A 03 MATTHIEU 04,12-23 (12)

Chimay : 20.01.2023

Frères et sœurs, « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (Is 9,1). Pour nous chrétiens d’aujourd’hui, cette lumière c’est le Christ et sa Parole. C’est ce que vient de nous rappeler le pape François en instituant cette journée de la Parole de Dieu. Il nous invite à remettre le Christ au centre de nos vies ; lui seul a les paroles de la Vie éternelle (Jn 6,68). Elles sont lumière et nourriture pour notre vie de tous les jours.

Cette bonne nouvelle était annoncée par le prophète Isaïe (Is 8,23-9,3) bien avant la venue de Jésus. Son message s’adressait aux Galiléens qui ont subi la déportation en terre étrangère et hostile. C’est à la Galilée, le carrefour des païens, que le prophète Isaïe promet la lumière et la libération. Pour eux c’était une période de ténèbres et de désespoir. Mais voilà qu’Isaïe leur annonce le surgissement d’une « grande lumière ». Le mal, la violence et l’humiliation ne peuvent avoir le dernier mot. Le prophète annonce l’arrivée de la lumière et de la joie. Désormais le peuple va être libéré de toute servitude. « Car le joug qui pesait sur lui, la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran, tu les as brisés » (Is 9,3).

Nous sommes ce peuple qui marche souvent dans les ténèbres. Ces ténèbres, nous les connaissons bien : ce sont celles du péché, de la haine et de la violence, de la trahison et de l’épreuve, de la rivalité, de la guerre et de la division. Pour beaucoup, c’est la perte des repères. Dans l’épître aux Corinthiens (1 Co 1,10-13.17), saint Paul dénonce les divisions entre chrétiens. Chez eux, il y avait des oppositions et des disputes. Certains prétendaient se rattacher à Apollos, d’autres à Pierre, d’autres encore au Christ. Paul les invite à prendre de la hauteur, « à vivre en parfaite harmonie de pensées et d’opinions » (1 Co 1,10). Le fait d’avoir été baptisé par tel ou tel n’apporte rien de plus. C’est autour du Christ crucifié et ressuscité que les disciples doivent se rassembler. Il est lui seul la vraie lumière qui nous permettra de sortir de nos ténèbres.

L’Évangile nous montre précisément l’arrivée de Jésus en Galilée. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il commence par ceux qui en ont le plus besoin : la Galilée carrefour des païens, les pays de Zabulon et de Nephtali. Il faut savoir que c’est un lieu de passage, proche des régions païennes. On y trouvait beaucoup d’immigrés qui venaient du monde païen. Les Juifs qui étaient restés dans la stricte observance les considéraient avec mépris. Or c’est précisément chez eux que Jésus va annoncer la bonne nouvelle et choisir ses premiers disciples. Comme le pape François nous le rappelle souvent, la première urgence, ce sont les périphéries.

Jésus ne s’expose pas inutilement à la violence humaine : ici, à celle d’Hérode qui s’en est pris au Précurseur et l’a fait emprisonner. L’évangile de Jean dirait que son heure n’est pas encore venue. Jésus sait quelle est sa mission : proclamer la Bonne Nouvelle du Règne qui s’approche en sa personne, guérir les malades, chasser les esprits mauvais. Ce qui le conduit à se mettre en retrait, à se séparer de son univers familier : « Il quitte Nazareth et vient habiter à Capharnaüm » (Mt 4,13). Le lieu de résidence choisi par le Christ est l’endroit le plus déconsidéré de la Palestine d’alors : la Galilée étant une terre de mélange ethnique et de syncrétisme religieux. Ce faisant, Jésus accomplit l’oracle prophétique d’Isaïe de la première lecture. C’est précisément à ce peuple assis dans les ténèbres de l’ignorance qu’il vient apporter la lumière. Une thématique que Matthieu a déjà amorcée avec le récit de la visite des mages guidés par une étoile.

Le Premier Testament recèle nombre d’oracles prophétiques annonçant la lumière messianique, une lumière qui viendra éclairer toutes les ténèbres humaines, celles d’Israël et celles de toutes les nations. Rappelons-nous que, pour la Bible, Dieu est Soleil de justice (Ml 3,20), que le Verbe est la lumière du monde (Jn 1,9 ; 8,12). Et c’est à sa lumière que nous pouvons apprendre, nous aussi, à discerner la route à suivre ici et maintenant, à ne pas nous laisser submerger par les émotions – ce que Jésus aurait pu faire en apprenant la mort de son cousin Jean Baptiste – à savoir prendre le temps de retrait nécessaire pour être fidèles à notre mission. D’ailleurs, l’heure viendra où Jésus ne se soustraira pas à la violence des hommes et il en est de même pour nous. Alors, laissons-nous enseigner, par l’Esprit et la vie de Jésus, cette liberté qui est tout à la fois un don et le fruit d’un travail sur nous-mêmes pour reconnaître notre aveuglement et consentir à notre guérison.

Cet appel de l’Évangile nous interpelle. Vingt-et-un siècles plus tard, ce sont toujours les ténèbres qui dominent le monde. Nous assistons à une dictature de l’argent roi… On en veut toujours plus. La haine, la violence, les injustices sont un grand malheur qui enfonce notre monde dans les ténèbres. Et puis, il y a la nuit de ceux et celles qui sont douloureusement frappés par la maladie et le handicap. Beaucoup se demandent pourquoi c’est tombé sur eux. Pourquoi je me retrouve seul alors que les autres ont leur travail et leur vie de famille ?

Mais c’est précisément là, dans ce monde tel qu’il est et dans la situation qui est la nôtre, que le Christ nous rejoint. Il est bien présent, mais trop souvent, nous ne savons pas le reconnaître. Nos yeux sont aveuglés par la tristesse et le découragement. Il va en priorité vers ceux qui sont en difficulté et qui vivent dans le désespoir. Contrairement aux bien-pensants qui enfoncent les pécheurs dans leur mauvaise réputation, le Christ vient plutôt les aider à se relever et à se remettre en route. Son message est porteur d’espérance car il ouvre une porte, celle qui permet de passer des ténèbres à la Lumière. « Convertissez-vous… Venez à ma suite… »

Cette lumière, il nous appartient de vraiment l’accueillir dans notre vie et de la communiquer à tous ceux et celles qui nous entourent. Des prêtres, des catéchistes, des équipes d’aumôneries, des responsables pastoraux s’y emploient. Mais cette mission n’est pas seulement l’affaire de quelques-uns. Le Christ nous appelle tous pour aller avec lui vers les autres jusqu’aux périphéries. Quand Jésus appelle ses disciples, il ne choisit pas les plus intelligents, ni les plus capables. La seule chose qu’il leur demande, c’est de l’accompagner et d’aller avec lui à la rencontre de gens de toutes sortes. Ils se retrouveront face à des personnes qui souffrent de toutes sortes de misères. Quand les disciples se mettent ensemble sous la conduite de Jésus, c’est le Royaume de Dieu qui se construit. « Le royaume des Cieux est tout proche » (Mt 4,17).

En nous rassemblant à l’église en ce dimanche, nous venons puiser à la source de l’Amour qui est en Dieu. Nous nous nourrissons de sa Parole et de son Eucharistie. « Laissons-nous rejoindre par son regard, par sa voix, et suivons-le ! Afin que la joie de l’Évangile parvienne jusqu’aux extrémités de la terre et qu’aucune périphérie ne soit privée de sa lumière », nous demande le Pape François.