C CARÊME 04 LUC 15,01-03.11-32 (13)

Chimay : 27.03.2022

 

Frères et sœurs, ce 4e dimanche du Carême est appelé « dimanche de la joie ». Toute la liturgie de ce jour nous invite à nous réjouir et à exulter. Dans les régions où existe le carnaval juste avant le Carême, on récidive en ce dimanche. Peut-être ne sait-on plus pourquoi au juste. C’est parce qu’autrefois le Carême était rigoureux, et les gens étaient heureux d’en être déjà arrivés à la moitié ! La raison de cette joie toutefois, c’est plutôt la découverte émerveillée du monde de Dieu dans lequel nous sommes tous appelés à vivre. Cette joie c’est avant tout celle de celui qui reçoit la miséricorde de Dieu.

Le texte de Josué (5,9a.10-12) nous dit la joie du peuple d’Israël qui a été libéré de l’esclavage d’Égypte. La traversée du Jourdain par les Israélites marque le passage de la terre d’esclavage au pays de la liberté : elle est une Pâque nouvelle. Après une longue traversée du désert, il entre dans la Terre promise. Cette entrée donne lieu à une grande fête. Ce texte du livre de Josué nous révèle un Dieu libérateur et sauveur. « J’ai enlevé de vous le déshonneur de l’Égypte » (Jos 5,9). Le Seigneur veut que nous soyons libres et heureux.

Ce bonheur auquel nous sommes tous appelés passe par la réconciliation.  Saint Paul nous le rappelle dans la lettre aux Corinthiens : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20). C’est le monde entier qui a besoin d’être réconcilié. Mais Dieu ne nous a pas abandonnés : il a pris l’initiative d’envoyer son Fils pour « chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10). Cette conviction de saint Paul est un parfait écho de la parabole du fils prodigue où l’on voit effectivement que le Père ne tient pas compte des lourdes fautes de son fils : il lui pardonne sans un mot de reproche, et lui ouvre ses bras. Nous avons là, dans la parabole de Jésus, la révélation du vrai visage de Dieu, celle qui rend caduque les représentations archaïques d’un Dieu vengeur, celle qui ne cesse de surprendre ceux qui sont persuadés d’être des justes, tel le fils aîné. Mais la réponse du père est sans réplique : « Il fallait festoyer et se réjouir » (Lc 1,31).

Cette parabole du fils prodigue, nous la connaissons bien parce que nous l’avons entendue souvent. C’est l’histoire d’un garçon d’un père trop prodigue qui réclame sa part d’héritage et s’en va loin de sa famille. Après avoir tout dépensé dans une vie de débauche, il finit par se trouver dans la misère et réclame la miséricorde de son père.

Cet Évangile nous dit que c’est ainsi que Dieu agit avec nous. Quand nous nous éloignons de lui, quand nous courons à notre perte, Dieu nous porte toujours dans son cœur ; il attend notre retour confiant. Il est comme ce père qui scrute la route dans l’espoir de voir revenir son enfant. Et un jour, il le voit apparaître ; il est tout ému en le voyant, il court à sa rencontre, il le serre dans ses bras et l’embrasse. Malgré les nombreuses bêtises de ce fils, son père est très heureux de l’accueillir.

Ainsi sommes-nous invités à aller vers le Père et à découvrir que sa grande joie c’est de nous accueillir et de nous guérir. Il est incapable d’en vouloir à ses enfants quoi qu’ils aient fait ; il n’est que miséricorde pour tous, même pour celui qui a commis le pire. Nous sommes tous aimés de Dieu ; son Royaume est offert à tous. Il nous appartient de le dire et de le redire à ceux qui ne le savent pas.

Mais dans l’Évangile de ce jour, il y a un problème : le fils aîné rejette son frère au lieu de l’accueillir. Au premier abord, il a raison : ce frère a gravement fauté ; il a déshonoré sa famille ; il doit assumer les conséquences de ses actes. Ce fils aîné se considère comme juste et irréprochable. Mais il oublie que son orgueil le coupe de l’amour de son père. Nous ne pouvons pas accueillir Dieu si nous ne sommes pas fraternels avec ceux et celles qui nous entourent.

