LA THEOLOGIE DE L'ABBATIAT CÉNOBITIQUE ET SES IMPLICATIONS LITURGIQUES [1]
Introduction.
Au cours des trois dernières années, la pratique de la concélébration quotidienne s'est établie dans presque tous les monastères d'hommes. En beaucoup d'endroits, une question s'est posée : la présidence de cette concélébration quotidienne revenait-elle à l'abbé ou devait-elle être laissée à l'hebdomadier ? Les quelques enquêtes faites à ce sujet ont révélé qu'une très grande diversité s'est déjà instaurée dans la pratique. Ici, l'abbé préside tous les jours la concélébration, ou bien ne concélèbre pas s'il ne remplit pas la fonction de président.
Là, il se mêle tout simplement aux autres concélébrants, laissant à l'hebdomadier le soin de présider. Ailleurs encore, par une sorte de compromis, il partage avec l'hebdomadier la fonction présidentielle. Mais ce qui est plus important, c'est que les mêmes enquêtes révèlent clairement que ces divergences dans la pratique dépendent de divergences plus profondes dans la façon de concevoir la fonction abbatiale.
Pour les uns, l'abbé est dans son monastère ce que l'évêque est dans son diocèse. Chef hiérarchique d'une église locale, il doit normalement en présider la célébration eucharistique, et il ne convient pas qu'il concélèbre sous la présidence d'un de ses subordonnés. Pour d'autres, l'abbé est un frère entre d'autres, désigné par ceux-ci pour être leur centre de communion et pour les guider dans leur recherche de Dieu. Son autorité - à la différence de l'autorité épiscopale - n'étant pas d'ordre sacramentel, elle n'a pas à être manifestée dans la célébration sacramentelle eucharistique. Entre ces deux extrêmes, il y a place pour beaucoup de positions intermédiaires dont certaines tiennent du compromis. De toute façon, le problème se trouve nettement posé. L'autorité de l'abbé peut-elle, oui ou non, être assimilée dans une certaine mesure à celle de l'évêque ? Que l'abbé soit le « représentant du Christ », qu'il soit « pasteur », et même qu'il soit, en un certain sens, « charismatique », nul ne le contestera. Mais toute la question est de savoir ce qu'on met sous ces mots.
La théologie de l'abbatiat est évidemment liée à celle de la communauté monastique. Autrement dit, l'idée que l'on se fait de l'abbé est fonction de celle que l'on se fait du cénobitisme. Or, l'on sait que l'accord est loin d'être fait entre les spécialistes sur toutes les questions relatives à la théologie et à l'histoire du cénobitisme. Tout n'est pourtant pas obscurité et hypothèse en ce domaine. Il nous faudra donc faire le bilan des acquisitions certaines de la science au cours des dernières années et juger, à leur lumière, certaines théories qui tendent à se répandre de nos jours, et qu'on retrouve sous-jacentes à certaines des pratiques mentionnées ci-dessus.
Même si la problématique immédiate de notre étude est celle de la place de l'abbé dans la concélébration, il est clair que le même problème de la présidence se pose pour toute célébration liturgique de la communauté monastique. L'homélie revient-elle de droit à l'abbé ? Est-ce l'abbé ou l'hebdomadier qui préside la célébration de l'Office divin ? Que penser de la conservation ou de l'abandon des pontificaux ? Autant de questions dont la réponse dépend de la théologie de l'abbatiat et de la communauté monastique.
La théologie de l'Eglise doit se lire dans son histoire, faisait récemment remarquer le P. Chenu [1] . Ainsi en est-il de cette forme de vie chrétienne qu'est la vie monastique. C'est pourquoi dans la première partie de notre article nous étudierons l'origine et l'évolution de l'abbatiat cénobitique tant en Orient qu'en Occident, dégageant la théologie de cette histoire, et en indiquant les implications liturgiques. Dans la seconde partie, nous analyserons les diverses interprétations théologiques de ces faits données jusqu'ici, pour enfin tirer un certain nombre de conclusions personnelles.
I ORIGINE ET EVOLUTION
DE L'ABBATIAT CENOBITIQUE
Il y a une façon simple et facile de décrire une évolution rectiligne du monachisme, du stade anachorétique au stade cénobitique. Les premiers ermites se seraient retirés au désert d'Egypte, après la paix constantinienne, pour fuir l'Eglise « installée ». Puis, rapprochant peu à peu leurs cellules autour de pères spirituels charismatiques, ils auraient formé ainsi les premiers groupements semi-anachorétiques. Pachôme aurait ensuite organisé ceux-ci en une forme embryonnaire de cénobitisme que Basile aurait finalement perfectionnée [2] ... Une telle reconstitution est malheureusement trop simple pour correspondre aux faits. La réalité historique est plus complexe. Elle est aussi un peu plus obscure.
Il faut d'abord noter que la thèse traditionnelle faisant de l'Egypte le berceau de tout le monachisme chrétien [3] ne résiste plus à la critique même la moins radicale. Il nous apparaît plutôt maintenant que, sous des formes diverses, le monachisme a surgi, un peu partout à la fois, à peu près simultanément, de la vitalité propre de chaque Eglise locale [4] . Bien avant l'existence du monachisme proprement dit en Egypte, existait un peu partout, au sein des Eglises locales, en Syrie, en Perse, en Cappadoce et peut-être aussi en Afrique, une forme d'ascétisme ou prirent leur origine les mouvements monastiques postérieurs. On a discuté du caractère monastique ou prémonastique de cet ascétisme, mais c'est là, en grande partie, querelle de mots [5] .
On a souvent déduit des conclusion importantes pour la théologie de l'abbatiat, du postulat selon lequel le cénobitisme serait né du regroupement de solitaires autour d'un même père spirituel charismatique [6] . Or, contrairement à l'idée si fortement ancrée en beaucoup d'esprits, c'est l'anachorétisme qui, en plusieurs régions, est sorti du cénobitisme, et non l'inverse. Essayons donc de décrire rapidement cette origine du cénobitisme et son évolution, en Orient d'abord, en Occident ensuite.
A. LE CÉNOBITISME EN ORIENT:
ORIGINE ET ÉVOLUTION
Si l'on essaie de reconstituer l'évolution qui a conduit l'ascèse chrétienne aux formes institutionnelles que nous lui découvrons au IV et Ve siècles, il semble que l'on puisse percevoir deux mouvements, qui ne furent pas sans se croiser et s'influencer mutuellement, mais qui avaient été distincts à leur origine : l'un qui va de l'encratisme judéochrétien aux premières communautés d'ascètes (en ville ou au désert), l'autre qui va du didascalion urbain à l'école du désert.
a) De l'encratisme judéo-chrétien aux premières communautés d'ascètes.
C'est dans les Eglises judéo-chrétiennes que se développa d'abord le fort courant ascétique qui allait plus tard donner naissance au monachisme proprement dit. A ces communautés judéo-chrétiennes était commun un fort courant encratique. On y pratiquait à un haut degré la pauvreté, le jeûne, et la continence absolue qui fut même, au moins durant une certaine période, exigée pour la réception du baptême. Arthur Vööbus a signalé l'existence de telles communautés à Edesse et à Oshroène aux environs de l'an 100 [7] .
Dom Jean Gribomont a récemment démontré le caractère tout à fait orthodoxe de ce courant encratique antérieur aux hérésies qui prendraient plus tard son nom [8] . Il a aussi fait remarquer que ce mouvement, décrit par Vööbus, était loin d'être propre aux communautés chrétiennes de langue araméenne. C'est dans un courant identique que se situe, selon lui, l'ascétisme d'Eusthate de Sébaste et de Basile en Cappadoce [9] . Pour notre part, nous croyons avoir démontré ailleurs [10] que c'est dans un même terroir judéo-chrétien que s'enracine l'ascétisme pachômien en Egypte. D'ailleurs cela ne surprendra pas si l'on songe à la large diffusion qu'eut en Egypte la littérature apocryphe de saveur encratique [11] .
1. Les fils et les filles du Pacte.
La notion biblique d'Alliance (qeiâmâ) était au coeur de la spiritualité judéo-chrétienne primitive de langue syriaque. Elle se développa d'une façon spéciale et, au IVe siècle, les écrits d'Aphraat et d'Ephrem ainsi que le Liber Graduum et les Actes des Martyrs témoignent de l'existence d'une institution appelée l'Alliance ou le Pacte (qeiâmâ) [12] . Les « fils et filles du Pacte » constituent des groupements ascétiques vivant au sein des communautés ecclésiales, étroitement liés à l'ordre sacramentel et hiérarchique. C'est de ces groupements que, par une évolution toute naturelle, naîtra le cénobistisme, en ces régions. Comme le dit très justement dom J. Gribomont : " Cest ici que l'on doit chercher la contribution la plus positive des chrétientés orientales à la préhistoire monastique, plus que dans les excentricités des mangeurs d'herbe, des anachorètes sans toit, décidés à vivre à la façon des animaux sauvages, des stylites, et autres prodiges d'austérité [13] . "
A. Vööbus, il est vrai, a voulu montrer, que l'érémitisme avait été la forme primitive du monachisme syrien, et que le cénobitisme, venu beaucoup plus tard (après Éphrem) avait été mal reçu et même combattu par les milieux érémitiques [14] . Mais Edmond Beck a fait remarquer que les premières oeuvres de saint Ephrem, c'est-à-dire celles de sa période nisibienne, ne témoignent pas de l'existence d'anachorètes [15] . Ceux-ci ne sont mentionnés que dans les ouvrages écrits durant le séjour du saint a Edesse (364-373) [16] . Dom J. Gribomont croit, de son côté, que les solitaires syriaques qui, à partir de la seconde moitié du IVe siècle, se détachent de l'Eglise locale, ont subi l'attraction de l'anachorétisme égyptien [17] .
De toute façon, même si l'on admettait avec A. Vööbus l'existence d'un érémitisme antérieur au cénobitisme proprement dit, il demeurerait clair et certain que le cénobitisme syrien n'est pas né en dépendance historique de l'érémitisme, mais qu'il se situe directement dans le prolongement de l'ascétisme primitif intra-ecclésial des fils et filles du Pacte.
Il apparaît donc que la plus ancienne forme de cénobitisme est née de la simple nécessité de communion entre les membres d'une Eglise locale pratiquant le même degré avancé d'ascèse. La réalité de la communion est tellement essentielle et constitutive de cette forme de cénobitisme qu'elle suffit à elle seule, en l'absence de supérieur, à maintenir la cohésion du groupe. Ces ascètes demeurent, en effet, comme tout autre chrétien, sous la juridiction ordinaire et immédiate de la hiérarchie locale, et le père Olaf Hendriks a montré leur étroite coopération avec celle-ci [18] .
Tout cela ne se rapporte certes pas directement au problème de la place de l'abbé dans la concélébration!... mais c'est d'une importance capitale pour la théologie de la vie cénobitique et, conséquemment, pour celle de l'abbatiat qui germera peu à peu au sein du cénobitisme.
2. L'ascétisme basilien.
Le mouvement de l’ascétisme vers le cénobitisme proprement dit fut, en Cappadoce, assez semblable à celui que nous avons constaté en Syrie. Les disciples d'Eusthate de Sébaste, dont, il est vrai, nous savons peu de choses [19] , ressemblaient en plus d'un point aux fils et filles du Pacte d'Éphrem et d'Aphraat. Pour Basile, en tout cas, nous sommes mieux renseignés. Les études de dom jean Gribomont sur l'histoire du texte des Ascétiques de saint Basile [20] lui ont permis de reconstituer l'évolution de l'institution basilienne elle-même. Ici, comme en Syrie, le cénobitisme se constitue par une communion fraternelle toujours plus étroite entre ascètes, au sein même de l'Eglise locale. Cette spiritualité, toute évangélique, est une mystique communautaire fondée sur le renoncement à la volonté propre et le don intégral de soi-même à la communauté des frères. La plus belle expression littéraire de cette mystique est sans doute à chercher dans l'Hypotypose de Grégoire de Nysse [21] .
Il est important de considérer avec attention la conception de l'obéissance et de l'autorité au sein de ce cénobitisme, dont la communion fraternelle constitue si explicitement l'essence. Voici ce qu'écrit à ce sujet Dom J. Gribomont : « L'obéissance se définit comme une conformité parfaite aux commandements de Dieu tels que l'Ecriture les révèle, ce qui est requis de tous, et n'implique point de référence nécessaire à un abbé ; elle trouve sa norme, le cas échant, dans les besoins et les avis des autres, et se range à l'avis de ceux qui ont un charisme particulier de discerner la volonté divine [22] . »
Au fur et à mesure des années, toutefois, la fraternité basilienne acquiert une structure plus déterminée, plus organisée. Des exigences même de la fraternité naît en son sein un supérieur. « Dans ces textes (i. e. le Grand Ascéticon), écrit encore dom J. Gribomont, on voit se profiler pourtant un groupe de responsables, qualifiés parfois d'un terme à réminiscence biblique, mais non technique, le participe πроεστώς ; dans le corps du Christ, l'Eglise identifiée à la communauté, ce terme désigne le supérieur en acte, qui jouit du charisme de « l'oeil " et discerne la volonté de Dieu. L'idée n'est aucunement qu'une décision arbitraire de sa part soit garantie par Dieu et devienne volonté divine; son rôle et son devoir strict est de reconnaître ce que Dieu demande de chacun. [23] »
Ces faits sont significatifs. Le supérieur basilien est né de la vitalité même de la fraternité. Il est un élément de la structure que se donne celle-ci pour mieux accomplir dans la cohésion son idéal d'ascèse chrétienne. Il ne remplace pas l'autorité hiérarchique sous la juridiction de laquelle demeure la fraternité. En conséquence, sur le plan liturgique et sacramentaire, il ne se distingue aucunement des autres frères.
