien. C’est là qu’il va lire un extrait du livre d’Isaïe qui résume toute sa mission : « L’Esprit du Seigneur repose sur moi, il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la libération… annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Lc 4,18-19). Et il ajoute : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4,21).
Saint Luc précise que « tous lui rendaient témoignage ; et ils s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche » (Lc 4,22). Il arrive parfois que des homélies soient aussi remarquées ; des gens viennent dire au prêtre : « C’était une belle messe ; vous avez bien parlé ! » Mais l’admiration n’est pas la foi. Nous le voyons bien dans l’Évangile de ce jour : ce n’est pas parce qu’ils sont sous le charme de Jésus que ses auditeurs l’accueilleront dans la foi. Pour eux, il n’est que « le fils du charpentier » (Mt 13,55). Ces braves gens campés fermement dans leur logique ne pouvaient pas discerner la présence de Dieu dans le fils du pays. Ils ne sont pas venus entendre une prédication mais assister à des prodiges.
Jésus les interpelle : « Sûrement, vous allez me citer le dicton : Médecin, guéris-toi toi-même ; nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm : fais-le donc ici dans ton pays ! » (Lc 4,23). Mais les habitants de Nazareth oublient qu’aucun miracle ne peut se faire sans la foi. Jésus n’a aucune intention de passer pour un faiseur de miracle. Sa priorité est d’annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, aux malades, aux opprimés, aux prisonniers.
Cet Évangile nous invite à accueillir la révélation d’un Dieu qui est Père et qui prend soin de chacune de ses créatures. Aucune situation ne peut constituer un motif d’exclusion. Les plus petits ont la première place dans son cœur. Cette préférence ne concerne pas que les gens de son peuple. Jésus met le comble à leur colère en leur rappelant que la veuve de Sarepta (1 R 17,8-16), la Cananéenne (Mt 15,21-28) et Naaman le Syrien (2 R 5,1-12) étaient des païens. Ils ont su accueillir le don de Dieu mieux que les gens de son peuple. Élie et Élisée avaient été en relation avec ces païens ; Jésus s’inscrit à leur suite. Le vrai Dieu n’est pas celui de quelques-uns mais celui de tous. Nous ne sommes pas ses propriétaires, mais ses témoins. Ne nous scandalisons donc pas lorsque l’action de Dieu est manifeste en dehors des limites de notre Église catholique. Il aime les païens, les incroyants, les pécheurs, les ingrats. Nous ne pouvons pas être en communion avec lui si nous n’entrons pas dans ce projet d’amour universel, ce que lui reprochent ses concitoyens. Ils voudraient s’approprier, se réserver, le don de Dieu.
« Aujourd’hui, s’accomplit ce passage de l’Écriture » (Lc 4,21). Cet « aujourd’hui » proclamé par le Christ vaut pour tous les hommes de tous les temps. C’est aujourd’hui que la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres, aux exclus, à ceux qui sont oubliés. Il en est de même quand des familles ou des équipes d’aumônerie viennent visiter des malades à l’hôpital ou chez eux. Je pense aussi à tous ceux qui n’ont plus la force de prier. Mais ils savent qu’ils sont portés par la prière de toute la communauté chrétienne. Comme on dit aujourd’hui : ils surfent sur la prière des autres.
À travers tous ces gestes et ces prières des uns et des autres, c’est le Seigneur qui est là. Il nous tend la main pour nous relever. Il vient nous sortir du gouffre dans lequel nous étions tombés à cause de notre orgueil ou de notre aveuglement. Nous sommes tous invités à accueillir la vérité réconfortante de l’Évangile. Les auditeurs de Jésus l’ont refusé. Dans notre monde d’aujourd’hui, cela n’a guère changé. Nous voyons des gens s’installer bien confortablement dans leurs traditions et leurs certitudes. Ils n’acceptent pas d’être remis en question. Pendant ce temps, des gens qui étaient loin de la foi, se convertissent et se mettent en route à la suite du Christ, et pas uniquement les rois mages. Plus que jamais, nous devons faire nôtre cette prière du psaume 94 : « Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur » (Ps 94,7d-8a).