À propos de l’attitude du père qui accueille son fils prodigue, Saint Jean Chrysostome disait : « “Est-ce ainsi que l’on récompense l’inconduite ?” On ne fête pas son inconduite, mais son retour ; ni son péché, mais sa conversion ; ni sa méchanceté, mais sa transformation. Bien plus, quand le fils aîné s’est indigné de toute cette joie, le père l’a calmé. Lorsqu’il faut sauver celui qui se perd, ce n’est pas le moment de rendre des sentences, ni de faire une enquête minutieuse, mais uniquement celui de la miséricorde et du pardon » (Homélie 1,3-4).

Ce père dont nous parle l’Évangile nous révèle le cœur de Dieu. Il révèle à chacun de ses fils l’amour de son cœur pour qu’ils se découvrent frères. Notre Dieu est le Père miséricordieux qui nous aime au-delà de toute mesure. Il attend toujours notre conversion chaque fois que nous nous détournons de lui. Il est toujours prêt à nous accueillir à bras ouverts quoi qu’il arrive. Comme ce père dont nous parle l’Évangile, il continue à nous considérer comme ses enfants alors que nous nous sommes égarés. Il vient à notre rencontre quand nous revenons à lui. Et il nous parle avec beaucoup de bonté, même quand nous nous croyons justes.

Dieu donne en abondance. Mais cet héritage ne peut être confisqué. Et celui qui cherche à posséder se coupe lui-même de la source. L’histoire racontée par Jésus est celle d’un fils qui a des difficultés à se positionner vis-à-vis de l’abondance qui est celle de son père. Il commence par la considérer comme un dû : ce qui est à son père est à lui. Cette assurance le pousse à revendiquer sa part de richesses. Mais, en s’en emparant, il tord sa relation au père. Une fois dans le manque, il a l’impression que son attitude a modifié quelque chose à son statut de fils. « Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils » (Lc 15,19). La dignité est donc à comprendre comme la capacité à user justement de l’abondance de Dieu. Être fils ou fille, c’est pouvoir se positionner avec justesse vis-à-vis de l’abondance offerte par lui. S’en emparer, c’est risquer de ne plus se considérer comme fils, c’est-à-dire de ne plus voir en Dieu un père. Le fils doute ainsi de sa capacité à être légitime aux yeux du père qui, pourtant, ne prive personne de ses largesses.

Être fils ou fille de Dieu, c’est être en capacité d’avoir accès à l’abondance sans l’accaparer, sans se croire propriétaire. Cela consiste à ne pas croire que tout ce dont nous vivons au quotidien, nous le méritons. La parabole du fils qui se croit possesseur éclaire nos propres travers. Nous ne méritons rien de tout ce que nous recevons gratuitement au cours de cette existence. Pourtant, nous jouissons à l’infini de l’abondance du Père. En être digne, c’est disposer de cette vie tout en sachant qu’elle n’est pas à nous. Comme le fruit de l’arbre dans le jardin d’Éden, l’héritage ne doit pas être confisqué et avalé. Ce savoir est rassurant et c’est bien ce que dit le père au fils qui, lui, est resté : « Tout ce qui est à moi est à toi » (Lc 15,31). Cette parabole est invitation à profiter des dons que la vie dispense sans limite, car tout ce qui est au père est aussi à ses enfants. Voilà un mode d’emploi clair de l’abondance présente dans ce monde.

Il est urgent pour nous d’entrer dans ce monde de Dieu, monde de la miséricorde, de la gratuité et du pardon. En ce temps du Carême qui nous prépare à Pâques, nous sommes tous appelés à intensifier ce chemin intérieur de conversion. Laissons-nous toucher par ce regard plein d’amour du Père et retournons à lui de tout notre cœur, en rejetant tout compromis avec le péché. L’Eucharistie que nous célébrons rassemble des pécheurs pardonnés. Ensemble, nous rendons grâce à Dieu notre Père pour ce passage de la mort à la vie.