3. Le cénobitisme pachômien [24] .
La fondation de Pachôme est antérieure à celle de Basile. Si nous avons traité d'abord de ce dernier, c'est qu'il se rattache plus étroitement, à travers Eusthate, au courant spirituel rencontré en Syrie. Cet accroc à la chronologie est d'ailleurs sans conséquence, puisque Basile n'a pas subi l'influence de Pachôme et que le cheminement de sa pensée est original [25] .
Même si les liens du monachisme pachômien avec les Eglises syriennes sont moins directs, il reste toutefois, comme nous l'avons dit plus haut, que c'est dans un contexte spirituel judéo-chrétien similaire que se situe la fondation par Pachôme de sa Koinonia. De même que, pour les ascètes de Syrie, le « Pacte » c'est tout simplement l'accomplissement de l'alliance d'Abraham, l'engagement baptismal, de même, chez Pachôme, la vie du moine découle de son baptême. La vocation de la Koinonia est la mise en pratique intégrale des promesses du baptême [26] .
Entre l'ascétisme basilien et le cénobitisme pachômien, il y a sans doute certaines différences. D'abord, l'un est citadin et l'autre s'est constitué dans les bourgades coptes de la Haute-Egypte. Il y a aussi une autre différence provenant du fait que Basile, en qualité de pasteur, a organisé peu à peu des groupements déjà existants, alors que Pachôme a constitué en « communauté » (Koinonia) un groupe de rudes paysans. Et cependant l'inspiration fondamentale des deux spiritualités est la même : la communion dans l'ascèse et la recherche de Dieu.
Il importe, en effet, de bien voir l'originalité de la communauté pachômienne par rapport aux communautés semi-anachorétiques de Basse-Egypte. Ces groupements d'anachorètes autour d'un père spirituel existaient même en Haute-Egypte au temps. de Pachôme. Celui-ci a même fait partie d'un tel groupe, sous la direction de Palamon. Mais il ne faut pas se laisser donner le change. La communauté pachômienne, la Koinonia, est quelque chose de très différent de ces groupements, et elle se rapproche beaucoup plus, dans son inspiration et sa conception du cénobitisme, de la spiritualité basilienne.
Pour ses biographes comme pour ses disciples, Pachôme est en effet le « fondateur de la Koinonia ». Son titre de gloire est d'être celui « par qui a été fondée la vie cénobitique [27] ", c'est-à-dire la Koinonia sainte par laquelle Dieu « a fait connaître la vie apostolique aux hommes qui désirent être à l'image des apôtres [28] ». Les successeurs de Pachôme seront, à leur tour, très soucieux de préserver l'unité de la Koinonia. Horsièse aura le courage de se démettre de ses fonctions de supérieur général de la Congrégation en faveur de Théodore, lorsqu'il se sentira incapable de maintenir cette unité. Et Théodore, assumant cette charge de supérieur général, en qualité de vicaire d'Horsièse, suppliera les moines de ne pas oublier celui par qui « cette foule (est) devenue un seul esprit et un seul corps [29] ».
Ce qui fait la spécificité de la communauté pachômienne, c'est donc précisément qu'elle n'est pas simplement le regroupement d'individus autour d'un moine charismatique, mais une communauté de frères [30] . Ceci est fort bien exprimé dans un des préceptes de Pachôme : « Si quis accesserit ad ostium. monasterii, uolens saeculo renuntiare et fratrum adgregari numero...fratribus copuletur [31] . »
Cette Koinonia, cette unanimité des cœurs, qui se veut à l'image de la communauté primitive de Jérusalem [32] , n'est pas une simple « fraternité » de caractère purement « spirituel ». Elle est quelque chose de concret. Elle consiste à se mettre concrètement et physiquement au service les uns des autres. Conformément à l'idée traditionnelle de l'autorité aux premiers siècles de l'Eglise, Pachôme considère son rôle de supérieur comme un service [33] , et il sera extrêmement intransigeant sur ce point chaque fois que ses disciples voudront lui donner un traitement de faveur [34] . C'est dans le service mutuel que Pachôme, dès le commencement, avait vu l'essence du cénobitisme. C'est pourquoi, si dans ses débuts avec ses premiers disciples il accomplissait tous les services matériels lui-même, c'était parce qu'eux « n'étaient pas encore arrivés au degré tel qu'ils se fissent les serviteurs les uns des autres [35] ». C'est cette notion de service qui explique la conception pachômienne de l'autorité et de l'obéissance aussi bien que l'organisation concrète des « maisons » et des « monastères ».
Donc, pas plus que celui de Syrie ou de Cappadoce, le cénobitisme pachômien n'est « une tentative pour organiser à l'échelle communautaire la paternité spirituelle du désert » où « tout est suspendu à la grâce du père ». Tout comme celui de Cappadoce et de Syrie, bien que de façon moins apparente, il est né de l'exemple donné par la communauté primitive de Jérusalem et dans le prolongement de l'ascèse chrétienne vécue au sein des communautés. Il est avant tout une fraternité. Le rôle du supérieur, si vénéré, se situe au sein de cette fraternité et sur le plan de la communion de vie, non sur celui d'une autorité hiérarchique. On ne saurait en trouver de meilleure expression que ces paroles prononcées par Pachôme sur son lit de mourant : « Voici que je vais me rendre auprès du Seigneur qui nous a créés ; vu qu'il nous a réunis ensemble pour que nous accomplissions sa volonté, eh bien, vous autres, dites ensemble qui vous désirez avoir comme votre père [36] . »
Nous trouvons donc à travers tout l'Orient chrétien ancien une tradition cénobitique unanime, distincte de la tradition érémitique, et où le cénobitisme a sa raison d'être en lui-même, sans au-delà érémitique, à cause de la réalité même de la communion fraternelle qu'il incarne et réalise. Dans cette perspective, la fonction abbatiale apparaît comme une nécessité de la communion. Essentiellement différente de celle du pasteur hiérarchique (l'évêque), l'autorité de l'abbé se situe sur le plan de la recherche commune de la volonté de Dieu. L'abbé a comme tâche d'aider la communauté comme telle à découvrir la volonté de Dieu sur elle. Cette autorité, de sa nature, n'exige aucune manifestation sacramentelle.
b) Du didascalion urbain a l'école du désert.
A côté de cette tradition cénobitique, se développa, au sein même de l'anachorétisme, une nouvelle forme de groupements monastiques et une nouvelle forme de paternité spirituelle. Ce mouvement nous intéresse moins directement, pour le moment. Il importe toutefois d'en dire quelques mots, ne fût-ce que pour mieux saisir l'originalité et le caractère propre du cénobitisme proprement dit.
Paul et Antoine s'étaient avancés seuls dans le désert. Mais bientôt l'expérience montra que quiconque voulait embrasser la difficile vie du désert devait se mettre à l'école d'un moine expérimenté et porteur de l'Esprit (pneumatophore). Cet « ancien », cet « abbas » transmettait à ses disciples rassemblés autour de lui les principes monastiques, et assurait leur formation à la vie ascétique [37] . Si, en certains milieux, on manifestait un certain anti-intellectualisme, ailleurs cette formation pouvait prendre un aspect intellectuel poussé, comme dans le cercle d'Ammonios, lecteur assidu d'Origène, où fut formé Evagre à Scété [38] .
La fonction de ce père spirituel du désert autour duquel s'assemblent les disciples doit probablement être mise en relation avec celle des didascales connus dans l'Église ancienne [39] . Ces didascales sont souvent mentionnés dans les épîtres de saint Paul, en relation avec les apôtres, les prophètes, les évangélistes et les pasteurs [40] , aussi bien que dans les anciens écrivains chrétiens [41] . Au début, ils sont considérés comme des charismatiques. Plus tard, à la fin du IIe et au IIIe siècles, ils exercent dans l'Église des fonctions régulières d'enseignants et préparent les catéchumènes au baptême.
Le plus célèbre des didascalées de l'antiquité fut celui d'Alexandrie [42] . Pantène et Clément y enseignèrent sous leur responsabilité personnelle, comme l'avait fait Justin à Rome. Mais Origène, successeur de Clément, fut mis à la tête de l'école par l'évêque Démétrius, qui le chargea de préparer les candidats au baptême.
Dans ce didascalée, la formation n'était pas uniquement intellectuelle. Elle englobait toute la vie. A Alexandrie, Origène menait vraisemblablement avec ses collaborateurs et ses élèves une sorte de vie commune fondée sur la lecture en commun de l'Ecriture sainte [43] . Voici comment l'un des meilleurs connaisseurs d'Origène, H. Crouzel, décrit l'activité formatrice d'Origène : « Alors Origène se mit à travailler ses élèves, " comme un bon agriculteur une terre stérile et inféconde ", la débarrassant des épines, émondant les arbres non cultivés, entant sur le tronc sauvage le greffon pris à l'olivier domestique. Cette formation est menée indistinctement sur le plan moral et sur le terrain intellectuel : il s'agit de couper les passions, les fausses persuasions, les préjugés, les opinions insuffisamment discutées, " tout ce qu'il y a dans l'âme d'émoussé et de bâtard " et qui s'oppose à la droite raison, à la réception des " paroles de la vérité " [44] . »
Les groupements semi-anachorétiques du désert apparaissent donc comme une transposition au désert du didascalée urbain. De part et d'autre, les liens qui unissent le disciple à son maître possèdent les mêmes caractères. Ce sont des liens temporaires. On vient, pour se faire former, se mettre sous la direction d'un maître. Après, on s'enfonce seul dans la solitude, quitte à devenir bientôt soi-même formateur. Plusieurs sortirent même de ces écoles du désert pour occuper des charges dans l'Eglise [45] , ou même pour rentrer dans le monde [46] .
L'obéissance prend aussi, en ces écoles, une couleur spéciale. Elle a avant tout une fin ascétique. Le maître s'en sert pour faire plier et même pour faire mourir la volonté propre du sujet. Si l'autorité est absolue, ce n'est pas en fonction d'un charisme, ou de par la volonté de Dieu. C'est tout simplement de par la volonté du sujet qui, pour sa formation, s'en est remis entièrement, absolument, à cet « ancien » [47] . Si celui-ci est appelé « père », cela n'implique
aucune assimilation à une autorité hiérarchique. Ainsi étaient appelés le didascale et le catéchète à Alexandrie. « Nous appelons " pères ", dit Clément d'Alexandrie, ceux qui nous ont instruits en religion (τούς κατηχήσαντες) [48] . »
On voit donc comment, en Orient, a évolué l'ascèse chrétienne, dans ses diverses formes d'institutionnalisation. Dans cette évolution, on peut distinguer deux mouvements qui ont pu certes s'influencer quelque peu et même s'entrecroiser, mais qui furent indépendants dans leur origine. Ils aboutirent à deux types différents de groupements monastiques et. deux formes distinctes d'autorité religieuse.
Le premier de ces mouvements en est un de communion entre les ascètes d'une même Eglise locale. Rapidement, ce mouvement aboutit à une forme de cénobitisme proprement dit au sein duquel, à partir d'un certain stade d'organisation, le rôle d'un supérieur comme centre d'unité dans la recherche de Dieu se fit sentir comme un besoin. Cette forme de cénobitisme est foncièrement la même chez les Fils du pacte en Syrie et en Perse, chez Basile en Cappadoce et chez Pachôme en Thébaïde.
Au moment où ce mouvement commençait à s'institutionnaliser, surgit un autre mouvement qui allait, lui, non plus dans le sens d'une communion mais dans celui d'une sécession. Les ascètes se retirèrent dans la solitude des déserts. Mais bientôt ces apotactiques éprouvèrent le besoin de se regrouper autour de formateurs charismatiques. Ainsi se trouva constituée au désert une nouvelle forme de groupement monastique, qui est une sorte de transposition du didascalion urbain.
Il était nécessaire de mentionner l'existence de ces deux traditions, puisque c'est leur fusion ou leur enchevêtrement qui explique l'évolution particulière du cénobitisme et de la conception de l'abbatiat en Occident.
Dans l'une et l'autre de ces traditions, toutefois, l'attitude à l'égard de la hiérarchie est la même. Il fut un temps de mode de voir dans le monachisme primitif un mouvement de sécession et d'opposition à l'Eglise hiérarchique « installée » [49] . Cette position était exagérée et inexacte. Il y eut sans doute des accrochages en certains endroits ! C'est un fait historique et c'était inévitable. Mais dans l'ensemble, durant les IIIe et IVe siècles, les relations entre les moines et la hiérarchie furent excellentes. Les moines reconnaissaient les évêques comme leurs pères, comme faisaient tous les autres chrétiens [50] . Si, pour désigner la fonction de leurs supérieurs monastiques, ils emploient des images bibliques comme celle de « pasteur » ou de « père », jamais ils ne laissent entendre que cette fonction se situerait dans le même ordre de réalités que celle des pasteurs hiérarchiquement institués pour gouverner l'Église.
B. ENCHEVÊTREMENT
DE DEUX TRADITIONS EN OCCIDENT
a) Période d'instabilité.
Le cénobitisme occidental n'est pas né, comme celui d'Orient, de l'éclosion spontanée de fraternités au sein des Eglises locales. Dans la plupart des cas il est plutôt né d'autorité, c'est-à-dire sous l'action d'évêques ou de réformateurs entreprenants.
Sans exclure l'existence d'un ascétisme plus primitif dont on ne sait d'ailleurs à peu près rien, il semble bien qu'il faille considérer la Vie d'Antoine écrite par Athanase comme la semence d'où surgit un peu partout en Occident le monachisme. Ce que l'Occident reçut de l'Orient fut donc d'abord la tradition des milieux anachorétiques, et non la tradition proprement cénobitique. Ceci explique sans doute en partie pourquoi les moines occidentaux, même vivant en commun, conservèrent toujours une orientation plus érémitique que cénobitique.
