A AVENT 03 MATTHIEU 11,02-11 (18)

Chimay : 11.12.2022

Frères et sœurs, pour comprendre le message d’Isaïe (35,1-6.10), il faut savoir que le prophète qui a écrit ces lignes et que l’exégèse appelle le Second Isaïe prêche au vie siècle avant Jésus Christ, lors de l’exil à Babylone. À cette époque, la foi des Israélites se fissure. La longue durée de l’exil dans ce pays étranger et idolâtre les expose au manque de foi et à la tentation des idoles. C’est pourquoi Isaïe prophétise la chute de leurs oppresseurs et le retour dans le pays de leurs pères, pour les inciter à garder leur foi et leurs valeurs ; c’est un monde nouveau qui se prépare : tous sont invités au retour, y compris les aveugles, les sourds, les boiteux, les muets ; tous ces gens étaient exclus des lieux saints à cause de leurs infirmités. Désormais, ils vont pouvoir y retrouver toute leur place. C’est « la revanche de Dieu qui vient » (Is 35,4). Ce sera la joie.

Le salut de Dieu se manifeste par la joie qu’il fait naître. Nous sommes tous appelés à une joie débordante. Le prophète Isaïe nous dit encore que cette joie fait fleurir le désert : « Le pays aride, qu’il exulte et qu’il fleurisse comme la rose » (Is 5,1). Ce désert, c’est quand notre vie est aride, quand elle est sans l’eau de la Parole de Dieu et de son amour. Mais face à toutes ces difficultés, nous ne devons pas nous décourager : Dieu nous montre toujours la grandeur de sa miséricorde ; il nous invite à la patience. « La patience est la force des faibles, l’impatience est la faiblesse des forts » constate Emmanuel Kant. Et Giacomo Leopardi ajoute avec justesse : « La patience est la plus héroïque des vertus précisément parce qu’elle n’a pas la moindre apparence d’héroïsme ». Saurons-nous attendre avec patience et confiance Celui qui vient ?

Cette entrée du peuple d’Israël en terre promise en préfigure une autre, bien plus importante. Saint Jacques nous en parle (5,7-10). Il nous annonce la venue glorieuse du Seigneur et notre entrée définitive dans le monde de Dieu. Mais l’apôtre nous dit que ce n’est pas pour tout de suite ; il nous invite à la patience. Pour mieux se faire comprendre, il nous donne l’exemple du cultivateur : quand ce dernier a semé, il attend la bonne saison pour la récolte. La patience dont nous parle saint Jacques n’est pas une démission. Si le cultivateur attend patiemment la moisson, c’est qu’il a commencé par semer ; de même, c’est tout au long de notre vie que nous nous préparons à cette rencontre joyeuse et définitive avec le Seigneur. « Prenez patience et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche » (Jc 5,8).

Avec l’Évangile, nous assistons au cheminement de Jean Baptiste ; il vient d’être incarcéré car il gênait les autorités en place ; cela ne l’empêche pas d’être tenu au courant par ses disciples de la manière dont se déroule la mission de Jésus. Nous nous rappelons qu’il avait annoncé le jugement imminent et l’épuration des pécheurs (Mt 3,1-12). Mais ce qu’il entend dire ne correspond pas à ce qu’il avait annoncé ; il envoie donc ses disciples pour lui poser la question la plus importante : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » À ce qui pourrait paraître comme l’échec de sa mission, Jésus répond en énumérant les signes qui caractérisent son ministère : guérisons multiples, purification des lépreux, résurrection des morts et surtout la bonne nouvelle annoncée aux pauvres. Ces pauvres à qui Jésus s’adresse, ce sont les petites gens, douces et humbles de cœur, affligées, artisans de paix. À la différence des sages et des savants, les tout petits accueillent les secrets du Royaume (Lc 10,21-24).

