HOMÉLIE POUR LE 17e DIMANCHE ORDINAIRE - B

Scourmont, le 28 juillet 2024

2 R 4, 42-44 ; Ps 144 ;

Ep 4, 1-6 ; Jn, 6, 1-15

Humilité, douceur, patience

 

Ce miracle de la multiplication des pains, nous le connaissons bien : Jésus nourrit la foule qui a faim, sans même qu’elle le lui demande. Il comble les besoins de ces gens, pour qu’ils ne soient pas dans la tristesse, pour que, finalement, ils le reconnaissent dans la vocation si spéciale qui est la sienne. Le prophète Élisée, lui aussi, avait nourri les gens qui l’entouraient sans qu’ils le lui demandent. Tous ces récits concernent la faim corporelle, que nous n’avons pas à supporter puisque, pour la plupart d’entre nous, nous vivons dans l’abondance pour la nourriture. Mais sommes-nous aussi comblés pour ce que dit saint Paul dans sa lettre aux Éphésiens ?

Lui, il est prisonnier pour le Seigneur. Il n’a plus la liberté d’agir comme il voudrait : il est en prison à cause de son Maître. Alors il invite ses auditeurs à ne pas manquer, eux aussi, de ce qui pourrait les faire vivre en vérité.

Ce dont ils ont d’abord besoin pour ne pas souffrir d’une faim spirituelle, c’est l’humilité, la douceur, la patience, dit saint Paul au début de cette lecture. De nos jours, certains n’aiment pas qu’on parle d’humilité ; ils voudraient donner des limites à cette qualité, que saint Benoît ne manque pas de mettre en avant. Or, elle n’a pas de limites. Certains vont penser qu’on en parle trop souvent, qu’il y a d’autres qualités à promouvoir dans la vie monastique, dans la vie chrétienne. C’est vrai, sans doute, mais l’humilité reste fondamentale dans la vie chrétienne. Pour certains, en vivre complètement risquerait de nous faire perdre notre personnalité, en nous faisant apparaître « diminués » devant les autres. Mais Jésus ne fut-il pas lui-même diminué, en étant rejeté de plus en plus par ses auditeurs, jusqu’à ce qu’on le mette à mort à l’âge de trente-trois ans ? N’aurait-il pas pu prendre encore du temps pour faire connaître tout l’enseignement qu’il recevait de son Père, pour montrer qu’il faut suivre notre Créateur pour faire évoluer toute personnalité humaine ? Jésus aurait eu encore beaucoup à dévoiler à l’humanité si elle avait voulu le suivre en vérité. Mais il a quitté cette vie terrestre.

Saint Paul, lui, est mort plus âgé que Jésus, mais lui aussi aurait eu encore bien des enseignements à transmettre pour faire connaître la vie chrétienne s’il avait vécu plus longtemps sans être arrêté à plusieurs reprises, alors qu’il était encore en pleine forme. Et puis finalement, il a été condamné et exécuté. Ce fut le même sort pour tous les apôtres, et pour tous ceux qui sont fêtés comme martyrs dans nos célébrations chrétiennes.

Nous sommes donc invités par saint Paul, dans sa lettre aux Éphésiens, à avoir, nous aussi, « beaucoup d’humilité ». Saint Benoît le dit dans sa règle en citant l’Écriture : Qui veut se mettre en avant, prendre de la hauteur, sera humilié ; mais qui s’humilie, qui s’abaisse, sera exalté (cf. RB 7, 1). L’humilité est fondamentale dans la vie chrétienne, comme elle l’a été pour Jésus, pour Marie, sa mère, pour saint Paul, comme elle le sera pour nous tous.

« Ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience », écrit Paul. Si l’on vit d’humilité, on est doux et patient pour les autres. Ce sont des qualités que nous sommes invités à pratiquer chaque jour, à chaque instant même, pour les autres, les membres de notre famille, les frères ou sœurs de notre communauté. Si, dans un échange, nous devenons violents ou impatients par rapport à quelqu’un qui n’est pas de notre avis, qui voudrait mettre son point de vue en avant, alors notre attitude n’est plus celle de l’humilité. Le dialogue devient impossible. Il nous faut, au contraire, être doux et patients pour l’autre : doux pour ne pas lui faire de mal, pour ne pas le blesser, même si nous pensons qu’il a tort ; patients en acceptant un temps de dialogue pour nous faire comprendre, pour que l’un et l’autre puissent évoluer dans leur attitude. En aucun cas, la colère ne doit prendre le dessus ; l’humilité, avec la douceur et la patience, doit toujours être au premier plan, et générer les attitudes qui conviennent.

Et puis, comme le dit ensuite saint Paul, « supportez-vous les uns les autres avec charité ». La charité : voilà bien un sentiment du cœur qu’il n’est pas évident d’avoir, surtout dans une relation rendue difficile par les différences. Saint Paul tenait beaucoup à la charité ; il y a consacré tout un chapitre dans sa première lettre aux Corinthiens. Or, on ne peut pas vivre dans la charité si on ne vit pas en même temps dans l’humilité,

 

la douceur, la patience. On ne peut pas se supporter sans la charité, on ne peut avoir des relations durables avec les autres sans elle, car elle ne passe jamais (cf. 1 Co 13, 8) selon l’apôtre, qui dit encore que c’est elle qui nous permet de « garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix ».

Nous vivons l’unité dans toute communauté chrétienne en général, et dans une communauté monastique en particulier. Nous cherchons l’unité, car il n’est pas possible de vivre en paix lorsqu’une communauté est divisée. Nous le savons bien, mais la situation n’est jamais facile. La paix est toujours à l’origine de l’unité entre des personnes ; sans la paix, il n’y a pas d’unité. Et c’est sans relâche que nous devons faire effort de marcher dans cette direction.

Dans l’évangile de ce dimanche, après la multiplication des pains, Jésus sait que les gens vont l’enlever pour faire de lui leur roi. C’est la réaction spontanée des êtres humains : réduire Jésus à une fonction de roi, alors qu’il n’est pas et ne veut pas être un roi humain. Si on ne reconnaît pas Jésus dans ce qu’il est en vérité, on ne peut pas instaurer l’unité avec lui. C’est peut-être une leçon pour nous : qui est Jésus pour moi ? S’il était roi avec un superpouvoir humain et si j’étais son disciple, je deviendrais ainsi, en tant que chrétien, quelqu’un qui aurait un pouvoir humain. Mais ce n’est pas ma vocation.

Lorsque Jésus est allé jusqu’à la mort en tant qu’homme, il n’avait plus que quelques disciples qui croyaient qu’il était plus qu’un homme. C’est seulement lorsqu’il fut ressuscité que les disciples furent nombreux à le suivre complètement. Finalement, l’unité de toute la chrétienté a commencé à se former seulement après la résurrection de Jésus qui a mis en évidence sa vraie nature divine. Désormais, chaque chrétien, du fond du cœur, doit être animé par une humilité qui lui fait reconnaître, en Jésus, le Fils du Père dans l’unique Esprit.