C'est cette même Vie d'Antoine qui enthousiasma les patriciennes romaines amies de Jérôme et les poussa à vivre l'ascèse du désert dans leurs palais de l'Aventin. Au même moment et sous la même influence, se déclencha en Gaule un mouvement peu ordonné dont il est impossible de faire l'histoire [51] . Des moines fort peu stables y vivaient, tantôt en ermites (conformément à la tradition venue d'Orient), tantôt en commun (conformément à leurs tendances), se mettant un jour à l'école d'un ascète renommé, et partant le lendemain pour faire un pèlerinage en Terre Sainte ou pour prêcher l'Evangile aux Barbares.
Ce mouvement n'était pas vu d'un bon oeil par les évêques, jusqu’au jour ou certains de ces moines, devenus évêques eux-mêmes, décidèrent d'y mettre de l'ordre. Ainsi fit, par exemple, Martin de Tours à Marmoutiers [52] . Mais il s'agit alors presque toujours de communautés de clercs réunis autour de leur évêque. Il faudra attendre Cassien pour voir s'organiser vraiment le monachisme occidental.
L'Afrique toutefois mériterait un traitement à part. Des communautés urbaines de vierges y existaient probablement avant Augustin, et peut-être même un monachisme d'influence orientale [53] . Mais tout cela est obscur. Quant au monachisme d'Augustin, il est assez voisin dans son inspiration fondamentale, de. celui de Basile et de Pachôme. Le monastère y est conçu comme une cellule ecclésiale fondée sur l'unanimité dans la charité [54] . Monachisme clérical sous la dépendance immédiate de l'évêque, il ne pose aucun problème concernant la nature du supériorat religieux.
b) Le cénobitisme de Cassien.
Avec Cassien, tout change... ou en tout cas beaucoup de choses changent, car Cassien opère une fusion de la tradition cénobitique et de la tradition anachorétique. La tâche de l'historien et du théologien sera de discerner si cette fusion a abouti à une réelle synthèse harmonieuse ou si elle a été la simple transposition matérielle d'éléments d'une tradition dans l'autre.
En Egypte, où il passa presque toute sa vie monastique avant d'aboutir en Gaule, Cassien avait vécu dans les centres semi-anachorétiques de Basse-Egypte [55] . Sans doute avait-il visité d'autres lieux, mais il ne s'était jamais aventuré jusqu'en Thébaïde, siège du cénobitisme pachômien, Lorsqu'il arriva en Provence, il y découvrit des formes de vie monastique fort différentes de celle qu'il avait connue à Scété et avec laquelle il avait fini en quelque sorte par identifier la vie monastique. Dès lors, il se découvrit une vocation de réformateur, qui lui fut confirmée par l'évêque d'Apt, Castor. Il n'a pour idéal rien moins que de réformer le monachisme occidental - qu'il critique fort volontiers - par le retour aux traditions du monachisme oriental [56] . C'est dans ce contexte que se situent les Institutions et les Conférences. Cassien s'y préoccupe peu de faire de l'histoire ou même de donner une description exacte du monachisme oriental. Il est avant tout préoccupé de réformer et de construire le monachisme gaulois [57] .
Dans son effort pour réformer le monachisme, tout comme dans ses luttes doctrinales contre Augustin, Pélage ou Nestorius, l'argument fondamental de Cassien est celui de la Tradition [58] . Entendons-nous, cependant! La vraie Tradition, pour Cassien, ce n'est pas celle qu'on trouve dans les auteurs ecclésiastiques en vogue. C'est l' « antiquissimorum partrum sincera fides, quae penes successores ipsorum mera nunc usque perdurat [59] . ». Cette tradition que l'Orient a reçue directement des Apôtres, Cassien s'en .considère le représentant autorisé en Occident, affichant un certain mépris à l'égard de ceux qui « audita potius quam. experta describere temptauerunt [60] ... ». Mais, ironie du sort, Cassien se trouvera lui-même dans la situation de ces derniers, car lui qui avait vécu en Egypte la vie semi-anachorétique, et qui demeurait anachorète au fond du cœur, se trouvait obligé par la force des circonstances et la demande de Castor, de statuer pour des cénobites. Il se tira d'affaire tout simplement en décrivant les coutumes et la spiritualité des milieux semi-anachorétiques de Basse-Egypte, en leur donnant une « couleur » cénobitique, et en les attribuant à tous les moines d'Egypte et de la Thébaïde.
Dom Julien Leroy a récemment distingué en deux groupes les ouvrages de Cassien, ceux qui contiennent un enseignement plus particulièrement cénobitique et ceux où Cassien s'adresse surtout aux anachorètes [61] . Dans une étude plus récente, il a essayé de circonscrire le cénobitisme chez Cassien, en décrivant successivement : 1° le cénobitisme vu par les cénobites, dans les écrits de Cassien ; 2° le cénobitisme vu par les anachorètes; 3° le cénobitisme dans la pensée de Cassien lui-même [62] . Ces études sont très suggestives et concourront certainement à une meilleure connaissance de Cassien. Il ne faudrait toutefois pas majorer les distinctions qui y sont faites. Que Cassien s'adresse à des anachorètes ou à des cénobites, il leur transmet toujours, au fond, la même conception de la vie monastique, tout en la colorant plus ou moins selon les cas. Quant aux quelques monastères de cénobites qu'il a rencontrés en Basse-Egypte, c'étaient plutôt des « monastères » du genre des groupements de semi-anachorètes que des coenobia proprement dits.
Quelle est donc la conception de Cassien sur le cénobitisme ? On trouve bien, dans ses ouvrages, quelques textes tels que la Conférence XVI, de Amicitia, où tous les éléments de la vie monastique sont considérés sous l'aspect de la charité fraternelle. On se croirait presque en terrain basilien ou pachômien ! Mais, outre que cette conférence fait partie du groupe d'ouvrages destinés aux anachorètes, la conception habituelle de Cassien est autre. Le coenobium est avant tout une école de formation (on reconnaît l'idéal du didascalée au désert!). Voici comment Dom A. de Vogüé résume la pensée de Cassien : « Ce n'est pas pour elle-même que la société chrétienne ou monastique élève ses enfants, comme si son seul but était d'en faire les membres bien adaptés d'un corps social harmonieux. L'action éducative du coenobium ou de la communauté érémitique, tout comme celle de l'Eglise, ne tend en définitive qu'à introduire les personnes humaines auprès des Personnes divines... S'il est donc vrai que toute vie monastique naît et grandit dans un cadre communautaire, il est non moins certain que ce cadre se fait de plus en plus ténu à mesure que le moine se parfait. Tel est du moins le schème normal de la pensée de Cassien, celui qu'il développe le plus couramment [63] .
Dom Julien Leroy a donc parfaitement raison d'écrire que Cassien « présente... une conception nouvelle de la vie cénobitique ». Nous pouvons même discerner maintenant comment est née cette conception. En réalité, elle ne résulte pas d'une fusion harmonieuse de la tradition érémitique avec la tradition cénobitique. Elle est tout simplement la transposition, dans un cadre de vie commune stable, des institutions de l'école du désert. En d'autres mots, elle repose sur la transformation en institution permanente, d'une relation (celle du disciple au didascale) qui avait toujours été, et qui est de sa nature, temporaire. La fraternité n'y est plus voulue pour elle-même, pour sa valeur chrétienne et ecclésiale, mais en tant que moyen de formation. Le supérieur n'y est plus le centre de la fraternité, l'œil du corps, mais il est le maître chargé de former les individus.
Le rôle de père spirituel qui, en Orient, même au sein du cénobitisme, était le propre de tout homme rempli de l'Esprit-Saint, tend maintenant à être réservé au supérieur. Une telle institutionnalisation du rôle charismatique de père spirituel comportait de grands dangers que signale lucidement Dom A. de Vogüé : « En ajoutant à la paternité spirituelle une dimension communautaire, on risque de la dénaturer. On court le danger d'une extériorisation des rapports du maître à disciple, ceux-ci se transposant sur le plan social et se vidant de leur substance personnelle [64] . »
Mais une modification encore plus fondamentale du concept d'abbé est aussi amorcée avec Cassien. On a dit plus haut toute l'importance donnée par celui-ci à la Tradition, ainsi que l'uniformité qu'il attribue à la tradition monastique en Orient. En réaction contre la multiplicité des formes monastiques en Provence, Cassien veut imposer une formule unique, cette tradition apostolique. Pour lui, c'est en Egypte que s'est le mieux conservée cette tradition monastique venue des Apôtres. Or, ce qui, à son avis, unit étroitement entre eux les moines de toute l'Egypte, c'est l'exceptionnelle uniformité de doctrine et d'institutions qui règne parmi eux. Le fondement de pareille unité est l'adhésion à une même règle de vie, d'origine apostolique. Cette règle de vie, catholica regula, est en quelque sorte le pendant monastique du Credo [65] . Ce qui conduit à une assimilation du monachisme à l'Église. Cette assimilation, dans son expression littéraire, sera poussée très loin par Cassien : « Comme il a son dogme et sa discipline, écrit Dom de Vogüé, le monachisme a aussi son magistère et sa hiérarchie. Ce sont les " anciens " qui jouent ce rôle, dans lequel ils sont les successeurs des premiers Pères, tout comme les évêques ont succédé aux apôtres. Nul n'est autorisé à diriger les autres, voire à se gouverner soi-même, s'il n'a d'abord accepté de se soumettre à ce magistère vivant, seul dépositaire de l'authentique tradition [66] . »
Cette assimilation de la hiérarchie monastique à la hiérarchie de l'Église demeurait certes chez Cassien une figure très souple. Cette figure allait toutefois être bientôt reprise par un théoricien qui en pousserait les conséquences logiques jusqu'à l'extrême, et créerait la figure de l'abbé-évêque. Ce théoricien, c'est le Maître, dont la Règle sera la source principale de la Regula Benedicti.
c) La Regula Magistri : l'abbé assimilé à l'évêque.
La conception du rôle de l'abbé dans sa communauté, selon la Regula Magistri, a été étudiée en détail par Dom A. de Vogüé.
Nous nous en remettons, pour le moment, aux résultats de ses études [67] .
Nous avons vu comment Cassien compare - très librement d'ailleurs - la hiérarchie monastique à la hiérarchie ecclésiastique. On sait aussi que la littérature monastique ancienne avait employé tout aussi librement diverses figures de l'Ancien et du Nouveau Testaments, pour rappeler au supérieur ses devoirs [68] . On appliquait - sans rigueur - à celui-ci les noms de doctor, major, abbas, pastor, etc. Poussant à ses limites logiques [69] l'application de ces figures, le Maître en arriva à cette conception extrême de l'abbatiat, ainsi synthétisée par Dom de Vogüé : « Le Maître affirme que l'abbé est, comme l'évêque, un " docteur " , institué par le Christ, un successeur et héritier de l'apôtre, jouissant de l'autorité conférée aux apôtres et à leurs successeurs par les textes les plus solennels du Nouveau Testament. [70] »
On s'imagine facilement quelle notion de la communauté s'accorde avec une telle conception de l'abbé : « Qu'est-ce donc qu'un monastère aux yeux du Maître ? Essentiellement une école. Ce qui la définit, c'est le rapport du disciple au maître, de l'inférieur au supérieur. Ce rapport est conçu d'une façon toute biblique : le prophète, le maître de sagesse, l'apôtre, autant de modèles pour l'abbé. Il est conçu aussi d'une façon toute ecclésiastique, l'abbé étant l'équivalent de l'évêque et du prêtre [71] . »
Sur quoi repose cette conception du Maître? Sur une certaine interprétation qu'il donne du texte de saint Paul qui affirme que le Christ a institué dans son Eglise des apôtres, des prophètes et des docteurs. Le Maître, renversant l'ordre des deux premières catégories, considère que ces trois offices se sont succédés dans le temps : les apôtres ont succédé aux prophètes et les docteurs, ont succédé aux apôtres. Ces " docteurs " sont de deux sortes : les évêques et les abbés, chacun dans son domaine propre. Le Maître distingue en effet deux sortes de « maisons du Seigneur », les églises et les monastères. L'évêque préside à la première, l'abbé à la seconde [72] .
Mais d'où viendrait à l'abbé cette fonction de « docteur », qui en ferait à proprement parler un successeur légitime des apôtres ? Dans son premier ouvrage, Dom A. de Vogüé considérait que cette fonction lui venait de son charisme propre de Père spirituel. L'élection et la bénédiction abbatiale ne feraient que reconnaître l'existence de ce charisme. Par la suite, Dom A. de Vogüé a renoncé à cette explication et considère maintenant que cette fonction de docteur est donnée à l'abbé par l'évêque lors de la bénédiction abbatiale [73]
Notre intention n'est pas d'entrer dans la discussion de cette interprétation. Nous ferons seulement deux remarques. D'abord, l'argumentation sur laquelle repose la nouvelle interprétation de Dom de Vogüé ne nous convainc pas entièrement. Ni dans ses trois grands textes sur l'autorité abbatiale, ni dans ses déclarations initiales sur le pouvoir de l'abbé le Maître ne fait quelque allusion à la bénédiction abbatiale. Le lien implicite que Dom A. de Vogüé croit devoir y voir demeure une hypothèse. Notre deuxième remarque est peut-être plus importante. L'interprétation du rôle de l'abbé dans la communauté, selon la Regula Magistri, telle que la donnait Dom A. de Vogüé dans son premier ouvrage, reposait en grande partie sur la thèse que l'abbé était un homme charismatique ayant reçu directement de Dieu la fonction de Père spirituel. L'abandon de ce point de vue par Dom de Vogüé aurait dû normalement le conduite à reviser plus profondément les opinions émises dans son premier ouvrage.
