C 15 LUC 10,25-37 (16)
Frères et sœurs, les lectures bibliques de ce dimanche nous adressent une invitation à « écouter la voix du Seigneur ». Beaucoup ont tendance à penser que sa voix est lointaine et inaccessible. Quand ils prient, ils ont l’impression de parler à un mur ; si Dieu ne répond pas, comment savoir ce qu’il attend de nous ? D’une manière ou de l’autre, nous pouvons avoir ce sentiment de l’absence de Dieu dans notre vie.
La réponse, nous la trouvons dans la première lecture (Dt 30,10-14). Moïse nous fait comprendre que nous cherchons trop loin. La Parole de Dieu est toute proche ; elle veut trouver le chemin de nos cœurs et se dire par nos lèvres ; elle est dans nos rencontres quotidiennes ; elle est aussi dans les projets qui naissent en nos cœurs, spécialement en cette période de vacances. Oui, la Parole de Dieu est là au cœur de nos vies. Mais trop souvent, nous hésitons à la mettre en pratique. On se dit qu’il vaut mieux ne pas chercher à entendre les appels auxquels on ne veut pas répondre.
Mais pour un fils ou une fille de la Bible, la Parole de Dieu doit être écoutée, savourée et vécue à longueur de vie. Il ne peut en être autrement. A travers cette Parole de Dieu, c’est Dieu lui-même qui habite au plus intime du croyant. Pour le fidèle, cette Parole n’est pas un poids mais une joie. Elle n’est pas là pour nous écraser mais pour nous élever. Quand elle a pénétré dans notre vie, c’est comme une sève dans l’arbre ou une rivière dans la plaine. Tout fleurit et tout produit du fruit. Avant d’être un visage, Dieu est une voix capable de nous rejoindre au plus proche de notre cœur. Alors, nous pouvons faire nôtres les paroles de ce psaume : « Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur mais écoutons la voix du Seigneur » (Ps 94).
Dans la seconde lecture (Col 1,15-20), saint Paul nous invite à faire un pas de plus dans l’accueil de cette parole. A son époque beaucoup pensaient que des puissances mystérieuses servent d’intermédiaire entre Dieu et l’humanité, le Christ leur étant assimilé. Dans sa lettre, saint Paul réagit vivement : il proclame la place unique et centrale du Seigneur Jésus : il est « l’image du Dieu invisible » (Col 1,15) ; il existe depuis toujours en Dieu. C’est par lui et pour lui que Dieu a tout créé. Alors comme Pierre, nous pouvons lui répondre : « A qui irions-nous ? Tu as les paroles de la Vie éternelle » (Jn 6,68).
Dans l’Évangile de ce jour, Jésus renvoie son interlocuteur à cette loi qui est inscrite dans le cœur des hommes. Il n’assène pas des réponses toutes faites. Il fait appel à notre responsabilité. C’est à chacun de trouver la bonne réponse : « Que dois-je faire pour avoir en héritage la Vie éternelle ? » (Lc 10,25). A travers sa manière de répondre, Jésus nous montre déjà un chemin. C’est vrai, nous sommes facilement tentés de faire la leçon, de donner des réponses toutes faites et d’imposer notre point de vue. Jésus nous montre que le vrai dialogue doit respecter l’autre et l’aider à trouver ses propres réponses.
Et « qui est mon prochain » (Lc 10,30) ? Jésus répond en nous racontant l’histoire de cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho. Cette descente de trente kilomètres traverse une zone désertique. A l’époque, les brigands s’y cachaient pour dépouiller les voyageurs qui s’y aventuraient. Voilà donc cet homme victime de cette agression. A son malheur physique et moral, s’ajoute pour lui une exclusion d’ordre religieux. Touché par des impurs, il est lui-même devenu impur.
