C CARÊME 04 LUC 15, 01-03.11-32 (15)
Chimay : 30.03.2025
Frères et sœurs, les trois lectures de ce dimanche nous invitent à ne pas oublier les merveilles de Dieu. Le livre de Josué (Jos 5,9-12) nous parle d’un Dieu qui a libéré son peuple qui était esclave en Égypte. Au terme d’une longue traversée du désert, on arrive à la terre que Dieu avait promise à son peuple. Cette entrée dans la terre promise donne lieu à une grande fête. Elle est une Pâque nouvelle. Ce récit du livre de Josué nous révèle un Dieu libérateur et sauveur, qui veut que nous soyons libres et heureux.
Tout au long de notre pèlerinage terrestre, nous sommes en marche avec Dieu vers une Terre Promise, le monde de Dieu. L’esclavage que nous devons abandonner, c’est celui qui est provoqué par l’égoïsme, l’amour de l’argent ; c’est aussi celui de l’indifférence et de la violence sous toutes ses formes. Nous avons tous à lutter contre les traces du monde ancien. Mais la question n’est pas de se transformer mais de se laisser transformer par le Seigneur ; ce combat que nous avons à mener n’est pas le nôtre mais le sien. Le Carême est là pour nous inviter à revenir vers lui et à lui donner la première place dans notre vie.
Ce Carême nous est donné comme un temps de réconciliation. C’est le message qui nous est transmis par l’apôtre Paul dans sa lettre aux Corinthiens (2 Co 5,17-21). Cette réconciliation nous a été obtenue par le Christ ; elle ne demande qu’à être accueillie ; l’apôtre Paul nous adresse un appel pressant : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20). Il ne demande qu’à nous accueillir et à nous pardonner. Avec lui, c’est la naissance d’un monde nouveau que chacun de nous peut contempler. « Le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né » (2 Co 5,17).
Tout l’Évangile nous parle de cette miséricorde de Jésus. Il a été envoyé « pour chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10). Il n’hésite pas à faire bon accueil aux pécheurs et aux exclus. Ils font partie de son bien le plus précieux. S’ils sont engagés sur des chemins de perdition, il va tout faire pour les ramener à lui. C’est vrai aussi pour chacun de nous : si nous nous sommes égarés loin de lui, il ne cesse de nous chercher, même si nous sommes tombés très bas. Avec Dieu, il n’y a pas de situation désespérée. Il nous appelle tous à revenir vers lui car il ne demande qu’à nous combler de son amour.
L’Évangile de saint Luc nous rapporte la parabole des deux fils et de leur père. Cette parabole, nous la connaissons bien car nous l’avons entendue souvent. C’est l’histoire d’un garçon qui réclame sa part d’héritage et qui s’en va. Après avoir dépensé tout son bien dans une vie de débauche, il finit par se trouver dans la misère. Il décide alors de revenir vers son père. Ce retour n’est pas dû à une vraie conversion mais à la faim qui le tenaille.
Certains ne se gênent pas pour dire que ce fils indigne mériterait une bonne correction. Ils oublient simplement une chose : cet homme que nous appelons le fils prodigue, c’est chacun de nous ; nous sommes comme lui chaque fois que nous nous éloignons de Dieu. En dehors de lui, nous courons à notre perte. Comme le père de la parabole, Dieu fait le premier pas vers nous ; il nous offre son pardon gratuit ; il n’est que miséricorde pour tous, même si nous avons commis le pire. Nous sommes tous aimés de Dieu ; il nous appartient de le dire et de le redire à ceux qui ne le savent pas.
Mais dans l’Évangile de ce jour, il y a un problème : le fils aîné rejette son frère au lieu de l’accueillir ; il se considère comme un serviteur fidèle en toutes choses ; il ne comprend rien à l’amour de son père ; et le pire, c’est qu’il ne veut pas comprendre ; il finit par se retrouver hors de la maison de son père où son frère fait la fête. C’est désormais lui qui devient le fils perdu. Pour qu’il puisse entrer dans la maison, il faudra que lui aussi se reconnaisse pécheur. Finalement, son père aura bien plus de mal avec lui.
Les deux fils de la parabole de l’enfant prodigue ont un point commun : ils se trompent sur leur père. Le cadet ne l’estime pas indispensable pour vivre : il lui demande sa part d’héritage, littéralement sa part « vie », pour s’affranchir et continuer sa vie. L’aîné, lui, voit dans le père un employeur exigeant et sans cœur qui le contraint à une triste vie de devoir et de labeur.
Pourtant, le père fait preuve de miséricorde, voire de compassion pour ses deux fils. Il attend le retour du cadet, il court à son cou et lui organise une fête. Il célèbre l’enfant contrit et repenti revenu à la vie, celui qui était en perdition mortifère. Ce père porte des traits non seulement paternels mais aussi maternels, comme le montre Rembrandt sa célèbre peinture du père enlaçant son fils avec une main masculine et une main féminine. Tout pécheur contrit et repenti peut trouver réconfort dans ce Père qui accueille son fils à bras ouverts et se réconcilie de grand cœur avec lui.
Le père vient chercher son aîné pour que lui aussi prenne part à la fête du retour de son frère sauvé. Mais celui-là se bloque dans un triple aveuglement. Il s’estime en règle avec son père qui l’enfermerait dans cette triste vie de labeur. Il ne voit pas en lui la miséricorde, le pardon ni l’invitation à vivre. Et, de ce fait, il ne reconnaît pas son frère dans le fils cadet repenti et pardonné. Et nous, nous pouvons nous demander, de quels aveuglements accepterons-nous de nous laisser guérir et pardonner ?
Dans cette parabole, on peut également entrevoir un troisième fils : c’est Jésus lui-même. Il est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus. C’est lui, Jésus, qui a préparé le banquet pour « la grande fête du pardon ». Il est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6) ; c’est par lui que nous devons passer pour aller au Père. Mais rien ne sera possible si nous ne cherchons pas à devenir « miséricordieux comme le Père » (Lc 6,36).
Quand nous refusons cette miséricorde envers les autres, nous sommes mal dans notre peau, bien plus nous péchons contre Dieu ; c’est un affront à celui qui a livré son Corps et versé son Sang pour nous et pour la multitude ; nous oublions que nous sommes tous des pécheurs et que nous avons tous besoin d’être réconciliés avec Dieu. Nous devons tous retrouver le sens profond du sacrement de la réconciliation. Car ce que nous confessons avant tout, c’est l’amour de Dieu pour nous. Avec lui, nous pouvons repartir à nouveau. Il nous restitue la dignité de ses enfants ; il nous invite à reprendre la route sur le chemin qui nous conduit au Père.
En ce temps du Carême qui nous sépare encore de Pâques, nous sommes invités à intensifier ce chemin de conversion. Laissons-nous toucher par ce regard d’amour du Père pour nous tous. Le temps du Carême nous est donné pour revenir à lui de tout notre cœur en rejetant toute compromission avec le péché. La Vierge Marie est toujours là pour nous accompagner sur ce chemin de conversion. Comme aux noces de Cana, elle ne cesse de nous redire : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2,5).