Nous dirons plus loin ce que nous pensons des efforts de l'auteur pour démontrer que la conception de la Regula Magistri n'était que l'explicitation d'une doctrine en germe dans toute la tradition ancienne. Remarquons seulement pour l'instant qu'avec cette conception l'idée d'abbé-pontife - avec toutes les incidences liturgiques d'une telle idée - était née. Il appartiendra au théologien de préciser s'il s'agit là d'une évolution doctrinale légitime et fructueuse ou d'une confusion théologique.
d) Les correctifs de la Regula Benedicti à la Regula Magistri.
Cette conception du Maître, c'est celle qu'a reçue l'auteur de la Regula Benedicti. Le Benedictus vir du Mont Cassin, en effet, n'a pas composé sa Règle de toutes pièces, mais a plutôt adapté un document préexistant qui est la Regula Magistri dont nous venons de parler [74] . C'est d'ailleurs cette adaptation qui révèle au mieux son génie, son expérience et sa discrétion.
Dans la ligne de pensée héritée de Cassien et du Maître, Benoît continue de considérer la communauté monastique comme une école où les moines font figure de disciples, et l'abbé celle de maître. Mais alors que le Maître, dans sa très longue règle, ne traitait que des relations verticales, celles du disciple au maître, l'auteur de la Regula Benedicti y introduit la considération des relations horizontales entre les moines [75] .
Plus important encore est le fait que Benoît ramène à une mesure plus modérée les figures bibliques que le Maître avait explicitées d'une façon si intempérante. Voici un exemple. A la fin de sa description des diverses sortes de moines, substantiellement empruntée à Cassien (Conf. 18, 4-8), le Maître ajoutait un long développement doctrinal sur l'abbé « docteur », où il prétendait établir sur l'Ecriture la nécessité de se soumettre à un « docteur » institué par le Christ et parlant en son nom. Benoît qui résume le Maître, a tout simplement supprimé ce développement doctrinal [76] .
Ces corrections de Benoît et son orientation un peu plus « communautaire » sont certainement dues en grande partie à la connaissance partielle qu'il avait de la tradition cénobitique orientale. Il reste toutefois dans la ligne de pensée instaurée en Occident par Cassien, tout en évitant les exagérations dans lesquelles était tombé le Maître. Ce serait la plus grande infidélité à sa pensée que d'essayer de retrouver à tout prix, implicites dans sa Règle, les conceptions absolues du Maître, qu'il a délibérément mises de côté, et encore plus d'essayer de les rétablir dans le monachisme bénédictin.
Des deux grandes orientations de la tradition orientale, une seule a passé en Occident : la tradition semi-anachorétique de Basse-Egypte, adaptée en Occident à une vie commune plus étroite. La véritable tradition cénobitique, celle qu'on retrouve fondamentalement la même chez les Fils du Pacte de Syrie, chez les ascètes de Basile et chez les moines de Pachôme, n'a pas franchi les frontières de l'Occident, sinon par des influences tardives et superficielles. Tout au plus servit-elle à Benoît pour apporter quelques correctifs aux exagérations de la position du Maître. Le cénobitisme occidental, nourri d'une spiritualité anachorétique, sera loin d'avoir au même degré que celui d'Orient l'idéal de fraternité et de communion. Le coenobium n'y sera plus conçu comme une forme de vie qui puise sa valeur dans la réalité même de communion qu'elle incarne, mais y deviendra une « école de formation ». Le supérieur n'est plus le frère ayant à remplir le service de maintenir le groupe dans la communion et d'être l'oeil du corps, celui en qui se concentre l'effort communautaire de la recherche de la volonté divine. Il est plutôt le maître ayant des disciples à former, et les dirigeant au nom de Dieu, à la manière des autorités hiérarchiques de l'Eglise.
De là à assimiler le supérieur à l'évêque, il n'y avait qu'un pas. Ce pas, esquissé par Cassien, fut allègrement accompli par le Maître Benoît évita cette exagération, mais ces théories du Maître demeuraient latentes dans l'orientation occidentale du monachisme, dont il était tributaire. Les thèses du Maître ne trouveraient pas de nouveau théoricien... du moins pas avant le XXe siècle, mais réapparaîtraient vite dans la pratique, et avant tout dans la pratique liturgique.
L'abbé, assimilé plus ou moins à l'évêque, allait en prendre les insignes et les fonctions liturgiques. La bénédiction abbatiale deviendrait graduellement un décalque de la consécration épiscopale moins la formule consécratoire. Au bout du processus, l'abbé serait, pour employer une expression à la Bouyer, « une espèce d'évêque, avec le Saint-Esprit en moins, mais tous les paraphernalia de la fonction [77] ».
Cette tradition occidentale est parvenue jusqu'à nous foncièrement la même, avec une alternance de périodes de décadence et de réforme. Aujourd'hui, pour la première fois depuis le VIe siècle, s'impose aux moines d'Occident le devoir et le besoin imminent de repenser en profondeur tous les éléments de cette tradition et d'en évaluer l'équilibre afin d'arriver à une nouvelle synthèse. Ce travail doit être accompli à la lumière de toute la tradition de l'Église et surtout à celle de l'Evangile.
II
THEOLOGIE
DE L'ABBATIAT CENOBITIQUE
Le développement historique que nous venons d'esquisser à grands traits comporte sa théologie, qu'il faut essayer de dégager d'une façon plus explicite. Quelques efforts ont été faits en ce sens dans diverses études que nous allons maintenant présenter en les analysant et les évaluant. Nous présenterons également une autre étude se rapportant à la théologie de l'autorité religieuse en général et qui est d'une importance extrême. Enfin nous terminerons en indiquant quelques éléments de solution qui nous semblent se dégager de notre enquête.
A. LE CENOBITISME
SELON DOM ADALBERT DE VOGÜÉ
Personne ne mettra en doute que l'abbé doive être le Père spirituel de ses moines plus qu'un simple administrateur matériel. Tous conviendront aussi qu'il est le chef d'une communauté chrétienne sur laquelle il exerce autorité. Mais la conception que l'on se fera du cénobitisme et de l'abbatiat variera énormément selon l'ordre qu'on établira entre ces divers éléments et surtout selon le sens que l'on donnera aux relations unissant l'abbé à ses moines.
Pour Dom. A. de Vogüé, il n'y a pas d'hésitation : l'abbé existe en quelque sorte avant la communauté. « Avant tout l'abbé est un moine accompli, capable d'enseigner la vie parfaite et d'exercer une vraie paternité spirituelle; mais parce que cette paternité s'étend à une communauté, il prend figure de chef d'Eglise et s'assimile à l'évêque" [78] .... »
Cette notion du rôle de l'abbé repose elle-même sur une conception fort particulière du cénobitisme : « La société cénobitique est d'abord le résultat d'une somme de rapports individuels entre les moines et leur abbé [79] . » « Le cénobitisme est donc essentiellement constitué par la relation toute spirituelle de chacun de ses membres à un homme qui représente le Christ. De cette relation première résulte celle qui unit entre eux tous ces disciples d'un même maître. La société cénobitique est donc premièrement entre le moine et son abbé, c'est-à-dire entre le moine et le Dieu qu'il cherche. Elle est dans le prolongement de l'expérience érémitique. Elle reste foncièrement une vie avec Dieu seul [80] . »
Cette conception du cénobitisme est celle qu'on retrouve dans toutes les études de Dom A. de Vogüé. C'est elle qui conditionne, entre autre, sa conception de l'Office divin comme une simple propédeutique à la prière solitaire ou même un succédané de la prière continuelle. Une telle vision du cénobitisme ne manque pas de grandeur. Le problème est de savoir si elle se fonde, comme le croit l'auteur, dans la tradition monastique ancienne. Force nous est donc d'analyser un peu l'argumentation de Dom A. de Vogüé. Nous étudierons en particulier son ouvrage fondamental : La communauté et l'abbé dans la Règle de saint Benoît. L'importance de cet ouvrage lui vient non seulement de la nature du sujet traité, mais aussi de l'influence très grande qu'il semble avoir eue sur l'idée que beaucoup de moines et d'abbés se font aujourd'hui de la fonction abbatiale et du sens de la communauté monastique.
Du point de vue méthodologique, l'auteur, continuant dans la voie inaugurée par Dom B. Steidle [81] , n'entend pas insister sur l'originalité de saint Benoit, mais plutôt le replacer dans son contexte historique, l'étudiant sur l'arrière-fond de la tradition qu'il a recueillie et dont il est à la fois le tributaire et le canal. Une importance spéciale est donnée à la Regula Magistri (= RM) : « La RM et l'ensemble de la littérature cénobitique ancienne seront la toile de fond devant laquelle nous placerons sans cesse le texte commenté [82] . » Evidemment, l'antériorité de la Regula Magistri sur la Regula Benedicti est admise comme hypothèse de travail ; et cette hypothèse s'avère très fructueuse.
La méthode, on ne peut le nier, était des meilleures. Mais elle était aussi très exigeante. Elle supposait une connaissance approfondie des divers courants cénobitiques de l'Eglise ancienne, et une attention constante à ne pas ramener cette complexité à un schéma simpliste. C'est l'écueil que Dom A. de Vogüé, nous semble-t-il, n'a pu éviter totalement. Il passe sous silence l'ascétisme primitif au sein de l'Église, en Syrie et en Cappadoce, si important pour l'histoire de l'ascétisme en général et du cénobitisme en particulier. Se basant sur une description exacte dans l'ensemble, mais très schématique, du cénobitisme pachômien, mais sans en étudier la genèse et l'évolution, il énonce dès le début de son ouvrage la thèse suivante : « Pachôme semble bien être à l'origine d'une " tradition " égyptienne très ferme que l'on reconnaît aisément chez les Cénobites décrits par Jérôme (Ep. 22, 35), dans les Institutions de Cassien, et jusque chez le Maître et saint Benoit... L'idéal du monachisme n'a pas évolué vers un cénobitisme plus complet, et il reste comme par le passé dominé par l'aspiration érémitique. C'est la misère des hommes et le souci d'assurer un minimum d'honnêteté qui ont conduit à développer la vie commune [83] . »
C'est là la thèse favorite de Dom de Vogüé; elle revient tout au long de son ouvrage sous des formes différentes. Elle constitue, à notre avis, un postulat indémontré.
D'abord la ligne continue tracée par Dom A. de Vogüé de Pachôme à Benoît, en passant par Cassien, ne laisse pas que de poser de nombreux problèmes à l'historien. Le lien de Cassien à Benoît est certain, mais celui de Pachôme à Cassien est inexistant. C'est un fait établi que Cassien n'a pas connu le monachisme pachômien. Dans ses Institutions, il ne parle généralement que des Egyptiens, c'est-à-dire, selon le langage de l'époque, des habitants du Delta et de la Basse-Egypte. Les rares fois qu'il mentionne les Tabennésiotes ou Pachômiens (qui habitent la Thébaïde), c'est lorsqu'il utilise des documents qui le renseignent à leur sujet [84] . Ces documents sont tantôt la chronique palladienne sur les Tabennésiotes, qui n'a rien à voir avec le monachisme, pachômien [85] , tantôt la traduction latine faite par Jérôme des préceptes de Pachôme. Or, ces préceptes, appelés abusivement « Règle de Pachôme », ne sont qu'un regroupement de préceptes divers, d'époques successives, concernant surtout l'organisation matérielle des monastères. Pour pachômiens que soient ces derniers textes, ils sont inaptes à donner une idée exacte de la spiritualité pachômienne.
Mais si Cassien n'a pas eu de contact personnel avec le monachisme de Pachôme, ce dernier n'aurait-il pas influencé le milieu monastique connu par Cassien, et créé ainsi cette tradition égyptienne dont parle Dom A. de Vogüé ? Il n'en est rien. Les contacts entre les moines pachômiens et les semi-anachorètes de Basse-Egypte furent à peu près inexistants. La littérature de Basse-Egypte, en particulier les Apophthegrnes, pourtant si accueillants à toutes les tendances, n'a rien assimilé de la production littéraire pachômienne, qui est demeurée un tout homogène [86] . Cette ignorance mutuelle s'explique sans doute par l'attitude réservée de Pachôme à l'égard de l'érémitisme, et surtout par la prise de position ferme des moines pachômiens pour le parti du patriarche dans la grande querelle origéniste de la fin du IVe siècle.
Dans la partie précédente de notre étude, nous avons montré l'originalité du cénobitisme pachômien et tout ce qui le distingue de celui représenté par Cassien. Si Dom de Vogüé a cru pouvoir assimiler ces deux traditions si différentes, c'est qu'il a fait trop facilement confiance aux prétentions de Cassien à représenter la tradition orientale, et vu Pachôme à travers la lunette de Cassien.
On a cru longtemps que Basile avait corrigé Pachôme. Dom Gribomont a cependant démontré, il y a déjà quelques années, qu'une dépendance de Basile à l'égard de Pachôme est peu probable, et qu'en tout cas elle ne peut être prouvée. Dom de Vogüé s'en autorise pour considérer le monachisme basilien comme une sorte d'exception, en marge de la tradition ancienne... [87] . Or, si l'on étudie le monachisme pachômien à travers ses sources authentiques, nous découvrons chez lui une conception du cénobitisme fort rapprochée de celle de Basile, comme nous l'avons expliqué plus haut, malgré de notables différences dans l'organisation extérieure de la vie commune. Ceci est d'autant plus remarquable s'il n'y a pas eu d'influence de Pachôme sur Basile.