Nous ne pourrons être en communion avec Jésus que si nous nous ajustons à son regard sur les petits, les pauvres et les exclus. C’est vers eux qu’il nous envoie. À travers eux, c’est lui qui nous attend. Nous avons besoin qu’il ouvre nos yeux, nos oreilles et surtout notre cœur à leurs détresses. C’est avec Jésus que la joie de l’Évangile est annoncée aux pauvres. Si nous avons compris cela, ce 3e dimanche de l’Avent sera vraiment celui de la joie. « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie. Le Seigneur est proche » (Ph 4,45).

Inutile de nous bercer de trop d’illusions, vivre avec Dieu, c’est être au milieu d’un chantier en construction. Ce monde est un chantier. Notre foi elle-même est un chantier ! Est-ce exagéré ? Faut-il vraiment le démontrer ? L’histoire passée et présente du monde, nos vies et notre quête de la vérité ne suffisent-elles pas à faire comprendre que nous allons de constructions en démolitions, de démolitions en reconstructions ? Ce chantier use d’ailleurs bien des êtres englués dans la boue des soucis ou de l’angoisse des lendemains. L’épuisement en guette plus d’un, à l’usine, au bureau, en famille, en paroisse aussi. C’est comme si le monde se remplissait de blessés et fabriquait des êtres standardisés, exploités, malmenés ou juste ignorés. Le pape François n’a-t-il pas dit lui-même que l’Eglise annonce l’Evangile sur un champ de bataille ?

Parfois même, le vertige s’invite quand nos choix nous conduisent sur des chemins périlleux, à l’affût de sensations fortes ou d’émotions faciles : faut-il avancer, reculer ? Renoncer ? Sans compter les violents, les mafieux, les ambitieux ou simplement les ignorants et les révoltés qui mettent le chantier du monde en effervescence. Sans compter aussi l’angoisse de cette douloureuse rengaine : « À quoi tout cela mène-t-il ? » C’est la question du sens que nous posons, la question de la rédemption, en somme. Nous la percevons dans ce cri angoissé de Jean-Baptiste, enfermé dans une prison qui figure nos propres enfermements : « Es-tu celui qui doit venir ? » (Mt 11,3), lance-t-il au Christ. Comme pour reprendre la clameur, le besoin de libération, de restauration de toutes les générations avant lui et après lui. Rien de plus naturel que de demander cette rénovation, l’avènement du monde comme une demeure de paix, la renaissance véritable pour chaque personne. Dieu veut répondre à notre appel. Il vient habiter parmi nous. Mais regardons mieux : au milieu de nous, n’aurait-il pas choisi, pour demeurer, une baraque de chantier ? N’est-il pas un médecin de tranchées ? Cet Évangile se termine par l’éloge de Jean Baptiste. Jésus dit aux foules qu’il est bien plus qu’un prophète : il est le messager annoncé par Malachie pour préparer la venue du Seigneur dans son temple. Mais Jésus ajoute que le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. Il ne s’agit pas d’une comparaison entre deux personnes mais d’une évaluation de deux temps. Avec Jean Baptiste, c’est la fin de l’Ancien Testament. Avec Jésus, c’est le commencement du Nouveau. Nous passons de l’attente à la réalisation ; c’est l’irruption radicale du Royaume.

Noël est proche : cette fête nous invite à accueillir le Seigneur qui frappe à notre porte. Sa venue devrait nous remplit de joie. Un proverbe persan bien connu affirme : « La patience est un arbre dont la racine est amère et dont les fruits sont très doux ». La joie de ces fruits, nous sommes appelés à la partager aux autres en apportant réconfort et espérance aux pauvres, aux malades, aux personnes seules et malheureuses. Mais n’oublions pas que c’est un futur Crucifié qui naîtra. Le bois de la Crèche annonce le bois de la Croix. Que la Vierge Marie « servante du Seigneur » nous aide à écouter la voix du Seigneur dans la prière. À travers nos frères, c’est lui que nous servons. C’est en lui que nous trouvons la source de notre joie. Qu’il nous donne de nous ouvrir au salut qui vient, au vrai sens de Noël.