C 05 LUC 05, 01-11 (18)
Chimay : 09.02.2025
Frères et sœurs, Isaïe est sans doute le plus grand prophète de l’Ancien Testament ; la première lecture (Is 6,1-8) nous raconte comment il a été envoyé en mission : ce fut une vision grandiose qui lui a fait entrevoir la grandeur et la sainteté de Dieu. À cette occasion, le prophète Isaïe découvre que le Dieu trois fois saint ne dédaigne pas de choisir pour envoyés des hommes pécheurs.
Dans la mentalité de l’époque, on ne pouvait pas s’approcher de Dieu sans risques. La grande leçon de ce récit, c’est que ce Dieu si majestueux veut communiquer avec les hommes. Il désire être proche de nous et se faire connaître. Il compte sur nous pour partager sa vie. « Qui enverrai-je ? Qui sera mon messager ? » (Is 6,8). Il nous envoie pour être ses messagers malgré nos faiblesses et nos peurs. Il veut avoir besoin de nous pour se faire connaître et communiquer au monde ses secrets de bonheur. Isaïe répond : « Me voici : envoie-moi ! » (Is 6,8). La promptitude d’Isaïe rappelle la foi et la disponibilité des apôtres.
Saint Paul a été le plus grand évangélisateur parmi les apôtres. Au départ, il persécutait les chrétiens. Ce qui a fait de lui un apôtre du Christ, ce n’est pas d’abord ses qualités d’orateur ni ses goûts pour les voyages, ni son souci des pauvres et des opprimés. Le vrai point de départ a été sa rencontre avec le Christ ressuscité sur le chemin de Damas (Ac 9,1-19). Il l’a vu vivant au milieu des siens. De cet événement capital pour l’histoire de l’Église, saint Luc donne trois relations (Ac 9,1-19 ; 22,5-16 ; 26,9-18). L’événement s’est produit vraisemblablement vers l’an 36. Le Christ l’a appelé à le suivre ; lui-même nous dit : « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis » (1 Co 15,10). Nous aussi, nous sommes le fruit de cette grâce aussi bien par nos qualités humaines que par la foi que nous avons reçue. Le Christ est toujours avec nous ; comme Paul et bien d’autres nous avons la responsabilité de transmettre ce que nous avons reçu. Le cœur de l’Évangile, c’est Jésus mort et ressuscité pour nous. Sinon, ce serait pour rien que nous sommes devenus croyants.
Puis, dans l’Évangile, nous avons entendu le récit de la vocation de Pierre : lui et ses compagnons reviennent de la pêche. Ils ont passé toute la nuit sans rien prendre. Mais Jésus dit à Simon : « Avance au large et jetez vos filets pour la pêche » (Lc 5,4). Lui et ses compagnons ont passé toute la nuit sans rien prendre ; mais sur la parole du Christ, ils acceptent de remettre la barque à l’eau. Nous connaissons la suite : la pêche dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Simon doit même demander à ses compagnons de venir l’aider sinon cette pêche extraordinaire aurait été perdue.
Aujourd’hui comme autrefois, le Christ nous invite à avancer au large. Comme Pierre, nous n’avons peut-être pas envie de quitter la rive de nos habitudes, le sol ferme de nos certitudes. Comme Pierre, nous avons peiné des mois et des années sans grand résultat. Nous nous sommes engagés dans nos paroisses, nos quartiers, nos lieux de travail et de loisirs. Mais nous constatons que nos églises se vident ; la plupart des jeunes n’y mettent plus les pieds. Nos petits-enfants ne sont pas baptisés. Alors, on se dit qu’il faut s’organiser pour sauver ce qui peut l’être. On ne pense qu’à se protéger d’un monde qui nous ignore, nous ridiculise ou nous persécute.