Il faut donc se rendre à l'évidence. On ne trouve pas une tradition monastique égyptienne, en marge de laquelle se situeraient les fraternités basiliennes. On trouve, en Orient, une grande tradition cénobitique qui, malgré des divergences non négligeables, se manifeste fondamentalement la même chez les Fils du Pacte en Syrie, chez Eusthate et Basile en Cappadoce, et chez Pachôme en Thébaïde. A côté de cette tradition cénobitique, une autre tradition monastique presque aussi ancienne apparaît dans les déserts d'Egypte, de Syrie et de Palestine : tradition anachorétique, évoluant vers un regroupement de solitaires autour d'un même Père spirituel. C'est cette tradition semi-anachorétique qu'a recueillie Cassien et qui, à travers le Maître, se continue chez Benoît.
Benoît a toutefois corrigé quelque peu cette tradition et y a réintroduit timidement quelques éléments de véritable cénobitisme. Où les a-t-il puisés ? Sans doute chez Basile - notre père saint Basile, comme il l'appelle. C'est ce que Dom G. Butler avait cru pouvoir affirmer [88] . Dom de Vogüé rejette d'un trait de plume cette position, puisqu'il situe Basile en marge de la ligne droite qu'il a cru pouvoir tracer de Pachôme à Benoit à travers Cassien et le Maître [89] !
La thèse de Dom de Vogüé voulant que le cénobitisme soit né d'un effort d'organiser à l'échelle communautaire le rapport de père à fils au désert ne nous semble donc pas pouvoir résister à la Critique historique. Mais que vaut en soi cette conception de l'abbé comme d'un père charismatique existant avant la communauté et autour duquel viennent se grouper des disciples ? C'est certes une position légitime. Personnellement, nous ne la trouvons pas très réaliste, cependant. L'histoire du monachisme - aussi bien passée que présente - semble bien démontrer que les abbés ne sont pas généralement des hommes « charismatiques » au sens où l'entend notre auteur. En tout cas, concrètement, de nos jours, ceux qui entrent au monastère ne viennent pas se mettre sous la houlette de tel ou tel supérieur, mais s'unir à une communauté de frères dont le mode de vie correspond à leur propre idéal ou à leur propre vocation. Et lorsque le temps vient d'élire un nouveau supérieur, ils élisent celui qui par ses qualités naturelles et surnaturelles est le plus apte à conduire la communauté vers le Seigneur, dans la paix et l'unité.
Si nous nous sommes arrêtés si longuement à analyser cette thèse, ce n'est pas par esprit de polémique. C'est parce que c'est sur cette thèse historique que l'auteur fonde sa conception de l'abbé comme d'un égal de l'évêque, ce qu'il expose par exemple à la fin de sa note sur l'abbé-pontife : « Un tel charisme range l'abbé dans la catégorie des " docteurs ", qui régissent le peuple de Dieu après les prophètes et les apôtres. Il le place aux côtés de l'évêque dans cette catégorie, tandis que ses collaborateurs, doyens et cellérier, s'y rangent également à côté des prêtres, diacres et clercs. Son enseignement sera traditionnel comme celui du chef d'église, car il est lié à une règle qui concrétise les exigences de l'évangile et condense l'expérience des disciples parfaits du Christ, de ceux qui ont embrassé la vie apostolique. En bref, s'il n'est nullement évêque, il est en tout semblable à l'évêque [90] . »
Une telle conception justifierait certes - et même exigerait que l'abbé préside normalement les célébrations liturgiques de sa communauté. Historiquement, cette conception a existé chez le Maître, mais elle ne peut prétendre y être l'explicitation de la tradition antérieure. Elle est plutôt le fruit d'une réflexion logique à partir de figures bibliques employées par Cassien. Chez Benoît, elle nous semble être restreinte à ce qu'elle était chez Cassien, une simple comparaison sans portée théologique, et non une assimilation. Du point de vue théologique, cette conception est difficilement recevable, comme le démontrera l'étude du Père Tillard, analysée plus loin.
B. LA THÈSE DE B. HEGGLIN
ET LA CRITIQUE DE H. BACHT
Un autre auteur a tenté de systématiser des positions semblables à celles de Dom de Vogüé sur l'origine du cénobitisme et de la fonction abbatiale. Il s'agit de Dom Benno Hegglin dans son étude : Der benediktinische Abt in rechsgeschichtlicher Entwicklung und geltendem Kirchenrecht [91] . Il s'agit d'une thèse de droit ecclésiastique consacrée à la place de l'abbé dans le droit actuel de l'Église. Une première section de l'ouvrage étudie cependant l'origine de l'abbatiat ou du pouvoir abbatial.
L'auteur remarque d'abord avec justesse que, dans le monachisme anachorétique, le nom d'abbé était décerné aux moines charismatiques, c'est-à-dire à ceux qui, d'une façon visible, avaient manifesté qu'ils étaient remplis de l'Esprit. C'est pourquoi ils pouvaient exercer la paternité spirituelle en conduisant à la vie spirituelle les disciples, par leurs paroles et leurs exemples.
Lors du passage au cénobitisme, le sens et le contenu du mot abbas auraient sans doute changé quelque peu, mais l'élément charismatique serait demeuré. Ce serait parce qu'ils sont charismatiques que les supérieurs sont appelés abbés. La seule différence entre l'autorité cénobitique et l'autorité anachorétique serait dans le fait que cette dernière n'est que d'ordre doctrinal, alors que la première s'étend à tous les éléments de la vie. Cette conception repose évidemment sur le postulat de l'antériorité de l'anachorétisme sur le cénobitisme et de la dépendance de ce dernier par rapport au premier.
Heinrich Bacht a émis de sérieuses réserves à propos de cette thèse [92] . Il signale l'équivoque que fait Hegglin en assimilant la fonction pneumatique du père spirituel du désert à une direction purement spirituelle. Mais surtout il insiste sur le fait que le charisme n'est pas " institutionnalisable ». Enfin, il fait remarquer que lorsqu'on constate, comme le fait Hegglin, que Pachôme a institué dans ses Règles certains préceptes en vue de « protéger » les moines contre les abus d'autorité des supérieurs, et qu'il a même institué un collège de juges pour régler les conflits entre supérieurs et subordonnés, il ne suffit pas de dire que cela est « très intéressant »... Il y a là, en effet, la mise en pratique d'une notion d'obéissance fort différente de celle du « désert ».
C. AUTORITÉ RELIGIEUSE
ET AUTORITÉ HIÉRARCHIQUE
Pour déterminer la valeur théologique de certaines conceptions passées ou présentes de la fonction abbatiale, il est nécessaire de tenir compte également de la réflexion théologique contemporaine. Or, nous devons au Père J. M. R. Tillard, o.p., une étude très importante sur l'autorité religieuse" [93] .
Par une argumentation théologique serrée, il établit qu'il faut distinguer, dans l'Eglise, deux formes bien caractérisées d'autorité : l'autorité hiérarchique et l'autorité religieuse. Au cours des siècles, ces deux formes d'autorité se sont influencées l'une l'autre et se sont finalement confondues, les relations des prêtres diocésains à l'égard de leur évêque étant pratiquement assimilées à celles des religieux à l'égard de leurs supérieurs, et l'autorité religieuse assumant les formes juridiques de l'autorité hiérarchique. Quoi qu'il en soit de l'évaluation théologique d'une telle évolution, ainsi que de son caractère réversible ou irréversible, il reste que, théologiquement, nous sommes en présence de deux formes bien différentes d'autorité, qui se distinguent en fonction de la finalité propre des deux types de société au sein desquelles elles s'exercent. Car l'autorité n'a pas valeur d'absolu, elle est essentiellement relative à une société ou, mieux, à une communauté.
L'autorité hiérarchique est un ministère au service de l'édification du Corps du Christ, avant tout par la distribution des dons divins par excellence, la Parole et les sacrements. « Qu'il soit évêque, prêtre ou diacre, le ministre est le " sacrement humain " à travers lequel Dieu lui-même agit hic et nunc en son Peuple. Si, surtout dans la célébration communautaire du mémorial du Seigneur, il a également une charge de " médiateur " pour faire monter vers le Père la Prière, l'offrande, l'action de grâce du Peuple tout entier, il se situe d'abord et essentiellement dans le mouvement descendant qui va de Dieu aux hommes dans le Christ. Même l'activité selon laquelle il " organise " l'Église pour qu'elle soit capable de répondre à sa vocation dans le monde se trouve saisie dans ce dynamisme de l'agapè du Père [94] . »
Cette autorité hiérarchique est donc sacramentelle, et par son origine et par la nature de son activité. Elle est une autorité à travers laquelle Dieu lui-même conduit et vivifie son Peuple. « Elle s'enracine dans une initiative divine, scellée par un sacrement, donc toujours accompagnée d'un charisme proportionné, Dans le dessein divin, c'est par elle que doit demeurer présente dans l'Eglise, jusqu'à la Parousie, l'autorité du Seigneur Jésus [95] . »
L'autorité religieuse se situe à un tout autre plan. Et tout d'abord cela ressort de la nature de la communauté religieuse - « La communauté religieuse est une cellule de l'Église, et comme telle il lui est radicalement impossible de se soustraire à l'autorité hiérarchique. Car elle vit de la Parole et des sacrements. Elle ne se donne donc pas un chef pour remplacer ou diminuer l'autorité de ceux que le Seigneur lui-même a mis à la tête du troupeau. D'ailleurs, elle n'est pas une société essentiellement hiérarchique, essentiellement structurée par la relation pasteur-troupeau. Elle est au contraire essentiellement une fraternité. A l'intérieur du Peuple de Dieu, donc fabriquée elle aussi par le service des chefs de celui-ci, mais en se situant d'emblée au plan de la communion fraternelle qui définit l'Église en son être de mystère, elle se veut en effet réponse à la poussée de l'Esprit dans le coeur des baptisés. Comme une seconde instance du dynamisme de la grâce... La communauté religieuse est la fraternité d'un petit groupe de baptisés s'étant réunis pour trouver en commun, dans une forme de vie dessinée par une certaine règle, cette éclosion de leur être de grâce [96] . »
Il y a là un point de première importance à noter pour, la théologie de l'autorité religieuse. La communauté religieuse est une communauté de croyants vivant leur vie chrétienne sous la conduite de la hiérarchie. Si, au sein de cette communauté une autre autorité surgit, ce devra être une autorité différente de celle-ci et d'un autre ordre. Cette autorité sera un service de la communion fraternelle, finalisé et spécifié par cette communion, et n'ayant pour raison d'être que celle-ci. C'est pourquoi, alors que l'autorité hiérarchique se situe dans le mouvement descendant de la grâce du Père, l'autorité religieuse se situe sur le plan horizontal de la communion fraternelle, en vue du mouvement ascendant de la réponse à la grâce.
La différence essentielle entre les deux autorités suppose une différence d'origine. L'autorité hiérarchique est sacramentelle. C'est-à-dire qu'elle s'appuie sur un pouvoir et un charisme sacramentel que l'évêque reçoit à sa consécration épiscopale. Il y a là une intervention personnelle et directe du Père, signifiée sacramentellement par l'Eglise dans un rite sacré, et qui distingue sacramentellement l'élu des autres baptisés. Distinction qui devra normalement toujours apparaître dans la célébration liturgique.
Dans la communauté religieuse, au contraire, rien ne distingue sacramentellement le supérieur comme tel du reste de ses frères. Son autorité n'a pas, en effet, une origine sacramentelle ; elle éclot sur l'égalité foncière de tous les baptisés, tous frères dans le Christ. Cette autorité, comme toute autorité sur terre, vient certes de Dieu, mais elle est conférée au supérieur par l'intermédiaire de la communauté. Celle-ci, par un vote libre, demande à un de ses membres d'être son centre d'unité et son guide dans sa recherche et son accomplissement de la volonté de Dieu. A ce choix de la communauté, aucun sacrement ne vient s'ajouter. l'Église ne demande d'ordinaire comme garantie de la sagesse du choix que l'approbation par une autorité supérieure, qui n'est pas nécessairement une autorité hiérarchique sacramentelle.
Il est symptomatique que ces conclusions du Père Tillard sur la nature de l'autorité religieuse rejoignent exactement, par une autre voie, celles auxquelles nous étions arrivés, indépendamment, par une étude du cénobitisme oriental ancien.
D. QUELQUES EQUIVOQUES A DISSIPER
Avant de tirer de cette étude historique et théologique des conclusions relatives à la place de l'abbé dans la concélébration eucharistique, il importe de s'entendre sur quelques termes et de dissiper quelques équivoques possibles.
a) Charisme et charisme.
La langue française s'est enrichie à notre époque d'un beau néologisme qu'un usage intempérant a malheureusement galvaudé. C'est le mot charisme. Dans le Nouveau Testament, ce mot a souvent un sens très large et peut désigner tous les dons de Dieu, à commencer par celui de la vie divine dans le Christ (Rm 5, 15 ss). En ce sens, tout chrétien est charismatique. D'autres charismes plus " spécialisés » sont liés à l'accomplissement d'un rôle dans le peuple de Dieu. Les plus importants de ces charismes sont ceux qui sont transmis sacramentellement par l'imposition des mains (1 Tm 4, 14 ; 2 Tm 1, 6). Ils accompagnent nécessairement toute fonction hiérarchique. La fonction de l'abbé n'appartient pas à cette catégorie de charismes d'origine strictement sacramentelle.
Outre ces charismes de gouvernement, qui donnent aux dépositaires le droit de prescrire et d'enseigner (1 Tm 4, 11) et que nul ne doit mépriser (1 Tm 4, 12), ont toujours existé dans l'Église d'autres charismes relatifs non plus aux fonctions de ministère (apôtres, prophètes, docteurs, évangélistes, pasteurs), mais concernant les diverses activités de la communauté (service, enseignement, exhortation, discernement des esprits.... etc.). C'est autour de quelques grands moines possédant les charismes de cette deuxième catégorie que se groupèrent les anachorètes au désert, pour se faire instruire et former. De grands abbés cénobites purent jouir de tels charismes et les exercer - tout comme plusieurs de leurs moines -, mais ce ne fut pas cela qui spécifia leur fonction.
