B 18 JEAN 06,24-35 (8)

Chimay : 04.08.2024

Frères et sœurs, le livre de l’Exode (Ex 16,2-15) nous parlait de la situation dramatique des Hébreux tenaillés par la faim. Ils viennent d’être libérés de l’esclavage d’Égypte. Sous la conduite de Moïse, ils se sont mis en route vers la Terre Promise. Mais dans le désert qu’ils doivent traverser, il n’y a pas d’eau et pas de nourriture. L’inquiétude, l’agressivité et le ton ont monté progressivement. Les Hébreux se sont mis à récriminer contre Moïse et son frère Aaron. Ils en sont venus à regretter les marmites de viande, le pain et les oignons qu’ils avaient en abondance en Égypte.  Pour eux, venir mourir dans ce désert, ça n’a pas de sens. Il aurait mieux valu mourir esclaves et le ventre plein en Égypte, que de mourir libres mais le ventre creux au désert. Ces récriminations, Dieu les entend. Il n’abandonne pas son peuple. Sa Providence est constante dans notre vie comme dans celle du peuple hébreu à qui il donne la manne et les cailles pour le nourrir. Et voici les fils d’Israël rassasiés et apaisés dans cet endroit inhospitalier

Traverser le désert, c’est croiser le manque et le doute. C’est se découvrir pauvre, limité et mortel, solitaire et faible. Mais même dans les situations les plus difficiles, Dieu ne nous abandonne pas. Ce récit de l’Exode que nous venons d’entendre nous recommande d’être assez confiants pour accueillir chaque jour le don de Dieu en rendant grâce. Le pain que le Seigneur nous donne à manger est une source mystérieuse de vie, de liberté et d’action de grâce.

L’Évangile de ce dimanche nous parle également de nourriture. Il fait suite au récit de la multiplication des pains que nous avons médité dimanche dernier (Jn 6,1-15). Jésus vient de nourrir une foule affamée. Pour ces pauvres gens, c’est quelque chose d’extraordinaire dont il faut profiter. C’est sûr que de voir quelqu’un nourrir plus de 5 000 personnes en n’ayant entre les mains que cinq pains d’orge et deux poissons, c’est prodigieux. Ils voudraient donc en faire leur roi. Et ils auraient assuré ainsi le bien-être national… Voilà pourquoi ils couraient après Jésus qu’ils considèrent comme un faiseur de prodiges. Car ils pensent avoir trouvé celui qui pourrait devenir leur providence et sauveur, et répondre à tous leurs besoins matériels. Mais Jésus ne l’entend pas ainsi. Ce n’est pas sa mission ; il a beaucoup mieux à leur proposer.

Face à ces malentendus, Jésus choisit de passer vers « l’autre rive » (Jn 6,25). On peut dire qu’il quitte la rive des seules nourritures terrestres pour se rendre vers celle des nourritures spirituelles et sans doute vitales. Bien sûr, il ne va pas mépriser les biens de la terre. N’oublions pas qu’il vient de nourrir une foule affamée. Mais il voudrait bien qu’on aille au-delà de ce seul désir. Passer sur « l’autre rive », c’est renoncer à la facilité ; c’est se mettre sur le chemin que Dieu nous montre ; c’est reconnaître le vrai pain venu du ciel. C’est pour cette raison que Jésus choisit de se retirer loin de la foule. Son intention est de rejoindre le Père dans le silence et la prière « pour que la foule croie en Celui qui l’a envoyé » (Jn 6,29). C’est intéressant pour nous aujourd’hui cette attitude de Jésus. Ça veut dire que nos prières ne doivent pas se limiter à de simples demandes matérielles. Ce que le Seigneur veut nous proposer est bien plus important.

Les foules sont également passées vers l’autre rive. Elles y ont trouvé Jésus, mais il y a un grave malentendu. Tous ces gens ne pensent qu’à la nourriture corporelle. C’est alors que Jésus leur recommande de travailler « pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle » (Jn 6,27). Il leur annonce un pain « venu du ciel » (Jn 6,31). Cette distinction entre la nourriture matérielle et la nourriture spirituelle était bien connue dans la religion juive. Tous avaient en mémoire cette parole du Deutéronome : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8,3). Ils comprennent quand Jésus leur demande de travailler « pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle » (Jn 6,27). Ils saisissent tellement bien qu’ils en viennent à lui demander : « Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » (Jn 6,28).

Mais tout se complique quand Jésus leur donne sa réponse : « Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la Vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu a marqué de son sceau » (Jn 6,27-28). C’est ainsi que Jésus se désigne comme le nouveau Messie, l’Envoyé de Dieu, celui en qui il faut croire ; et cela, ses auditeurs l’acceptent difficilement. Rendons-nous compte que Jésus se présente comme le pain du ciel, celui qui donne la vie. Cette nourriture est largement offerte à tous. C’est ce cadeau de Dieu que nous accueillons à chaque messe, mais...

Jésus reprend l’enseignement de ses Pères. Éviter la mort ne suffit pas à vivre une vie humaine. L’existence humaine n’est pas une activité simplement biologique. Il s’agit de vivre de la lumière et du salut déjà donnés par Dieu. Cette nourriture-là, Dieu s’en occupe aussi. Dans les récits proposés, la Bible raconte que Dieu pourvoit. Que tout est donné à celui ayant faim et soif de sens, de divin et d’eau vive. Il suffit de s’arrêter, de sortir de sa logique de contrôle et d’accueillir ce qui est souvent déjà là, déjà prêt, en attente de notre acceptation.

Nous sommes sûrement un peu comme cette foule en quête de ce qui nourrit. De quoi avons-nous faim ? Pour nous laisser restaurer en profondeur, la Parole de ce dimanche nous indique trois écueils à éviter. Le premier serait de s’arrêter aux signes extérieurs, sans regarder la main de Dieu qui donne. Saint Paul le souligne en alertant sur la convoitise qui mène à l’erreur. Le deuxième serait de considérer Dieu, comme un distributeur automatique, alors que le don de Dieu dépasse tout calcul de notre part. Le troisième serait de se préoccuper uniquement de nourrir le corps et même parfois de le sur-nourrir sans croire en la parole de Jésus : « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim » (Jn 6,35). Or Dieu donne gratuitement, sans aucun mérite de notre part, sans comptabiliser nos œuvres extérieures. Mais il désire que chacun travaille à une seule œuvre : celle de devenir un homme nouveau.

Dans sa lettre aux Romains, saint Paul insiste sur l’importance de cet aliment spirituel. « Il transforme nos corps mortels en corps spirituels destinés à une vie sans fin » (Rm 8,11). Nous sommes invités à y adhérer en adoptant une conduite digne du Seigneur. Jésus n’est pas descendu du ciel pour nous donner quelque chose mais pour se donner. Il s’est livré pour nous et pour le monde entier. Le Christ est le vrai pain de la vie, le pain du ciel reçu du Père qui comble toute faim corporelle et spirituelle lorsqu’il est reçu dans la foi. Dans l’eucharistie, nous recevons la nourriture qui nous permet de vivre et de croître en enfants de Dieu. Nous chrétiens d’aujourd’hui, nous sommes envoyés dans le monde pour témoigner de cet amour qui est en Dieu et le communiquer à tous ceux et celles qui nous entourent.