HOMÉLIE POUR LA DÉDICACE DE SCOURMONT
Scourmont, le 24 octobre 2020
1 R 8, 22-23.27-30 – Ps 45
1 P 2, 4-9 – Lc 19, 1-10
Là où Dieu habite : le Temple, l’Église, la communauté
1. Dieu habite dans son temple : l’Ancien Testament
« Est-ce que, vraiment, Dieu habiterait sur la terre ? Les cieux et les hauteurs des cieux ne peuvent te contenir : encore moins cette Maison que j’ai bâtie. » C’est ainsi que priait Salomon. Fêter la dédicace d’une église de pierre a quelque chose de paradoxal pour des personnes qui croient en un Dieu pur esprit. Déjà, pour Salomon, la maison qu’il avait bâtie pour Dieu, le Temple, ne pouvait évidemment pas le contenir. Et pourtant, mystérieusement, Dieu y habitait : « C’est ici que sera mon nom », disait Dieu à Salomon.
Pour communiquer avec l’homme, Dieu prend des moyens adaptés, et sa « résidence » en un lieu est un de ces moyens. L’inauguration, la consécration, la dédicace d’une église se situe dans cette ligne-là, comme ce fut le cas avec la dédicace du temple de Jérusalem. La consécration à Dieu d’un édifice de pierre ou de bois marque notre enracinement sur cette terre, dans ce monde matériel où nous vivons.
Deux erreurs, me semble-t-il, sont à éviter : limiter au lieu qui lui est consacré la présence d’un Dieu que « les cieux et les hauteurs des cieux ne peuvent contenir » ; ou bien, dire que ce lieu ne joue aucun rôle particulier dans la présence de Dieu pour nous, et c’est à cet aspect-là surtout que nous pourrions être sensibles aujourd’hui. Si nous étions tentés de l’oublier, la liturgie, en fêtant la dédicace d’une église en tant que solennité, nous le rappelle : Dieu habite vraiment ce lieu. Y pénétrer, c’est pénétrer d’une manière spéciale en présence de Dieu. Notre comportement ne peut être quelconque ; on ne peut pas agir n’importe comment, ni y faire n’importe quoi.
2. L’Église, temple spirituel : le Nouveau Testament
Avec le Nouveau Testament, les demeures de pierre comme lieux de la présence de Dieu, ne sont pas abolies. Mais Dieu est présent, d’une autre manière, dans une demeure spirituelle, dont les pierres vivantes sont les chrétiens eux-mêmes. « Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle », écrivait saint Pierre aux chrétiens dispersés dans le monde en dehors de la Palestine. Tous les chrétiens forment ensemble une construction, chacun d’eux étant une pierre vivante. La dédicace d’une église évoque aussi cette réalité qu’est l’Église, l’ensemble des chrétiens, des fidèles du Christ. L’édifice de pierre où nous sommes rassemblés en est une image : l’église de pierre est image de l’Église, Corps du Christ. C’est le même mot, église, qui est employé. De cet édifice spirituel, la pierre angulaire est le Christ Jésus, comme l’annonçaient les anciens prophètes, cités par saint Pierre : « Il est la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. […] Je vais poser en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie, précieuse. […] La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. » Oui, c’est sur la personne du Christ, Dieu fait homme, mort et ressuscité pour nous, que repose l’édifice spirituel de l’Église.
Le rôle des chrétiens n’en est pas moins capital : ils constituent les pierres vivantes de l’édifice : « Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ. » Pour former l’Église, les chrétiens doivent adhérer au Christ par la foi ; sinon, ils sont rejetés, ils deviennent « une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche. Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole. » Et voilà la manière sûre d’adhérer au Christ : obéir à sa Parole. Obéir à la Parole de Dieu, non pas en paroles seulement, mais en actes. Conformer sa vie à la Parole de Dieu, à l’enseignement de Jésus, qui se résume dans le double commandement de l’amour. Et ainsi les chrétiens deviennent « une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour (annoncer) les merveilles de celui qui (les) a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » Les chrétiens unis à Jésus deviennent missionnaires ; l’Église est tout entière missionnaire.
Dans la dédicace de cette église, c’est tout cela que nous fêtons, mais pas seulement.
3. La « petite église » (ecclesiola) : la communauté
Notre communauté n’est-elle pas, elle aussi, une « petite église », selon ce que disaient les Pères cisterciens, un symbole, un lieu de la présence spirituelle de Dieu parmi nous ? Dieu habite chacune des pierres que nous sommes, comme l’ensemble de la construction. Comme toute construction, elle doit être entretenue, sinon elle s’use avec le temps. Si j’honore mon frère, ce n’est pas pour ce qu’il est, pour ses qualités, en prenant soin d’oublier pour un moment ses défauts ; je l’honore parce qu’il est déjà habité par l’Esprit saint, depuis son baptême. Parler ainsi, ce n’est pas dévaloriser sa personne, mais au contraire, lui donner toute sa importance. Que pouvons-nous revendiquer, pour notre personne, de plus important, que d’être le temple du Saint-Esprit ? Chacun de nous est le temple du Saint-Esprit et ensemble, nous formons le lieu de sa présence.
Pour faire briller notre communauté de tout son éclat, il faut que chaque pierre soit nettoyée, astiquée, propre, belle. Le défaut d’une seule a un effet négatif sur l’ensemble. Si je fais quelque chose de mal, c’est tout le corps qui souffre. Chacun est responsable, non seulement de sa propre vie, mais aussi du corps spirituel dans son ensemble. Si une pierre fait défaut, si elle se dégrade, se détériore, c’est toute la construction qui est affectée. Chacun est responsable de la beauté de l’ensemble. C’est à chacun d’accueillir Jésus dans sa maison, comme Zachée, pour qu’il puisse dire en vérité : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison. »
Conclusion
Entrer dans cette église, comme nous le faisons plusieurs fois par jour, c’est pénétrer de manière plus intense dans la présence de Dieu. C’est entrer en communion avec toute l’Église, temple spirituel, pour vivre « le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ. » Entrer dans cette église, c’est resserrer les liens avec les pierres vivantes que sont mes frères, pour former ensemble une « petite église » du Christ en ce lieu de Scourmont, témoin pour le monde de la présence de son Esprit en notre humanité, en attendant de nous retrouver un jour, tous ensemble, dans la demeure de gloire.