Dans un ouvrage récent, Jean Colson distingue deux genres de fonctions dans l'Eglise : les premières, spécifiques ou de salut, comme tout ce qui touche à la doctrine, à l'enseignement, au baptême et au culte, et dont les ministres apparaissent dès l'origine institués par le Christ lui-même ; les autres, regardant le gouvernement communautaire, et qui se présentent à l'image de celles que connaissaient les principaux milieux du judaïsme communautaire, et qui suscitent, elles, leurs préposés [97] . Ce n'est qu'après quelques siècles qu'on distingua clairement dans l'Eglise les charismes constituant ministres hiérarchiques et ceux appartenant aux détenteurs des fonctions de la deuxième catégorie. On comprend donc facilement que, dans la littérature monastique des IVe et Ve siècles, cette distinction n'apparaisse pas encore dans toute sa clarté et que l'on continue à y appliquer à certains offices de la deuxième catégorie des titres ou des qualificatifs qui conviennent plutôt aux premiers. L'équivoque et l'erreur doctrinale commencent lorsque, dans la Regula Magistri par exemple, on pousse à la limite l'application de certaines de ces expressions (doctor, pastor ... ). Il serait certainement erroné de vouloir revenir, de nos jours, à une imprécision terminologique et doctrinale depuis longtemps dépassée.
b) Sens de la « présidence ».
Pas d'Eucharistie légitime qui ne soit faite en communion avec l'évêque. De plus, il est normal, quoique non absolument nécessaire dans tous les cas, qu'une célébration liturgique soit présidée par l'évêque ou son représentant. Ce qui fait qu'une célébration revête un caractère hiérarchique, ce n'est pas le simple fait que quelqu'un y préside et que les participants y remplissent diverses fonctions. Ainsi, lorsqu'un groupe de laïcs, moines ou non, célèbrent l'Office divin, l'un d'eux - normalement le plus ancien - présidera. Il n'y a en ce fait aucune manifestation du caractère hiérarchique de l'Église et de la liturgie. La célébration revêtira ce caractère hiérarchique lorsqu'elle sera présidée par un ministre sacré ayant l'ordre sacré (reçu sacramentellement) correspondant à la fonction qu'il exerce. Il préside alors non pas par désignation de l'assemblée, mais Parce qu'il possède, en vertu de son ordination, un caractère sacré qui lui permet de présider au nom du Christ. La présence spéciale du Christ en lui se fonde sur son caractère sacramentel.
On a fait remarquer que la communauté monastique est un corps « hiérarchisé » qui doit se manifester comme tel dans la liturgie. On a ajouté que, puisque l'abbé préside au réfectoire et au chapitre, on ne voit pas pourquoi il ne présiderait pas à l'église. Une lourde équivoque se glisse sous ces propos. Lorsque les frères se réunissent pour un exercice commun (chapitre, repas, etc.), les simples exigences d'une vie commune harmonieuse requièrent que quelqu'un préside. Ce sera tout normalement le plus ancien, et donc le supérieur s'il est présent. Il n'y a en cela rien d'assimilable à la structure hiérarchique de l'Église qui, elle, repose sur des différences d'ordre sacramentel, sur des modes différents de participation au sacerdoce du Christ.
Il reste que la communauté monastique est une cellule de l'Église. Sa célébration de l'Eucharistie n'est légitime et valide que si elle est présidée par l'évêque ou par un ministre dûment ordonné et en communion avec son évêque. Là, et là uniquement, réside la manifestation du caractère hiérarchique de la communauté monastique, dans sa célébration eucharistique.
Si un évêque participe à une célébration liturgique, le caractère hiérarchique de l'Église et de la liturgie demande que ce soit lui qui préside, car il appartient à un ordre sacré supérieur. Mais s'il n'y a que des prêtres à célébrer, rien du point de vue liturgique et sacramentel n'indique que l'un plus que l'autre préside, quelle que soit par ailleurs leur dignité respective ou leur fonction dans la vie de la communauté. Nous avons bien dit que du point de vue sacramentel et liturgique rien n'indique la préférence de l'un sur l'autre. Il reste évidemment qu'il y a une certaine convenance à ce que, plusieurs prêtres étant réunis, le plus ancien ou celui qui a la direction de la vie spirituelle du groupe préside. Cette convenance relève du respect et n'appartient aucunement à l'ordre sacramentel. C'est pourquoi elle n'a rien d'absolu, et doit donc céder devant d'autres exigences ou en raison de certains inconvénients. Ainsi, il y a une convenance d'ordre sacramentel et donc supérieure à ce que le président soit choisi parmi ceux qui sont aptes à remplir leur fonction de façon à édifier les participants. C'est pourquoi, si l'abbé, pour raison de santé ou d'âge, ou simplement par défaut de voix, ne peut remplir convenablement et noblement la fonction de président, il convient... qu'il ne préside pas.
Dans une communauté où l'on concélèbre quotidiennement, il peut y avoir en pratique de sérieux inconvénients, surtout d'ordre psychologique, à ce que la même personne - fût-ce le supérieur - préside chaque jour la concélébration. Devant cet inconvénient, doit certainement céder la convenance qu'il y a à ce que le supérieur préside. Et, dans ce cas, il n'y a pour celui-ci rien d'humiliant, ou de dégradant à ce qu'il se range parmi les autres concélébrants.
c) Et la juridiction?…
Nous arrivons maintenant à l'une des questions les plus délicates en cette affaire. On nous dira peut-être : d'accord ! nous acceptons votre histoire et votre théologie ! mais il reste que, concrètement, les abbés d'aujourd'hui sont prêtres et qu' ils ont juridiction sur tous les membres de leur communauté, y compris les autres prêtres. Comme tels, ne participent-ils pas à la fonction pastorale de l'évêque ?... C'est certes là un argument de poids, qu'il importe de bien étudier.
Tout le problème est de savoir quelle est la nature de cette juridiction. A-t-elle quelque chose de sacramentel, ou ne crée-t-elle simplement qu'un lien juridique ? Expliquons-nous.
Avant Vatican II, certains théologiens ou canonistes divisaient en deux catégories les pouvoirs de l'évêque : le pouvoir de sanctifier par l'administration des sacrements, conféré par le sacrement de l'Ordre et la consécration épiscopale, d'une part, et, d'autre part, le pouvoir d'enseigner provenant d'une juridiction reçue en dehors de la consécration épiscopale. Dans cette perspective, la juridiction de l'abbé et son pouvoir d'enseigner pouvaient fort bien être assimilés à ceux de l'évêque. Mais une telle conception ne peut plus être retenue comme valable après Vatican II La Constitution Lumen Gentium (no 21, § 2) distingue nettement entre la charge ou fonction (munus) épiscopale et les pouvoirs qui lui sont intrinsèques, d'une part, et, d'autre part, l'exercice de cette fonction, qui exige une détermination juridique ou canonique provenant de l'autorité hiérarchique [98] . La fonction épiscopale d'enseigner et de gouverner ne provient donc pas d'un acte spécial du Souverain Pontife ; elle est conférée par la consécration épiscopale.
En conséquence, on peut dire, avec le Père J. Lécuyer, que " la juridiction n'est pas un pouvoir proprement dit, mais un acte par lequel l'autorité légitime détermine le domaine d'exercice de pouvoirs préexistants [99] ". Il s'ensuit donc que : « La juridiction peut être donnée à quelqu'un sans qu'aucune qualité nouvelle stable, ontologique, lui soit conférée. Il en est ainsi dans les sociétés naturelles ; il en est même ainsi manifestement dans l'Église chaque fois que la juridiction est donnée à un laïc : au moment de son investiture, celui qui est désigné comme chef demeure ce qu'il était... ; il ne s'y ajoute rien que la conscience de sa nouvelle responsabilité, et aussi, évidemment, les grâces actuelles que Dieu dispense à tout homme pour l'exercice de ses devoirs d'Etat... Il en va ainsi partout où n'intervient pas un sacrement" [100] . »
L'abbé actuel est un moine qui, en plus de sa fonction propre qui est d'être le centre de communion d'une fraternité et le guide de celle-ci dans sa recherche du Seigneur, reçoit du droit ecclésiastique actuel la fonction d'exercer sur les membres de sa fraternité les pouvoirs d'enseignement et de gouvernement du Peuple de Dieu, qu'il a en commun avec tous ses prêtres. Ses pouvoirs demeurent ceux du sacerdoce de second ordre, essentiellement différents de ceux de l'évêque, successeur des Apôtres.
A ce point de vue aussi, il y a une certaine convenance à ce que, tout étant égal par ailleurs, le supérieur préside à la concélébration des prêtres sur qui il a juridiction. Il s'agit d'une simple convenance, et non pas d'une exigence comme c'est le cas pour l'évêque. Et cette convenance peut être contrebalancée par certains inconvénients ou par une convenance opposée, d'ordre sacramentel.
CONCLUSION.
Une enquête positive dans la tradition et une réflexion théologique fondée sur les notions d'Eglise et de communauté nous ont conduit à des conclusions singulièrement convergentes.
Une communauté monastique cénobitique est constituée de chrétiens qui se sont réunis pour vivre dans la communion fraternelle les réalités fondamentales de la vie chrétienne. En tant que chrétiens, ils demeurent toujours sous l'autorité et la sollicitude pastorale de la hiérarchie ecclésiastique. Si, en leur sein, ils se choisissent un supérieur, ce ne sera certes pas pour supplanter la hiérarchie ecclésiastique mise par le Christ à la tête de l'Église. Ce sera pour coordonner leurs efforts en vue de la recherche et de l'accomplissement de la volonté de Dieu. Il y a là deux autorités distinctes, l'une d'ordre sacramentel et d'institution divine, l'autre se situant au niveau de la fraternité.
L'Orient a connu une tradition cénobitique assez constante malgré les diverses formes qu'elle revêtit, où cet équilibre théologique était parfaitement conservé. Cette tradition n'a malheureusement pas passé en Occident. Le cénobitisme occidental est né de la transposition, dans un cadre de vie commune, des coutumes et de la spiritualité des milieux semi-anachorétiques d'Egypte. En conséquence, la fonction dévolue à l'abbé en Occident apparaît comme le fruit de la transformation en institution permanente d'un lien temporaire de sa nature, celui de maître à disciple. Et à ce lien s'est greffé le rôle de père spirituel.
Au sein de cette tradition occidentale, sur l'origine de laquelle pesaient bien quelques équivoques, une tendance s'est manifestée à assimiler la fonction de l'abbé dans son monastère à celle de l'évêque dans son diocèse. Cette tendance qui fut poussée à l'extrême limite dans la Regula Magistri ne peut se réclamer de la tradition monastique ancienne et ne saurait guère se défendre du point de vue théologique. La Regula Benedicti l'a d'ailleurs ramenée à des proportions plus acceptables.
De nos jours, l'abbé est pratiquement toujours prêtre et, de plus, il a juridiction. Celle-ci ne lui ajoute toutefois rien dans l'ordre sacramentel ; il demeure prêtre de « second ordre ». Contrairement à ce qui en est pour l'évêque, il n'y a aucune exigence à ce que, dans une concélébration des membres de sa communauté, il soit le président, sa supériorité n'étant pas d'ordre sacramentel.
Par ailleurs, du fait qu'il est le père de sa communauté, et aussi du fait qu'il a juridiction sur les membres de celleci, y compris les prêtres, il peut y avoir une certaine convenance à ce que, tout étant égal par ailleurs, il préside la concélébration eucharistique. Cette convenance doit toutefois céder le pas devant d'autres convenances d'ordre supérieur, ou devant certains inconvénients. Et pratiquement, dans des communautés où l'on concélèbre quotidiennement, il y aura toujours un inconvénient - au moins d'ordre psychologique - à ce que ce soit toujours la même personne qui préside.
En pratique, il semble qu'il y aurait quelque convenance à ce que l'abbé préside la concélébration lors des grandes fêtes ou des moments les plus significatifs de la vie de la communauté. A part cela, il serait préférable qu'il laisse présider, à tour de rôle, tous les prêtres de la communauté capables de le faire dignement.
Il n'y a, par ailleurs, pas la moindre inconvenance à ce que l'abbé se range parmi les autres concélébrants lorsqu'il ne préside pas. Puisqu'il est, comme tous les autres, un sacerdos secundi ordinis, il n'y a en cela aucune « dégradation », aucune humiliation (et donc aussi rien qui soit particulièrement digne de mention). On pourrait même dire que s'il ne concélèbre pas, c'est alors qu'il ne respecte plus son rang.
Dans toute célébration liturgique le rôle du président est unique, puisque celui-ci représente le Christ d'une façon toute spéciale. C'est pourquoi nous sommes plutôt réticents devant la coutume d'avoir en quelque sorte deux présidents, l'abbé se réservant le rôle de président mais « déléguant » certaines de ses fonctions à l'hebdomadier. Bien qu'une théologie mieux élaborée de la concélébration puisse encore apporter des précisions sur le sens exact de la fonction de président, il nous semble que celui-ci doit demeurer unique. Et n'y aurait-il pas dans cette solution un reste de cette tendance médiévale à assimiler l'abbé à l'évêque ? Sans compter que si cela se fait dans le but de « faire plaisir » ou de « mettre en relief le simple religieux », comme le suggèrent certaines réponses au questionnaire, on détourne de leur finalité les fonctions liturgiques.
Au terme de la lecture de ces notes, le lecteur se dira peut-être que l'auteur a soulevé plus de problèmes qu'il n'en a résolus.
C'est bien aussi l'avis de ce dernier. Il aura atteint son but si cette étude suscite un nouvel effort de réflexion sur ces questions qui touchent aux réalités les plus fondamentales de la vie cénobitique.
