A CARÊME 04 JEAN 09, 01-41 (12)

Frères et sœurs, en ce 4e dimanche du Carême, l’Église nous invite à la joie. C’est la joie de ceux qui se préparent au baptême la nuit de Pâques. Pour les premiers chrétiens, ce sacrement était le point de départ d’une rupture avec l’existence qu’ils avaient connue jusque-là. Ils venaient d’un monde sans Dieu dont la vie n’avait pas de sens. Ils avaient le sentiment que c’est seulement par le baptême qu’ils commenceraient à vivre vraiment. Le baptême les arrachait à une vie sans issue. Il leur offrait de participer à la vie divine. Nous avons tous besoin de retrouver cette force et cette joie des premiers chrétiens.

Le livre de Samuel (1S 16,1.6-7.10-13) nous invitait à nous ajuster au regard de Dieu sur les personnes et les événements : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur » (1S 16,7). Dieu ne voit pas comme nous ; Il se sert des petits et des humbles pour réaliser de grandes choses. À travers ce message, Dieu voudrait nous apprendre à avoir le même regard que lui. David était jeune et petit, mais son cœur était tel que Dieu le voulait.

Dans l’épître aux Éphésiens (5,8-14), s’adressant aux chrétiens d’Éphèse et à chacun de nous, Saint Paul dit : « Autrefois, vous étiez ténèbres. Maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière » (Ep 5,8). Vivre en « enfant de lumière », c’est arrêter de voir et de raisonner à la manière du monde, c’est se laisser guider par la lumière qui est en Jésus ; c’est avoir, comme lui, un regard plein de miséricorde. La conversion fait passer des ténèbres à la lumière, dont les fruits sont la bonté, la justice et la vérité. Quiconque aime son frère appartient à la lumière.

Dans l’Évangile, nous voyons précisément des disciples qui raisonnaient à la manière du monde. Face à un homme aveugle de naissance, ils posent la question qui les préoccupe : « Qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » (Jn 9,2). Cette question rejoint les nôtres : « D’où viennent les souffrances, les épidémies, les catastrophes qui accablent de plus en plus de personnes aujourd’hui ? Est-ce une punition de Dieu pour nos péchés ? » Aujourd’hui, Jésus nous apporte une réponse : « Ces malheurs ne viennent pas de Dieu. Dieu est un Père qui aime chacun de ses enfants. Il m’a envoyé “chercher et sauver ceux qui étaient perdus” (Lc 19,10) ». 

Cet aveugle sur la route, aux abords du temple, c’est toute l’humanité, plongée dans les ténèbres de l’ignorance religieuse et du péché. Jésus a vu toute cette détresse. Et il continue à venir pour nous apporter la véritable libération. Beaucoup sont aveuglés par leurs certitudes, leur orgueil. Beaucoup se détournent du vrai Dieu pour s’attacher à l’argent, aux richesses et aux petits bonheurs qui ne peuvent vraiment les combler ; c’est de cet aveuglement que Jésus vient nous guérir. Dans l’Évangile, ni les badauds, ni les parents de l’aveugle-né, ni les pharisiens n’aboutissent à la foi en Jésus : pour croire, il faut se compromettre. Les faits sont là, mais personne ne veut porter de responsabilité et s’engager. Le rejet de l’autre, et dans ce cas précis de celui qui est guéri, exprime avant tout la peur, celle de s’affirmer et de prendre ses responsabilités, celle d’oser se positionner face à l’autorité, ici les scribes et les pharisiens. Pourtant, la guérison est effective et incontestable mais la reconnaître, c’est reconnaître l’action de Jésus. Seul le nouveau voyant fait preuve de claire voyance.

Jésus qui guérit un mendiant aveugle de naissance lui ouvre les yeux deux fois. Il commence par lui rendre la vue qui lui permettra de voir les personnes et le monde qui l’entoure. Il lui ouvre aussi les yeux de la foi. Tout cela se fait progressivement. Dans un premier temps, le miraculé parle de « l’homme qu’on appelle Jésus » (v. 11) ; ensuite il voit en lui un prophète (v. 17) ; puis quand il se trouve devant lui, Jésus lui révèle sa messianité comme il l’a fait pour la Samaritaine, alors il se prosterne en déclarant : « Je crois, Seigneur » (v. 38).

