C 25 LUC 16, 01-13 (12)
Chimay : 18.09.2022
Aujourd’hui, frères et sœurs, Jésus nous invite à réfléchir sérieusement sur l’utilisation que nous faisons de l’argent et des biens de ce monde. Car « l’amour de l’argent est la racine de toutes sortes de maux » (1 Tm 6,10). Pour nous aider à mieux comprendre son message, Jésus nous raconte la parabole du gérant corrompu : ce dernier va être licencié pour faute grave – il dilapide les biens de son maître et va se retrouver à la rue, les poches vides. Il réfléchit très vite à la meilleure solution pour s’offrir une porte de sortie après son renvoi : travailler la terre ? Pas possible ! Mendier ? Ce serait la honte. Il pense plutôt à s’attirer la bienveillance des débiteurs de son maître en abaissant leurs dettes. C’est de cette manière qu’il choisit d’assurer son avenir.
Étrange parabole qui fait l’éloge de l’habileté d’un gérant pourtant qualifié de malhonnête. Jésus ne fait certainement pas l’apologie de la goujaterie de cet homme qui se livre à d’étranges jeux d’écriture comptable. D’un trait de plume, 100 barils d’huile deviennent 50 ; 100 sacs de blé deviennent 80. Comment ne pas penser à ce qui se passe aujourd’hui sur les marchés financiers où les chiffres valsent sans que l’on comprenne bien pourquoi : coût de l’essence, du diesel, du mazout, du gaz et de l’électricité ? L’argent peut en effet nous faire perdre si facilement le contact avec la réalité. Il donne un pouvoir sur tout, et même sur les gens, ou pas du tout si on en manque. L’intendant de la parabole en profite : en manipulant les chiffres, il s’attache la sympathie de personnes susceptibles de l’accueillir plus tard. Il sait se servir de l’argent pour servir ses intérêts immédiats. C’est en cela que cet homme est habile. Il n’est pas digne de confiance pour autant. Car l’argent n’est pas la clef de cette histoire, mais le service rendu qui en attire un autre.
Il est bien sûr hors de question d’approuver cette fourberie. Ce qui est mis en valeur, c’est l’habileté des « fils de ce monde ». Quand il s’agit de leurs intérêts personnels, ils savent trouver des solutions rapides et efficaces. Le Christ voudrait bien que les « fils de lumière » soient aussi habiles pour que l’argent serve à tous. Le pape François nous invite « à répondre à cette ruse mondaine par une ruse chrétienne, qui est un don de l’Esprit Saint ». Il s’agit de s’éloigner des valeurs du monde pour vivre celles de l’Évangile. « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles » (Lc 16,9).
À travers cet enseignement, le Christ nous appelle à choisir entre la logique de la corruption et de l’avidité et celle de la rectitude, de la douceur et du partage. Sainte Teresa de Calcutta avait bien compris ce message : ses amis, ce sont les plus pauvres parmi les pauvres, les miséreux, les exclus. À travers eux, c’est Jésus qui est là. Chaque fois que nous nous mettons à leur service, c’est lui que nous servons. La principale amitié qu’il nous faut chercher, c’est celle de Dieu et non pas celle de nos débiteurs. Il est notre richesse suprême qui nous permettra d’être accueillis « dans les demeures éternelles » (Lc 16,9).
Amos nous adresse une proclamation percutante (8,4-7). Il est un pauvre berger que scandalisent la cupidité et la fraude des riches de son temps. Non qu’il se veuille un défenseur de la morale. Ce qu’il voit d’abord, ce sont les pauvres réduits à la misère et la facilité avec laquelle les riches exploitent cette misère. Ce qu’il voit d’abord, c’est le contre-témoignage donné aux païens par le peuple élu, fier de se savoir choisi pour révéler aux nations le nom de Dieu et ses exigences.
Amos dénonce les manœuvres frauduleuses pour déposséder les pauvres. Jamais Dieu ne pourra oublier cela, dit-il. Il s’attaque durement aux désordres, aux inégalités et à l’exploitation des pauvres. Lui qui était éleveur de bétail s’y connaissait en ce qui concerne la croissance des riches au détriment des pauvres. Il dénonce la tromperie. Quand on profite de la dépendance des plus faibles pour les exploiter encore plus, ce n’est pas tolérable. Ce n’est pas pour en arriver là que Dieu a fait alliance avec son peuple. À travers les opprimés et les exploités, c’est lui-même qui est frappé. « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). Les larmes des pauvres coulent sur les joues de Dieu.
Amos n’est plus là mais son message est plus que jamais d’actualité : il faut savoir que plus de la moitié du patrimoine mondial est détenue par un pour cent de la population. Et que dire des magouilles de tous genres, des tromperies sur la marchandise, des arnaques sur Internet ? Si Amos était là, il dénoncerait l’esclavage actuel : dans certains pays dits du tiers-monde, des hommes, des femmes et même des enfants travaillent de longues heures pour gagner à peine de quoi manger. Quand nous achetons les produits ainsi obtenus, nous participons à cette injustice. « L’argent, c’est le crottin du diable », affirmait le Curé d’Ars. Il est urgent que nous entendions l’appel d’Amos à la construction d’un monde juste et fraternel.
Dans la lettre à Timothée (1 Tm 2,1-8), nous avons le témoignage de saint Paul. L’âpreté au gain, ce n’est vraiment pas son problème. Bien au contraire, il s’est mis au service de la foi et de la vérité. Il annonce un Dieu qui veut « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité » (1 Tm 2,4). Jésus est mort pour tous, y compris pour ceux qui exercent des responsabilités politiques. Paul demande que l’on prie pour tous les hommes et plus spécialement pour les responsables de notre société : que ces derniers facilitent le climat de paix et de dignité dont notre monde a bien besoin. Cette exhortation est à la source de ce qu’on appelle la prière universelle. La prière est sans doute le plus grand service que l’on puisse rendre à ses frères. La vraie prière, c’est de parler à Dieu de son projet, c’est entrer dans son projet et nous en imprégner. Avec lui, nous deviendrons capables de répandre la bonne nouvelle comme une traînée de poudre. Le moment le plus important, c’est la messe du dimanche. On peut la comparer à une vaste réunion de chantier. Ce chantier, c’est celui du Royaume de Dieu. Si nous voulons être fidèles au Maître d’œuvre, notre présence est indispensable. La prière universelle de nos assemblées manifeste notre certitude que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Savoir que Dieu veut sauver tous les hommes n’est pas une raison pour se croire quitte de tout effort missionnaire. Jésus Christ n’a pas agi ainsi, lui qui a porté témoignage jusqu’au sang, tant auprès des autorités romaines qu’auprès de son peuple, de la volonté de salut de Dieu pour tous les hommes.
Le Royaume de Dieu a besoin d’hommes et de femmes à la fois habiles et dignes de confiance, capables d’administrer les biens de ce monde qui leur sont confiés, sans se laisser séduire par la puissance idolâtre de l’argent qui promet de nous affranchir de tout en nous éloignant du monde réel, des pauvres, de Dieu aussi. L’argent peut servir la vie à condition de ne plus être à lui-même sa propre raison d’être et de ne pas servir les seuls intérêts de ses possesseurs. Il permet simplement d’entrer dans une dynamique de don.
Dans quelques jours, nous entrerons dans le mois du Rosaire : en communion avec tous les pèlerins de Lourdes et d’ailleurs, demandons à la Vierge Marie de nous aider à choisir le chemin juste. C’est avec elle que nous trouverons le courage d’aller à contre-courant pour suivre Jésus et son Évangile. Dans le Royaume, l’amitié et l’amour valent plus que l’argent.