Avent 1967.
Mistassini; Canada..
Armand VEILLEUX
[1] in Supplément de la Vie Spìrituelle, nº 86, sept. 1968, 351-393; idem in Liturgie (o.c.s.o.) nº 7, juillet 1968, p. 13-60. English translation in Monastic Studies, nº 6, 1968, 3-45.
[1] M.-D. CHENU, La théologie de l'Eglise dans son histoire. A partir d'un beau livre, dans La Vie Spirituelle, février, 1967, pp. 203-217 ; voir à la p. 204.
[2] Une telle systématisation était autrefois courante. Voir par exemple W. BOUSSET, Das Mönchtum der asketischen Wüste, dans Zeitschrift für Kirchengeschichte 42 (1923), pp. 1-41 ou, un peu plus récemment, W. HENGSTENBERG, Bemerkungen zur Entwicklungsgeschichte des ägyptischen Mönchtums, dans Bulletin de l'Institut archéologique bulgare 9 (1935), pp. 355-362.
[3] Comme exemple de cette position traditionnelle, voir J. VERGOTE, l'Egypte, berceau du monachisme chrétien, dans Chronique d'Égypte 34 (1942), pp. 329-345.
[4] Cf. J. GRIBOMONT, L'influence du monachisme oriental sur Sulpice Sévère, dans Saint Martin et son temps (Studia Anselmiana 46), Rome 1961, p. 136; ibid., Le monachisme au sein de l'Eglise en Syrie et en Cappadoce, dans Studia Monastica 7 (1965), p. 7.
[5] Sur cette problématique, voir A. ADAM, Grundbegriffe des Mönchtums in sprachlicher Sicht dans Zeitschrift für Kirchengeschichte 65 (1953-1954), pp. 209-239; E. BECK, Asketentum and Mönchtum bei Ephräm, dans Il monachesimo orientale (Orientalia Christiana Analecta 153), Rome, 1958, pp.341-362 ; ibid., Ein Beitrag zur Terminologie des ältesten syrischen Mönchtums dans B. STEIDLE, Antonius Magnas Eremita (Studia Anselmiana 38), Rome, 1956, pp. 254-267; G. KRETSCHMAR, Ein Beitrag zur Frage nach dent Ursprung frühchristlicher Askese, dans Zeitschrift für Theologie und Kirche 61 (1964), pp. 27-67.
[6] Nous pensons surtout à la thèse de Dom Adalbert de Vogüé, sur laquelle nous reviendrons plus loin.
[7] Dans la suite nous renverrons plus d'une fois à l'ouvrage fondamental de A. VÖÖBUS, History of Asceticism in the Syrian Orient. A contribution to the History of Culture in the Near East, t. I. The Origin of asceticism. Early monasticism in Persia, t. II Early monasticism in Mesopotamia and Syria (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 184 et 197 ; Subsidia 14 et 17), Louvain, 1958 et 1960.
[8] J. GRIBOMONT, Le monachisme au sein de l'Eglise en Syrie et en Cappadoce, dans Studia Monastica 7 (1965), pp. 7-24; surtout pp. 12-16.
[9] Ibid., pp. 18-24. Voir aussi les intéressantes notes de M. Aubineau dans GRÉGOIRE DE NYSSE, Traité de la Virginité, Introduction, texte critique, traduction, commentaire et index de Michel Aubineau ; coll. « Sources chrétiennes », n° 119, Ed. du Cerf, Paris, 1966, pp. 534-541.
[10] Cf. A. VEILLEUX, La liturgie dans le cénobitisme pachômien au IVe siècle, thèse polycopiée, Rome, 1967, pp. 214-217. (Cet ouvrage sera bientôt publié dans la série Studia Anselmiana.)
[11] L'Evangile selon les Egyptiens, écrit à tendances encratiques assez poussées, est cité plus d'une fois, par exemple, dans les Stromates de Clément d'Alexandrie : Stromates III, 6, 45 ; III, 13, 92. Ces fragments ont été réunis par E. PREUSCHEN dans Die Reste der ausserkannonischen Evangelien und urchistlichen Ueberlieferungen, Giessen 19052, pp. 2-3. Voir aussi M. RONCAGLIA, Histoire de l'Eglise copte, t. I Les Origines du christianisme en Egypte : du Judéo-christianisme au christianisme hellénistique (Ier et IIe siècles), Dar Al-Kalima, 1966, pp. 65-109. On sait que G. Quispel a émis l'hypothèse que la source encratique de l'Evangile selon Thomas s'identifierait avec l'Evangile des Égyptiens. De toute façon, selon le même auteur, c'est à Alexandrie qu'il faut chercher le fond judéo-chrétien et l'arrière-fond d'un judaïsme hellénistique que présuppose la source encratique de « Thomas ». Cf. G. QUISPEL, L'Evangile selon Thomas et les origines de l'ascèse chrétienne, dans Aspects du judéo-christianisme. (Colloque de Strasbourg, 23-25 avril 1964), Paris, 1965, pp. 48-49.
[12] Cf. A. Vööbus, ouvrage cité à la note 7, t. I, pp. 97-103 et t. II, pp. 331-342. Ibid., The Institution of the Benai Qeiama and Benat Qeiama in the ancient Syrian Church, dans Church History 30 (1961), pp. 19-27. Voir aussi, sur cette question, les ouvrages cités par Dom J. Gribomont, dans l'article cité ci-dessus (note 8), ou encore P. NAGEL, Zum Problem der Bundessähne bei Afrahat, dans Forschungen und Forschritte 36 (1963), pp. 152-154, ou plus récemment, ibid., Die Motivierung des Askese in der alten Kirche and der Ursprung des Mönchtums (Texte und Untersuchungen 95), Berlin, 1966, pp. 41-44. Ce dernier auteur suggère une nouvelle interprétation du mot q²iâmâ; il faudrait traduire non par fils du pacte, mais par fils de la résurrection.
[13] Article cité ci-dessus (note 8), p. 17.
[14] Cf. A. VÖÖBUS, Sur le développement de la phase cénobitique et les réactions dans l'ancien monachisme syriaque, dans Recherches de science religieuse 47 (1959), pp. 401-407. Vööbus a tenté de retracer la physionomie de cet ascétisme primitif, à partir des oeuvres d'Éphrem; cf. Le reflet du monachisme primitif dans les écrits d'Éphrem le Syrien, dans Orient Syrien 4 (1959), pp. 290-306.
[15] E. BECK, Asketentum und Mönchtum bei Éphrem, dans Il monachesimo orientale (Orientalia Christiana Analecta 153), Rome, 1958, pp. 341-362 (traduction française . Ascétisme ot monachisme chez S. Éphrem, dans Orient Syrien 3 (1958), pp. 275-298).
[16] Cela apparaît clairement dans la différence que l'on constate entre les vingt-quatre premiers chants des Carmina Nisibena d'Ephrem (racontant la période nisibienne) et les chants suivants (se rapportant à la période d'Edesse). E. Beck en a donné une édition critique: Des Heiligen Ephraem des Syrers Carmina Nisibena (erster Teil), (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 268-269), Louvain, 1961.
[17] Article cité ci-dessus (note 8), p. 17.
[18] O. HENDRIKS, L'activité apostolique des premiers moines syriens, dans Proche Orient chrétien 8 (1958), pp. 3-25.
[19] Voir toutefois les deux excellentes études de J. GRIBOMONT : Le monachisme au IV' siècle en Asie Mineure : de Gangres au messalianisme, dans Studia Patristica II (Texte und Untersuchungen 64), Berlin, 1957, pp. 400-415, et Eustathe le philosophe et les voyages du jeune Basile de Césarée, dans Revue d'Histoire Ecclésiastique 54 (1959), pp. 115-124.
[20] J. GRIBOMONT, Histoire do texte des Ascétiques de saint Basile (Bibliothèque du Muséon 32), Louvain, 1953.
[21] Edition W. JAEGER et al., Gregorii Nysseni opera, t. VIII-1, Opera ascetica, Leyde, 1952. Voir J. DANIÉLOU, Saint Grégoire de Nysse dans l'histoire du monachisme, dans Théologie de la Vie monastique (Théologie 49), Ligugé, 1961, pp. 131-141.
[22] Article cité ci-dessus (note 8), p. 21. Cf. aussi J. GRIBOMONT, Obéissance et Évangile selon saint Basile le Grand, dans Supplément de La Vie Spirituelle, n° 21, 15 mai 1952, pp. 192-215.
[23] J. GRIBOMONT, Saint Basile, dans Théologie de La Vie monastique, (Théologie 49), Ligugé, 1961, p. 109.
[24] Nous ne pouvons que résumer ici très brièvement ce que nous avons longuement développé dans l'ouvrage cité ci-dessus (note 10) ; voir surtout les pages 181-188.
[25] Dom Jean Gribomont a bien démontré ce point. Outre ses études sur Basile déjà citées, voir : Les Règles Morales de saint Basile et le Nouveau Testament, dans Studia Patristica, Il (Texte und Untersuchungen 64), Berlin, 1957, pp. 416-426.
[26] C'est ce qui explique l'absence chez Pachôme de la conception - si répandue par la suite - de la vie monastique ou de la profession monastique comme un « second baptême ».
[27] Epistola Theodori de Pascha dans A. BOON, Pachomiana latina (Bibliothèque de la Revue d'Histoire ecclésiastique 7), Louvain, 1932, p. 105, 15 ci. Liber Orsiesii 12, ibid., p. 116, 18 : « Qui primus instituit coenobia... » Sur l'idéal de la Koinonia comme note propre et distinctive du cénobitisme pachômien, voir H. BACHT , Antonius and Pachomius. Von der Anachorese zum Cönobitentum, dans B. STEIDLE, Antonius Magnus Eremita (Studia Anselmiana 38), Rome, 1956, pp. 66-107, ibid., Pakhôme et ses disciples, dans Théologie de la Vie monastique (Théologie 49), Ligugé, 1961, pp, 39-71 ; P. TAMBURRINO, Koinonia. Die Beziehung « Monasterium » " Kirche " im frühen pachomianischen Mönchtum, dans Erbe and Auftrag 43 (1967), -Pp- 5-21.
[28] 2e Catéchèse de Théodore, dans L.-T. LEFORT, Oeuvres de saint Pachôme et de ses disciples (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 160), Louvain, 1956, pp. 38, 15 ss.
[29] Vie bohaïrique de saint Pachôme, § 194, dans L.-T. LEFORT, Les Vies coptes de saint Pachôme et de sas premiers successeurs (Bibliothèque du Muséon 16), Louvain, 1943, p. 212 (S3b, ibid., pp. 337 ss).
[30] C'est, à notre connaissance, un moine protestant qui a le mieux exprimé la nature spécifique du cénobitisme pachômien, en le distinguant des groupements d'anachorètes : P.-Y. EmERY, L'engagement cénobitique, forme particulière et concrète de disponibilité, dans Verbum Caro 10 (1956), p. 146.
[31] Praecepta, n' 49, dans A. BOON, Pachomiana latina..., pp. 25-26.
[32] Ceci n'est pas propre à Pachôme. « Les textes d'Actes IV, 32, et II, 42-47, écrit le P. Congar, dominent et inspirent toutes les institutions ou réformes de la vie religieuse » ; (cf. Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari debet, dans Revue historique de droit français et étranger 36 (1958), pp. 228-229. Cf. aussi M.-H. VICAIRE, L'imitation des apôtres. Moines, chanoines, mendiants (IVe -XIIIe siècles), (Tradition et spiritualité 2), Paris, 1963. Sur l'unanimité : Act. 11, 46) des disciples du Christ, voir H. ZIMMERMANN, Die Sammelberichte der Apostelgeschichte, dans Biblische Zeitschrift 5 (1961), pp. 71-82 ; L. S. THORNTON, The Common Life in the Body of Christ, Londres, 1963.
[33] Sur la conception pachômienne du supériorat comme service, quelques textes ont été recueillis et savoureusement commentés par le P. 1. Hausherr, dans Théologie de la volonté de Dieu et obéissance chrétienne (Revue d'ascétique et de mystique 42, 1966), pp. 149-152.
[34] S10, P. 26, 20-24 (Am 553) ; cf. SBo 47; Gl 51. Voir aussi Am 398 ; SBo 61 ; Gl 64. De même Horsièse, dans son Testament, défendra sévèrement aux supérieurs de s'attribuer des privilèges : Liber Orsiesii 22, pp. 123-124.
[35] Gl 24. Ce paragraphe est cependant propre à la vie grecque.
[36] S7, p. 49, 1-5 (S3, p. 76, 13-16).
[37] C'est presque uniquement cette fonction du « père charismatique » au désert qui a été étudiée dans les ouvrages suivants sur l'abbé et l'abbatiat : L. DÜRR, Heilige Vaterschaft im antiken Orient. Ein Beitrag zur Geschicbte der Idee des « Abbas », dans Heilige Ueberlieferung, Festgabe 1. Herwegen, Münster i. W., 1938, pp. 1-20 ; J. DUPONT, Le nom d'abbé chez les solitaires d'Égypte, dans La Vie Spirituelle 77, août-sept. 1947, pp. 216-230 ; I. HAUSHERR, Direction spirituelle en Orient autrefois, Rome, 1955 ; B. STEIDLE, « Homo Dei Antonius ». Zum Bild des « Mannes Gottes » im alten Mönchtum, dans Antonius Magnus Eremita (Studia Anselmiana 38), Rome, 1956, pp. 148-200 ; F. VON LILIENFELD, Anthropos Pneumaticos. Pater Pneumatophoros : Neues Testament und Apophthegmata Patrum, dans Studia Patristica V (Texte und Untersuchungen 80), Berlin, 1962, pp. 382-392 ; H. VAN CRANENBURGH, De plaats van de « abbas » als geestelijke vader in het oude monachisme, dans Tijdschrift voor geestelijk leven 20 (1964), pp. 460-480.