Jésus guérit l’aveugle avec de la boue. Remède naturel ? Recours aux vertus curatives de la terre ? Plutôt un clin d’œil à l’acte créateur de Dieu ! Modelant l’homme avec de la poussière tirée du sol – nous dit la Bible – Dieu insuffla dans ses narines le souffle de vie et l’homme devint un être vivant. Devant ses disciples perplexes, Jésus accomplit le geste créateur sur l’aveugle. Une nouvelle vie s’éclaire pour cet homme qui voit la lumière pour la première fois. Le récit de l’évangile mentionne un détour par la piscine de Siloé. Des raisons sans doute pratiques conduisent l’aveugle à se laver. Cette démarche, également symbolique, fait écho à l’eau du baptême pour les baptisés de l’après-Pâques dont nous sommes. L’eau du baptême lave du péché et fait naître à une vie nouvelle, la vie des enfants de Dieu. Désormais les yeux ouverts, l’aveugle voit la lumière. Et non seulement de ses yeux, mais aussi dans son cœur, puisqu’il formule l’une des plus émouvantes professions de foi de l’Évangile. Cet homme aux yeux propres peut maintenant accueillir le feu, la clarté, la chaleur de celui qui est la lumière du monde. La voilà, la joie que nous célébrons en ce dimanche de la joie : Jésus est la lumière du monde, il est Dieu. La terre, l’eau et le feu se sont donné rendez-vous en ce 4e dimanche de Carême. Nous voici invités, chacun et ensemble, à relire Laudato si’. Avec l’assurance que le Christ a assumé en lui-même ce monde et que, ressuscité, il habite au fond de chaque être, « en l’entourant de son affection comme en le pénétrant de sa lumière » (Laudato si’ n° 221). De la terre, de l’eau, de la boue... et les yeux de l’aveugle s’ouvrent. Geste créateur, à nul autre pareil, qui fait l’homme nouveau. Le temps du Carême est un temps de création. Au fil des jours, si nous le voulons, notre cécité se déchire et notre regard se transforme. Notre cœur de pierre devient cœur de chair. Dieu se donne à voir, à reconnaître. « Sa miséricorde s’étend d’âge en âge » (Lc 1,50).

Comme cet aveugle anonyme, nous sommes appelés à passer des ténèbres à la lumière, c’est-à-dire à la foi. Nous aussi, nous sommes souvent aveugles ou malvoyants. Mais par le baptême, nous avons découvert la Lumière du Christ. Pour les nouveaux convertis, que l’on baptise chaque année à Pâques, c’est une illumination. C’est la Parole de l’Évangile de saint Jean qui s’accomplit : « Le Verbe était la Lumière, qui, en venant en ce monde, illumine tout homme » (Jn 1,9). 

Face à cet homme guéri et sauvé, il y a tous ceux qui sont aveugles dans leur esprit et dans leur cœur ; il y a ceux qui s’enfoncent dans leur aveuglement qui est celui du péché. Comme le hibou ou la chouette, ils sont aveuglés par la lumière du jour. La Lumière de Dieu, la Lumière de la Vérité leur fait peur. Et pourtant retrouver la vue, ce n’est pas rien. Cela change la vie de celui qui en est bénéficiaire mais aussi de son entourage. Les attitudes rencontrées par l’ex-aveugle et son environnement montrent combien il est difficile de reconnaître la guérison comme une nouvelle naissance. La stratégie des pharisiens n’est pas de refuser le miracle mais de pousser les parents comme l’ex-aveugle à dire qu’il n’y a pas eu de miracle ! Mais nous ne devons pas avoir peur de la Lumière de Jésus Christ ; il se présente à nous comme le soleil qui rendra lumineuse notre vie.

Vivre le Carême, c’est accueillir cette lumière qui vient de Jésus. Cette lumière, c’est celle de la foi. Elle nous aide à voir les personnes et les événements avec le regard de Dieu. Comme l’aveugle guéri, nous devenons des témoins du Christ. Et si nous sommes rejetés par la société des hommes, Jésus, lui, nous trouve et se dévoile à nous.