Homélie pour le 16ème dimanche du Temps Ordinaire (année A)
(23 juillet 2023)
Chers frères et sœurs, à travers des multiples comparaisons, Jésus s’efforce de faire comprendre à ses auditeurs ce qu’est le règne de Dieu. Comme nous venons de l’entendre, le propriétaire ordonne qu’on laisse le blé et l’ivraie grandir ensemble jusqu’à la moisson.
Dans le domaine agricole, pour espérer une meilleure récolte, ne faut-il pas arracher la mauvaise herbe pour permettre aux semences de se déployer dans des bonnes conditions.
En effet, le bien et le mal se côtoient et s’entremêlent dans le cours du monde. Ainsi, les disciples doivent-ils se garder de rêver du Royaume, comme d’une société parfaite. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre le mal. Le royaume de Dieu est inséparable de la recherche de la justice, de la volonté de changer le monde. Le royaume de Dieu suppose une prise de conscience du mal au plus intime de notre cœur. Le règne de Dieu ne se développe pas à côté de l’histoire des hommes. Il n’atteint toute sa dimension qu’en faisant progresser la conscience des hommes. Si tu aimes la vie, si tu veux le bonheur, détourne-toi du mal et fais le bien, cherche la paix et poursuis-la.
Pour Benoît, l’amour de la vie et le désir du bonheur supposent un itinéraire spirituel qui caractérisé par une foi doublée d’un réalisme qui consiste en une prise de conscience de toutes les forces ténébreuses qui habitent dans nos cœurs, notamment l’orgueil, l’égoïsme, la jalousie, la trahison, la vaine gloire, la ferme résolution de se convertir et l’entraide fraternelle ou le Père Abbé joue un rôle essentiel dans la vie spirituel de sa communauté. Saint Benoît exige du pasteur deux qualités importantes, notamment la discrétion et la bonté. La discrétion, cette mère des vertus, d’après Saint Benoît, c’est le tact, la prudence dans la conduite des âmes. C’est un art de discerner et de mesurer toutes choses en vue de la fin, d’adapter tous les moyens chacun selon sa nature et d’après les circonstances, de tempérer toutes choses, de s’accommoder à la diversité des caractères. Parfois l’Abbé devra montrer la sévérité du maître, parfois la tendresse du père. Tous les frères n’ont pas la même capacité, la même bonne volonté, c’est pourquoi « aux âmes plus nobles et à celles qui comprennent quelques remarques suffiront, tandis qu’aux cœurs durs, aux orgueilleux, il faudra la correction sévère (RB Chap.II). Mais cependant, qu’il aille prudemment : qu’il n’écrase pas le roseau à demi brisé, qu’en voulant trop racler la rouille il ne brise pas le vase. Pour remplir cette délicate mission, l’Abbé aura besoin de l’assistance divine, et c’est dans l’oraison. L’Abbé inspirera plus l’amour que la crainte.
Toutefois, cette bonté ne doit pas dégénérer en faiblesse. L’Abbé aimera les frères mais il haïra les vices. « C’est avec, toute sa sollicitude que le Père Abbé prendra soin des délinquants : car ce ne sont pas les biens portants qui ont besoin du médecin, mais les malades (Mt 9,12). Sa tendresse ne doit pas être une complaisance mièvre, un laisser-aller par rapport aux vices. Dans son enseignement, l’Abbé doit toujours observer la norme que l’apôtre exprime ainsi : Reprends, supplie, réprimande ( 2 Tm 4,2). D’où l’importance de la correction fraternelle. Celui qui aime bien châtie bien.
La vie chrétienne n’est pas bâtie sur une illusion, mais sur la prise de conscience de la réalité. Et cette réalité, c’est que Dieu seul est bon, comme le dit Jésus dans l’Evangile. La bonté n’a rien à voir avec l’optimisme béat et l’aveuglement. Toute réalité humaine est toujours mélangée et composée d’après Cassien. Cependant, le moindre geste de bonté, de compassion, de générosité, d’accueil, deviennent des signes merveilleux que la logique du mal n’est pas victorieuse dans notre monde. Jésus place l’accomplissement de la loi, non seulement dans la conformité extérieure, mais aussi en premier dans le cœur, dans l’attitude intérieure. Bien souvent, nous pensons que le mal est d’abord extérieur à nous-mêmes. Nous accusons les autres, les structures, et parfois même aussi nos héritages génétiques et familiaux. Jésus déclare porter la loi à sa perfection. Il le fait dans une double direction. D’abord en l’intériorisant. Il y reviendra souvent dans ses discussions avec les Pharisiens. Ce faisant, il libère la loi du légalisme et du conformisme. Il la ramène à sa véritable inspiration et en montre sa vraie perfection. Cette perfection réside essentiellement dans l’amour. Seul celui qui aime accomplit la loi.
D’autre part, Jésus parfait la loi en donnant à cet amour sa pleine dimension : la dimension d’universalité. Il doit être un vouloir du bien à tous, une bienveillance universelle. On vous a dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même et tu haïras ton ennemi. Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment des fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes (Mt 5, 43-45). C’est la volonté du Père, immédiatement éprouvée, qui inspire l’être et l’agir de Jésus. Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (Mt 5, 48).
Certes, le Règne de Dieu est déjà commencé. Jésus en a l’expérience en lui-même, dans la proximité radicale de Dieu, dont il jouit et que sa présence et sa parole actualisent en ce monde. Mais le Jour définitif du Royaume reste à venir
En effet, Chez beaucoup d’auditeurs de Jésus, se nourrit des courants apocalyptiques très répandus à l’époque, dans la société juive, et selon lesquels le Règne de Dieu doit s’accomplir d’une manière imminente et foudroyante, à travers un bouleversement cosmique.
A l’apocalypse Jésus substitue la lente maturation du Royaume. Il apprend à ses disciples à considérer Dieu moins comme un magicien qui opère des changements du monde à coup de baguette magique et à travers les actions spectaculaires, que comme un jardinier qui fait confiance, en grande patience, à l’obscur travail de la semence. Il y a le temps de la semailles, le temps de la moisson ; et, entre les deux, il y a le temps de la croissance. C’est le temps de la patience de Dieu ; le délai de la grâce.
Chers frères et sœurs, nous sommes appelés à entrer dans ce temps de Dieu, à nous inspirer de sa patience : Laissons à la petite graine de la parole divine croître en nous. Son développement ne dépend pas de notre affairement, mais de la puissance de l’Esprit Saint dans nos vies. Sauvés en espérance, nous sommes appelés à rayonner dès-ici-bas de la présence du Christ, dans l’attente de sa rédemption définitive.