[38] Cf. J. GRIBOMONT, article Evagre le Politique, dans Dictionnaire de spiritualité, IV/2 (1961), col. 1732 ; F. REFOULÉ, La mystique d'Evagre et l'origénisme, dans Supplément de La Vie Spirituelle, n° 66, sept. 1965, pp. 453-463.
[39] Cf. G. BARDY, article Didascale, dans Catholicisme, 111 (1952), col. 749.
[40] Cf. 1 Tm 2, 7 ; 2 Tm 1, 11 ; Eph 4, 1l ; 1 Co 12, 28.
[41] Voir les références données par G. Bardy dans l'article cité à la note 39.
[42] Sur l'école d'Alexandrie, voir G. BARDY, article Alexandrie, dans catholicisme, 1 (1948), col. 311.
[43] Cf. H. CROUZEL, Origène, précurseur du monachisme, dans Théologie de la Vie monastique (Théologie 49), Ligugé, 1961, pp. 18-20.
[44] Ibid., p. 21. La même chose se passait ailleurs qu'à Alexandrie. Par exemple, jean Chrysostome et Théodore de Mopsueste firent partie d'un groupe semblable de disciples réunis autour de Théodore de Tarse ; cf. J. DANlÉLOU, La direction spirituelle dans la tradition ancienne de l'Eglise, dans Christus, n° 25, 7 (1960), pp. 7-8.
[45] Cf. 1. AUF DER MAUR, Mönchtum und GIaubensverkündigung in den Schriften des hl. Johannes Chrysostomus (Paradosis 14), Fribourg, 1959, surtout pp. 105-141.
[46] Cf. A.-J. FESTUGIÈRE, Antioche païenne et chrétienne, Paris, 1959, pp. 183-192.
[47] H. Bacht a fait quelques réflexions pertinentes sur la différence entre cette obéissance de l'ermite et celle du cénobite, dans son article : L'importance de l'idéal monastique de saint Pachôme pour l'histoire du monachisme chrétien, dans Revue d'ascétique et de mystique 26 (1950), p. 321.
[48] Stromates, I, 1, 1 ; trad. Mondésert-Caster, coll. « Sources chrétiennes », n° 30, p. 44. Sur ce vocabulaire et sur la fonction du catéchète ou didascale, voir A. TURCK Catéchein et catéchésis chez les premiers Pères, dans Revue des Sciences philosophiques et théologiques 47 (1962), pp. 361-372, surtout P. 369.
[49] Pour une bibliographie sur le sujet, voir H. BACHT, Mönchtum und Kirche. Eine Studie zur Spiritualität des Pachomius, dans J. DANIÉLOU et H. VORGRIMLER, Sentire Ecclesiam, Das Bewusstsein von der Kirche als gestaltende Kraft der Frömmigkeit, Fribourg en Br., 1961, pp. 113-114.
[50] Voir quelques excellentes indications à ce sujet dans L. UEDING, Die Kanones von Chalkedon in ihrer Bedeutung für Mönchtum und Klerus, dans A. GRILLMEIER et H. BACHT, Das Konzil von Chalkedon. Geschichte und Gegenwart, 11, Würzburg, 1953, surtout la section 1 : Hierarchie und Mönchtum bis zum Konzil von Chalkedon, pp. 570-600.
[51] Cf. L. UEDING, Geschichte der Klostergrundungen der früher Merovin-gerzeit, Berlin, 1935, ou, quoique plus sommaire, G. LUFF, A survey Of primitive Monasticism in Central Gaul, 350-700, dans Downside Review (1952), pp. 180-203.
[52] D'excellentes études ont été réunies dans : Saint Martin et son temps (Studia Anselmiana 46), Rome, 1961.
[53] Cf. G. FOLLIET, Des moines euchites à Carthage en 400-401, dans Studia Patristica, Il (Texte und Untersuchungen 64), Berlin, 1957, pp. 386-399.
[54] Cf. A. ZUMKELLER, Das Mönchtum des heiligen Augustinus (Cassiciacum 11), Würzburg 1950; T. VAN BAVEL, De spiritualiteit van de Regel van Augustinus, dans Tijdschrift voor geestelijk leven 22 (1966), pp. 347-367.
[55] Inst., Préf., 4 ; éd. Guy, pp. 24-26. Pour une notice biographique sur Cassien, on voudra bien se reporter à M. CAPPUYNS, article « Cassien (jean) » du Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique, Xl (1949), col. 1319-1348 ; 0. CHADWICK, John Cassian, a Study in Primitive Monasticism, Cambridge, 1950 ; J.-C. GUY, Jean Cassien, Via et doctrine spirituelle (Recherche et synthèse 9), Paris, 1961, pp. 11-62. On trouvera une bibliographie très étendue sur Cassien (jusqu'en 1961), dans H. 0. WEBER, Die Stellung des Johannes Cassianus zur ausserpachomianischen Mönchstradition. Eine Quellenuntersuchung, Münster i. W., 1961.
[56] Cf. E. PICHERY, Conférences, t. I, coll. « Sources chrétiennes » n° 42 Paris, 1955, p. 21 : « Cassien se regardait comme le représentant autorisé de la tradition et aussi de la pensée de tout l'Orient chrétien. »
[57] Voici ce que dit un des meilleurs connaisseurs de Cassien, O.CHADWICK, John Cassian..., p. 49 : “ Cassian was not reporting faithfully the Egyptian or Syrian scene, but was chosing and sifting and interpreting the traditions of the cast to create a body of institutes suitable - to Gaul. “ Voir également J.-C. GUY, Jean Cassien, historien du. monachisme égyptien ? dans Studia Patristica, VIII (Texte und Untersuchungen 93), Berlin, 1966, pp. 363-372. D'ailleurs, lorsque Cassien écrivit son premier ouvrage, les Institutions, il avait quitté l'Egypte depuis près de vingt ans, et avouait lui-même ne pas se fier à sa mémoire (Inst., Préf., 4 ; éd. Guy, pp. 24-26).
[58] Sur tout cet aspect de l'œuvre de Cassien, voir l'excellent article de M. CAPPUYNS cité ci-dessus (note 55).
[59] Inst., XII, 19; éd. Guy, p. 478.
[60] Inst., Préf., 7 ; éd. Guy, p. 28.
[61] J. LEROY, Les préfaces des écrits monastiques de jean Cassien, dans Revue d'ascétique et de mystique 42 (1966), pp. 157-180.
[62] J. LEROY, Le cénobitisme chez Cassien, dans Revue d'ascétique et de mystique 43 (1967), pp. 121-158.
[63] A. DE VOGÜÉ, Monachisme et Eglise dans la pensée de Cassien, dans Théologie de la Vie monastique (Théologie 49), Ligugé, 1961, pp. 238-239.
[64] A. DE VOGÜÉ, La communauté et l’abbé dans la Règle de saint Benoît, Desclée de Brouwer, 1960, p. 159.
[65] A. DE VOGÜÉ, Monachisme et Église (art. cité à la note 63), p. 236.
[66] Ibid.
[67] A. DE VOGÜÉ, La communauté et l'abbé... ; surtout les pp. 129-144 et la conclusion : pp. 528-538
[68] A. DE VOGÜÉ, Le monastère, Église du Christ, dans B. STEIDLE, Commentationes in Regulam S. Benedicti (Studia Anselmiana 42), Rome, 1957, pp. 25-46.
[69] Le Maître a un véritable instinct de logique, qu'il sait pousser jusqu'à l'absolu. Cf. A. DE VOGÜÉ, La communauté et l'abbé..., p. 512.
[70] A. DE VOGÜÉ, La communauté et l'abbé..., pp. 132-133.
[71] Ibid., p. 134
[72] Cf. A. DE VOGÜÉ, dans son introduction à La Règle du Maître, t. I, coll. « Sources chrétiennes », n° 105, Paris, 1964, pp. 109-111. Voir aussi sa note L'origine du pouvoir des abbés selon la Règle du Maître, dans Supplément de La Vie Spirituelle, n° 70, sept. 1964, pp. 321-324.
[73] Ibid., La Règle du Maître, t. I, pp. 113-115. Le P. Pio TAMBURRINO, d'accord avec Dom de Vogüé pour l'essentiel, a apporté un certain nombre de nuances et de précisions dans La Regula Magistri e l'origine del potere abbaziale, dans Collectanea Cisterciensa 28 (1966), pp. l60-l73.
[74] La dépendance de la Regula Benedicti à l'égard de la Regula Magistri s'impose de plus en plus aux historiens, même si elle ne peut être apodictiquement prouvée.
[75] Ceci a été excellement démontré par Dom de Vogüé, dans La communauté et l'abbé..., pp. 438-503.
[76] Ibid., pp. 76-77
[77] L. BOUYER, Retour aux sources et archéologisme, dans Le message des moines à notre temps Paris, 1958, p. 171.
[78] A. DE VOGÜÉ, La communauté et l'abbé.., p. 176.
[79] Ibid., p. 288.
[80] Ibid., p. 143.
[81] B. STEIDLE, Die Regel St. Benedikts, Beuron, 19,52. Voir aussi ses nombreux articles dans Erbe und Auftrag (autrefois Benediktinische Monatschrift).
[82] A DE VOGÜÉ, La communauté et l'abbé..., p. 27.
[83] Ibid.,. pp. 25-26.
[84] 1 84. Beaucoup de confusions sont nées du fait qu'on n'a pas suffisamment remarqué que Cassien distingue nettement les Tabennésiotes (qui habitent la Thébaïde) des Egyptiens (par exemple : Apud Aegyptos enim uel maxime Tabennesiotas... : Inst., IV, 17 ; éd. Guy, p. 144). Cette distinction entre Egyptiens et « Thébaïdiens » ne doit pas surprendre ; elle correspond au système politique de l'Egypte d'alors. Au moment de l'annexion de l'Egypte à l'empire romain par Auguste, elle fut divisée en trois « épistragies » : le Delta ou l'Egypte proprement dite, l'Etanomide et la Thébaïde (cf. J. G. MILNE, A History of Egypt under Roman Rule, Londres, 1924, pp. 124). Lors de la réorganisation effectuée par Dioclétien, après celle de Septime Sévère, le pays demeura divisé en trois provinces distinctes correspondant aux trois épistragies d'Auguste (cf. M. GELZER, Studien zur byzantinischen Verwaltung Aegyptens, Leipzig, 1909, p.5). Quant à Alexandrie, ville artificielle, de langue et de culture grecque, elle était en quelque sorte « hors d'Egypte ».
[85] 85. R. Draguer a déjà démontré, il y a plusieurs années que, dans ses chapitres sur les Tabennésiotes, Pallade ne fait qu'utiliser un document préexistant ou un moine copte attribue aux Pachômiens les coutumes des anachorètes de Basse-Egypte (cf. R. DRAGUET, Le Chapitre de HL sur les Tabennésiotes dérive-t-il d'une source copte? dans Le Muséon 57 (1944), pp. 53-145 et 58 (1945), pp. 15-95. Il est donc étonnant que Dom A. de Vogüé continue de croire que la Règle de l'Ange contenue dans le ch. 32 provient des « Pachômiens de la deuxième génération » (cf. A. DE VOGÜE, Le sens de l'Office divin d'après la Règle de S. Benoît, I, dans Revue d'ascétique et de mystique 42 (1966), p. 393, note 16). C'est sans doute qu'il considère que Pallade, en ces chapitres, dépend des Vies tardives de Pachôme en langue grecque. (Cf. A. DE VOGÜE, Monachisme et Eglise dans la pensée de Cassien, dans Théologie de la Vie monastique (Théologie 49), 1961, p. 217.) Mais dès 1930, F. Halkin, l'éditeur des Vies grecques de saint Pachôme, avait démontré que ces Vies grecques tardives qui ont intégré la Règle de l'Ange dépendent de l'Histoire Lausiaque, et non l'inverse (cf. F. HALKIN, L'Histoire Lausiaque et les vies grecques de S. Pachôme, dans Analecta Bollandiana 48 (1930), pp. 257-301). D'ailleurs ces Vies grecques tardives sont des adaptations faites hors d'Egypte.
[86] Les quelques récits communs aux recueils d'apophthegmes et aux Vies tardives de Pachôme ont plus probablement été empruntés aux premiers par les secondes.
[87] A. DE VOGÜE, La communauté et l'abbé..., p. 534, note 1 et p. 326.
[88] Cf. C. BUTLER, Benedictine Monachism, Oxford, 1919.
[89] A. DE VOGÜÉ, La communauté et l'abbé..., p. 25.
[90] Ibid., p. 326.
[91] Cf. Kirchengeschichtliche Quellen und Studien 5, St-Ottilien, 1961.
[92] H. BACHT, Der abt als Stellvertreter Christi. Die Stellung des Abtes im christlichen Altertum im Lichte neuerer Forschung, dans Scholastik 39 (1964), pp. 402-407.
[93] J. M. R. TILLARD, Autorité et vie religieuse, dans Nouvelle Revue théologique 88 (1966), pp. 786-806.
[94] Ibid., p. 789.
[95] Ibid., P. 790.
[96] . ibid.
[97] J. COLSON, Ministres de Jésus-Christ ou le Sacerdoce de l'Evangile. Etudes sur la condition sacerdotale des ministres chrétiens dans l'Eglise primitive (Théologie historique 4), Beauchesne, 1966.
[98] J. LÉCUYER, L'épiscopat comme sacrement, dans G. BARAÚNA et coll., L'Eglise de Vatican II, t. III (Unam Sanctam 51 c), pp. 754 ss.
[99] Ibid., p. 755.
[100] J. LÉCUYER, La triple charge de l'évêque, ibid., p. 907.
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