C RAMEAUX LUC 22,14-23,56 (16)
Chimay : 13.04.2025
Frères et sœurs, au commencement du temps, Dieu a créé l’univers pour en faire le théâtre de la relation d’amour qu’il voulait établir avec nous. Et puisque Dieu nous aime non pas en masse, mais d’une manière unique et personnelle, chacun de nous peut se dire : « Dieu a créé l’univers tout entier pour moi ». Et comme la désobéissance de nos premiers parents nous avait séparés de lui, il n’a pas voulu nous abandonner : il s’est choisi un peuple, qu’il a longuement disposé à accueillir la venue de son Fils ; au sein de ce peuple, il s’est préparé une demeure digne de lui, la Vierge Marie, préservée du péché pour être la Mère de notre Rédempteur. Dieu a créé Marie Immaculée, pour moi. Et « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14), Dieu le Fils est né dans la pauvreté de l’étable, il a connu l’exil en Égypte. Dieu s’est fait pauvre pour moi. Pour nous, mais aussi pour moi !
Et voilà que sonne l’heure de notre salut : le Fils de Dieu, Jésus, le Messie, est trahi par Judas, l’un des Douze. La veille de la Pâque, il se met à table avec eux et nous révèle jusqu’où va son amour : « Ceci est mon corps, donné pour vous, […] mon sang, répandu pour vous » (Mt 26,26-27). Jésus, librement et sans contrainte, donne sa vie pour moi. On sait combien il est difficile de se donner sans réserve à ceux que nous aimons : notre époux ou notre épouse, nos enfants, nos amis. Jésus, lui, se livre pour moi qui suis si souvent du côté des indifférents, quand ce n’est pas dans le parti des traîtres. Jésus donne sa vie pour moi. Jésus verse son sang pour moi. Comment pourrais-je douter un seul instant de son amour, de sa miséricorde infinie ? Jésus a versé son sang pour moi. Pascal ira jusqu’à préciser : « Telles gouttes de sang pour toi ».
Alors que ses jours sont comptés, Jésus ne change rien à sa qualité de présence. « Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2,7-8). La lecture de la Passion est longue, très longue. Ce qui surprend dans la lecture continue de ces dernières heures, c’est l’accumulation des chocs et des blessures que Jésus subit. Rien ne lui est épargné. II y a la petitesse de ses disciples qui se demandent encore au moment de la Cène qui est le plus grand. Il y a la trahison de Judas contre de l’argent, de Pierre contre sa sécurité et l’abandon des disciples qui tombent de sommeil. Il y a la haine de la foule, la lâcheté de Pilate et la vilenie d’Hérode. Il y a enfin l’humiliation publique, la souffrance physique et la déchéance sociale. Dans un laps de temps réduit, Jésus expérimente ainsi l’abandon de ses amis, l’injustice politique et religieuse et l’infamie sociale.
Cette accumulation est bien ce qui ressort de cette lecture en continu et qui la rend visible. Jésus n’échappe pas à ce qui fait la vie des hommes et tout donne l’impression que cette fin de vie en condense plusieurs. Pourtant, dans cette suite d’horreurs que l’on ne souhaite à personne, la continuité de son alignement ressort encore plus clairement. Il partage le pain, enseigne à ses disciples, guérit un de ses agresseurs, refuse la violence et élargit sa bienveillance à ses bourreaux alors qu’il agonise. La bassesse qui l’entoure semble ne plus avoir de prise tant il incarne une autre façon de vivre, tant son enracinement en Dieu et en l’amour est grand et stable. La Passion et la violence qu’elle met en œuvre donnent à voir ce qui deviendra lumineux avec la résurrection. Jésus n’a pas changé de route. Il l’a fait tout en douceur et en humanité. Et nous avions besoin d’un long texte pour en comprendre la profondeur.
L’évangile des Rameaux proclamé avant la procession d’entrée nous a rapporté des paroles qui donnent à réfléchir : « Quelques pharisiens qui se trouvaient dans la foule dirent à Jésus : “Maître, arrête tes disciples !” Mais Jésus leur répondit : “Je vous le déclare, s’ils se taisent, les pierres crieront” » (Lc 19,39-40). Voilà donc cette foule à laquelle nous nous joignons pour acclamer le Christ. Mais aujourd’hui, nous voyons qu’elle n’est pas unanime. Il y en a toujours quelques-uns pour récriminer.
Cette foule rassemblée autour du Seigneur rend grâce pour tous les miracles qu’elle a vus. Elle reconnaît en Jésus « celui qui vient au nom du Seigneur » (Lc 19,38). Mais certains estiment que c’est trop et ils lui demandent d’arrêter ses disciples. Aujourd’hui, nous pouvons nous poser la question : « Est-il possible d’en faire trop pour le Seigneur ? » Si nous lisons les Évangiles et l’histoire de l’Église, nous remarquons que ce reproche revient régulièrement : Marie verse un parfum trop précieux sur les pieds de Jésus. Alors Judas fait remarquer qu’avec l’argent correspondant, on aurait pu servir les pauvres. Le curé d’Ars qui vivait très pauvrement se procurera les ornements et les objets sacrés les plus beaux pour le culte. On lui en tiendra rigueur. Ce ne sont là que quelques exemples parmi bien d’autres.
Rien n’est trop beau pour Dieu. Nous n’avons pas à nous retenir quand il s’agit de lui rendre grâce pour les merveilles qu’il accomplit. Nous n’en ferons jamais trop pour lui. Quelquefois, on entend parler de “programme minimum” pour la télévision ou les services publics et nous savons combien cela peut être décevant. Dans notre relation avec le Seigneur, cela ne doit pas exister car lui-même s’est donné totalement, jusqu’au sacrifice de sa vie sur une croix.
Aujourd’hui, nous entrons dans la grande Semaine Sainte de Jésus. Nous allons le suivre jusqu’à son sacrifice sur la croix. Comprenons-le bien : C’est notre vie qui est clouée à la croix avec lui. Notre vie avec ses peines, ses souffrances et ses péchés que le Christ a pris sur lui. « C’était nos péchés qu’il portait dans son corps sur le bois » (1 Pi 2,24). Un jour il a dit « qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13). C’est ce don total du Christ que nous allons célébrer tout au long de cette Semaine Sainte.
Alors n’ayons pas peur d’en faire trop pour Celui qui n’a pas mesuré son amour pour nous. Ne nous retenons pas pour chanter les louanges du Seigneur. Nous sommes tous attendus pour les célébrations du Jeudi Saint, du Vendredi Saint, de la veillée pascale et du dimanche de Pâques. Rejoignons tous les vivants qui tombent à genoux et qui proclament : « Jésus Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père » (Ph 2,11). Et que notre liturgie vécue tout au long de cette semaine nous affermisse dans la foi.
« Seigneur, nous voulons être là avec la foule pour te louer et pour te glorifier. Nous ne voulons pas être seulement des spectateurs. Tu es vraiment le Roi qui vient au nom du Seigneur ! Tu mérites notre louange pour toutes les grandes choses que tu as faites et que tu fais encore. Tu mérites notre reconnaissance éternelle pour tout ce que tu as fait pour nous. Accorde-nous ta grâce, que nous chantions sans cesse tes louanges non seulement par des mots mais également par nos actions ».