Mais ce n’est pas cela que le Seigneur attend de nous : ce qu’il nous demande, c’est d’avancer au large. Simon refait exactement ce qu’il a fait toute la nuit sans rien prendre. Mais cette fois, tout est changé car Jésus est à bord. La pêche miraculeuse, ça ne se fait pas tout seul : c’est une mission de toute l’Église. Le bateau coule tellement il est chargé. Mais il faut que Jésus soit à bord. Il doit être là pour commander la manœuvre, donner des ordres et se faire obéir. Il ne suffit pas d’avoir des plans bien élaborés ni d’utiliser les techniques les plus modernes. Le plus important, c’est de jeter les filets et de le faire avec foi « sur sa parole ». La pêche miraculeuse, c’est lui qui s’en charge. Le principal travail, c’est lui qui le fait dans le cœur de ceux et celles à qui nous annonçons la Parole.
Comme Isaïe et les apôtres Pierre et Paul, nous sommes tous appelés par le Seigneur. Il compte sur nous pour une mission bien précise. Il ne s’adresse pas nécessairement aux meilleurs ni aux plus saints. Il n’appelle pas que les enfants sages. Il peut venir nous chercher très loin et très bas. Les grands témoins de la foi sont des pécheurs pardonnés : saint Pierre, Marie-Madeleine, la Samaritaine, saint Augustin, saint François. Son appel est toujours le même : « Avance au large et jetez vos filets » (Lc 5,4). Avec ce qui est petit et faible, le Seigneur peut faire des grandes choses. L’important c’est d’être avec le Seigneur.
Nul ne s’attribue à lui-même cette mission. Mais ce n’est pas tout, elle requiert aussi l’expérience d’une rencontre personnelle avec le Christ, laquelle suppose un lâcher-prise quant aux évidences que nous portons et un acte de confiance risqué. Sans oublier ce passage, incontournable et souvent douloureux, de se découvrir pécheur et fragile. Il faut du temps pour que nous réalisions, comme Paul, que la grâce de Dieu nous suffit et que sa force se déploie dans notre faiblesse (2 Co 12,9). Comment, sans cette expérience, pourrions-nous annoncer la Bonne Nouvelle du salut, comment laisserions-nous la Parole de grâce nous traverser ? Alors l’effroi, qui signe également l’authenticité de l’expérience de Dieu, peut se muer en abandon confiant. Dieu n’est pas à notre mesure humaine, il demeure le Tout-Autre et sa proximité n’en est que plus bouleversante.
Simon-Pierre, Jacques et Jean sont saisis d’effroi. Les barques enfoncent. La quantité de poissons déchire les filets. Pourtant, pêcheurs aguerris, fins connaisseurs du lac de Génésareth, ils avaient peiné toute la nuit sans rien prendre. Mais le Maître n’a-t-il pas demandé qu’ils s’écartent du rivage, avancent au large et jettent les filets ? Comment ce fils de charpentier, absolument pas féru de pêche, a-t-il pu susciter ce signe : les convaincre de jeter à nouveau les filets ? « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras » (Lc 5,10). On comprend que Simon et ses associés tombent à genoux. On comprend qu’ils se mettent à suivre Jésus. Ne nous méprenons donc pas : si l’effroi nous saisit devant les défis contemporains de l’évangélisation, que ce ne soit pas par repli frileux sur nous-mêmes. Mais que ce soit devant le trop grand amour dont nous Dieu aime ! Que ce soit par passion pour tous les hommes. Que ce soit en considération de la multitude à aimer.
En ce jour, nous te rendons grâces, Seigneur, car nous avons bénéficié de la pêche miraculeuse : le baptême nous a arrachés aux flots de la mort et nous a hissés sur la barque ; nous sommes sortis de l’eau comme le Christ est sorti du tombeau. Et nous sommes envoyés à notre tour comme Isaïe et Simon-Pierre. Inspire-nous les paroles et les gestes qui nous permettront d’arracher nos frères aux flots de la misère et de nous mettre à ton service. Amen.