Deux hommes, un prêtre et un docteur de la loi croisent le chemin de ce malheureux. Tous deux connaissent bien le commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur… Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lc 10,27). Mais ils savent aussi que cet homme est devenu impur. Un simple contact avec lui les rendait inaptes à la célébration du culte. Ne leur jetons pas la pierre : nous sommes parfois nous aussi des donneurs de leçon ou des défenseurs de la loi. Il est plus facile de dire la loi que d’approcher ou de rencontrer celui qui en est la victime.
« Lequel des trois a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » (Lc 10,36). Il ne s’agit plus seulement du prochain que je dois secourir mais de celui qui m’a secouru. Avant d’aimer, nous devons reconnaître que nous sommes aimés. Nous ressemblons à cet homme qui est tombé et qui a besoin d’être secouru. Depuis notre naissance, nous avons bénéficié de l’amour de nos parents et de notre entourage. A l’origine de cette chaîne, nous trouvons Dieu lui-même. Il est le bon samaritain qui s’est manifesté par son Fils Jésus. Jésus est descendu du ciel ; il nous a pris en pitié. Il s’est fait le prochain de toute l’humanité.
Le prochain ce n’est pas l’autre ; c’est tout homme qui s’approche des autres avec bienveillance, même s’ils sont étrangers ou hérétiques. Nous n’avons pas à faire un tri entre les hommes, ceux qu’il faut aimer et les autres. Nous devons tous nous retrouver frères. L’amour du prochain c’est la réconciliation avec ceux que Dieu aime. Il nous aime tous, même ceux que nous excluons.
Les Pères de l’Église ont favorisé une lecture dite allégorique de cette parabole, centrée sur la grande histoire du salut. Pour eux, le Bon Samaritain symbolise le Christ descendu à hauteur de notre humanité blessée, et l’homme laissé pour mort renvoie au genre humain, lequel s’est éloigné de sa source et souffre d’une vulnérabilité extrême à ces brigands que sont le péché, les convoitises, les passions. Incapable de s’en sortir seul, il ne peut compter sur la Loi, « impuissante à sauver », ni sur ses propres forces. L’auberge est l’Église dispensatrice des sacrements qui guérissent, c’est-à-dire purifient et adoucissent. Le vin et l’huile du Samaritain représentent les sacrements institués par le Christ. Les deux piécettes représenteraient quant à elles, les deux Testaments. Le Christ apparaît ici comme le seul à être en mesure de sauver l’humanité.
La lecture que font les Pères de cette parabole n’exclut pas l’implication très concrète de la charité à l’égard de ses semblables, mais elle évite le moralisme en ouvrant une perspective sur la vie même de Dieu manifesté en Jésus. Si nous sommes invités à aligner notre comportement sur celui du Christ, malgré sa « folie » apparente aux yeux du monde, nous savons qu’il s’agit surtout de nous laisser configurer au Christ et informer de l’intérieur par un amour qui nous dépasse, l’Esprit vivant en nous : « S’il me manque l’amour, je ne suis rien » (1 Co 13,1).
Du coup, aimer mon prochain, c’est aimer le Christ qui s’est fait proche. C’est aussi aimer l’Église car « le Christ et l’Église c’est tout un ». Le Christ est mon prochain ; il m’a soigné, chargé sur sa monture et confié à l’auberge de l’Église. Je lui dois donc toute ma reconnaissance. À sa suite, je dois me faire proche de tous les blessés de la vie pour les servir. C’est à notre amour que nous serons reconnus comme disciples du Christ.
Le bon Samaritain ne s’est pas posé de questions devant ce juif qui était pourtant son ennemi d’une autre race, d’une autre religion que lui ; il l’a aimé et aidé. En revanche, le prêtre et le lévite employé au Temple, proches du juif par la race et la religion, s’en sont détournés. La charité n’est pas objet de parlotes, mais d’action : « Va, et toi aussi, fais de même » (Lc 10,37).
Par un clin d’œil salvateur que ses auditeurs ont très bien saisi, Jésus invite ses contemporains juifs à universaliser cet amour, à ne pas le réserver à leurs seuls coreligionnaires, mais à l’étendre à tous, comme à ce Samaritain honni par les juifs.