B 10 MARC 03, 20-35 (4)

Chimay : 09.06.2024

Frères et sœurs, ce passage de l’Évangile de Marc que nous venons d’entendre se situe au début de la vie publique du Christ. Le bruit de ses miracles attire déjà les foules de Galilée et d’ailleurs. Mais les pharisiens commencent à se sentir gênés par ce rabbi qui attire les foules, mange avec les pécheurs et guérit les malades le jour du sabbat. Ils entreprennent alors de le discréditer en répandant une rumeur inquiétante : ce Jésus serait possédé par un démon.

Jésus se trouve dans une maison, probablement celle de Pierre, à Capharnaüm. Et là, il est assailli par une foule si avide, si intrusive, si accapareuse, qu’il n’arrive même plus à faire cette chose toute simple qui consiste à « prendre un repas » (Mc 3,20). Cette situation alarme tout le monde, à commencer par sa famille. Sa famille, ce sont sa mère et ses frères. D’autres y verrait le début du succès dont on pourrait se réjouir, mais eux ils ne s’en réjouissent pas : ils le croient en danger. Ils affirmaient : « Il a perdu la tête » (Mc 3,21).

Pour eux, c’est du délire, il est devenu fou, ou pour le dire avec les mots d’aujourd’hui : il est complètement cinglé. Ils ne peuvent pas le laisser dans cette situation. Il faut intervenir pour mettre fin à tout ce cirque. Et c’est ce qu’ils font. Ils le font appeler. Nous le voyons, ils sont bien intentionnés : ils veulent le protéger de lui-même et rétablir l’ordre autour de lui. Mais les bonnes intentions sont parfois redoutables : en croyant agir pour son bien, sans le vouloir et sans le savoir, ils jouent le même jeu que ses ennemis.

Ses ennemis, c’est une délégation officielle venue exprès de Jérusalem : des scribes, c’est-à-dire des spécialistes de la religion, qui sont devenus une sorte de police religieuse et ils sont là pour en découdre. Ils accusent Jésus d’être « possédé par Béelzéboul » (Mc 20,22). Les scribes sont étonnés de l’action du Christ. Personne n’a jamais fait ce que Jésus fait. D’où lui vient ce pouvoir ? De quelle autorité chasse-t-il les démons ? Ces scribes savaient que Jésus agissait avec une force qui dépasse l’être humain. Alors ? D’où lui vient cette force ? Est-ce de Dieu ou du démon ? Si c’était de Dieu, ils seraient obligés d’accepter non seulement ses œuvres, mais aussi son enseignement. Cela leur semble impossible. Pour eux, accueillir la doctrine de Jésus signifie s’abaisser, reconnaître leur erreur, se convertir. Il leur était beaucoup plus facile d’accuser Jésus d’être possédé par Béelzéboul. La difficulté des scribes était de ne pas arriver à reconnaître le Christ comme le Seigneur souverain, avec sa doctrine et sa façon d’agir. Comme la famille de Jésus, les scribes veulent eux aussi rétablir l’ordre.

Mais Jésus est libre. Il ne se laisse pas enfermer, ni par ceux qui lui veulent du bien, sa famille, ni par ceux qui lui veulent du mal, les scribes. Alors il réagit. Il saisit cette occasion pour déclarer que sa vraie famille n’est pas celle du sang, mais celle de l’Esprit. C’est une famille spirituelle. « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère » (Mc 3,35). Voilà pour sa famille. On peut imaginer que cela a pu jeter un froid.

Et puis c’est au tour de ses accusateurs. A eux aussi il répond, et sa réponse n’est pas la réponse d’un fou. C’est une réponse réfléchie et tout à fait pertinente, une réponse qui s’appuie sur le raisonnement logique. Voici ce qu’il leur dit : « Vous m’accusez d’être habité par Satan parce que je chasse les démons. Alors je vous prends au mot. Vous n’êtes pas sans ignorer que les démons sont envoyés par Satan. Donc si vous dites que Satan me conduit à chasser les démons, cela signifie que Satan se combat lui-même. Or une armée qui, au lieu de combattre l’ennemi, se combat elle-même, a perdu la guerre. Donc si Satan se combat lui-même, il a perdu d’avance » (Mc 3,23-26). Nous le voyons, la logique de Jésus est implacable.

Tentons de renouer quelques fils. Ces expulsions de démons, qui nous paraissent moyenâgeuses, touchent des problématiques modernes sans issue. Ainsi : Pourquoi le mal dans le monde ? Pourquoi les maladies, physiques et psychiques, alors que l’on croit à la bonté originelle de la nature ? Pourquoi les injustices liées aux inégalités sociales ? Pourquoi les jalousies, les hostilités, qui dégénèrent trop souvent en violences, voire en guerres meurtrières ? Ces maux seraient-ils l’effet de la volonté divine, dont pourtant l’évangile nous dit qu’il faut l’accomplir pour être de la toute aimante famille de Jésus ?

Reste la question de sa folie : Jésus est-il fou comme tout le monde le pense autour de lui ? En un sens, on peut répondre par l’affirmative. Oui, il y a une certaine folie chez lui, comme il y a une certaine folie dans l’Evangile. Déjà une quinzaine d’année avant la rédaction de cet évangile, l’apôtre Paul rappelait aux chrétiens de Corinthe que la sagesse des gens de ce monde était une folie pour Dieu (1 Co 3,19).

Finalement, quel est le sens de ce récit ? Pourquoi Saint Marc l’a-t-il mis dans son évangile? Qu’a-t-il voulu dire ? Eh bien, je crois qu’il a tenu à nous montrer, dès le début de son évangile, que vivre en chrétien peut paraître fou, mais que finalement ce n’est pas grave, parce qu’être fou aux yeux de ce monde, c’est être sage aux yeux de Dieu.

Notre insensibilité au mal nous rend aussi insensibles au bien et à la présence de Dieu dans le monde. Les scribes et les gens de sa parenté voient les œuvres que Jésus accomplit, mais leur cœur aveugle ne peut pas les accepter, et reconnaître que Jésus vient de Dieu. Il faut trouver une raison pour accuser même les bonnes œuvres : « C’est par le chef des démons qu’il expulse les démons » (Mc 3,22), « Il a perdu la tête » (Mc 3,21). Le miracle évident ne suffit pas, l’homme est capable de nier l’évidence. Le miracle se produit quand l’homme reconnaît le signe, reconnaît la sainteté de Dieu et a contrario sa pauvre misère à lui.

Finalement, je dois prendre garde à ne pas tomber dans la grande illusion que le diable me tend : suspecter l’amour de Dieu que le Christ me révèle. Ce rejet de mon unique sauveur, cette négation de la lumière qui inonde mon visage, c’est ce que Jésus appelle le blasphème contre l’Esprit-Saint.

Nous pouvons donc constater que Jésus, comme à son habitude, garde patience avec tout le monde et surtout avec ceux qui le critiquent. Cette attitude du Christ est celle qu’il a avec nous tous. Il est patient avec chacun d’entre nous, il n’abandonne jamais. Malgré nos faiblesses et nos défauts il sera toujours là. Ce passage nous invite donc à toujours nous confier dans le Seigneur.