1 novembre 2009 – Toussaint

Chapitre à la Communauté de Scourmont

Comme dans un miroir

Les lectures de la Messe de la Toussaint sont particulièrement riches.Je commenterai dans l’homélie l’Évangile des Béatitudes et toucherai un peu aussi la première lecture, tirée de l’Apocalypse.

La deuxième lecture, tirée de la Première Lettre de Jean, nous rappelle que nous sommes tous enfants de Dieu, que nous le sommes déjà mais que cela n’est qu’une faible lueur comparée à ce que nous serons lorsque le Fils de Dieu paraîtra.Nous lui serons alors semblables, parce que nous le connaîtrons tel qu’il est. Il convient, évidemment de mettre ce texte en parallèle avec celui de Paul aux Corinthiens ( 1 Cor 13, 12) qui dit qu’ici bas nous ne voyons que comme dans un miroir mais qu’alors nous le verrons face à face.

Cette expression « comme dans un miroir » a été retenue comme thème d’une Journée diocésaine de la Vie Consacrée préparée par le Vicariat diocésain de la Vie Consacrée du diocèse de Tournai, et qui aura lieu le 6 février prochain. En préparation pour cette Journée, j’ai préparé un petit article qui paraîtra dans le numéro de novembre de L’Église de Tournai, et dont je vous donnerai ici l’essentiel du contenu.

Dans sa Première Lettre aux Corinthiens, saint Paul introduit son hymne à la charité en insistant sur la complémentarité des charismes des divers membres de l’Église. Tous les Chrétiens sont appelés aux plus hauts sommets de la perfection. Tous sont appelés à vivre l’amour qui est tout ce qui nous restera lorsque le reste aura passé. Chacun a une vocation qui lui est propre et est une expression particulière du mystère total de l’Église.

Au ciel nous verrons Dieu face à face, c’est à dire que nous le connaîtrons comme il nous connaît, dans une union d’amour qui ne sera pas une fusion, car elle respectera notre individualité. Ici-bas, tout ce qui nous est manifesté de Dieu nous l’est dans des réalités qui servent en quelque sorte de miroir. Cette figure du miroir peut nous aider à exprimer le sens de la Vie Consacrée.

Tous consacrés

Il n’est pas facile de trouver une expression adéquate pour désigner la forme de vie chrétienne qu’on appelle généralement aujourd’hui la vie consacrée et qu’on appelait à l’époque de Vatican II la vie religieuse. Aucune expression n’est totalement satisfaisante. Tout chrétien qui vit authentiquement sa vie chrétienne, et même tout être humain qui sert Dieu selon sa conscience, mène une vie qu’on peut dire religieuse. Il pratique la religion qui est une attitude de respect à l’égard de Dieu. De même tout Chrétien a été consacré à Dieu par le baptême. Les Chrétiens qui consacrent leur union matrimoniale à travers le signe visible du mariage sacramentel sont aussi consacrés à Dieu. Ceux qui décident de demeurer célibataires pour le royaume, tout en restant dans le monde, sans se joindre à une communauté et sans demander aucune reconnaissance officielle, n’en sont pas moins consacrés à Dieu par cet état de vie. Le prêtre est aussi consacré à Dieu, comme le dit d’ailleurs son titre de ministre sacré. L’Église a toutefois, depuis les premières générations chrétiennes, donné le nom de religieux ou de consacrés à des fidèles qui se sont publiquement engagés dans un état de vie permanent caractérisé en tout premier lieu par le célibat, et aussi par la simplicité évangélique – ou pauvreté – ainsi que l’obéissance et vécue la plupart du temps en communauté.

Ils ne sont ni plus religieux ni plus consacrés que tous les autres Chrétiens, mais ils le sont d’une façon particulière. Une théologie de cet état de vie, que Vatican II fonde sur la notion de sequela Christi, ou suite du Christ, pourrait aussi se fonder sur la notion de miroir, telle qu’on la trouve exprimée dans le texte de saint Paul mentionné plus haut. Il serait prétentieux de leur part de se considérer comme des modèles de vie chrétienne et naïf de la part des autres de le faire. Mais comme ils s’efforcent de mettre au coeur de leur vie des dimensions essentielles de toute vie chrétienne, on peut dire que leur vie est un miroir, dans lequel on peut lire, dans une certaine mesure et de façon évidemment toujours imparfaite, des aspects de toute vie chrétienne.

Aspects essentiels de la vie consacrée

Tout être humain est appelé à une communion d’amour avec Dieu. La personne appelée à la forme de vie chrétienne dite consacrée, veut non seulement mettre cette réalité au coeur de sa vie, mais organiser toute sa vie humaine autour de cette valeur. Pour cela elle choisit le célibat qui est, pour elle d’abord et pour les autres ensuite, le signe de ce désir d’union aussi totale que possible avec Dieu dans l’amour. En conséquence, afin que son coeur ne soit pas divisé entre l’amour du Christ et autre chose, cette personne renonce à se perpétuer dans des possessions matérielles – ayant déjà renoncé à se perpétuer dans une progéniture -- vivant ainsi une forme de pauvreté. De même, s’efforçant d’imiter le Christ qui, étant devenu l’un de nous, s’est fait obéissant jusqu’à la mort, elle adopte la sujétion à une règle commune et à des supérieurs comme une voie de recherche de la volonté de Dieu sur elle.

Ce don à Dieu de tout son être à travers ces engagements que nous venons de mentionner et qu’on appelle généralement voeux sont le coeur même de la vie de la personne consacrée. Malgré ses limites personnelles et ses faiblesses, cette personne est, à travers ce qu’elle s’efforce de vivre, un miroir dans lequel tout Chrétien – et même toute personne de bonne volonté, qu’elle soit croyante ou non -- peut discerner ce à quoi elle est elle-même appelée à vivre d’un autre façon.

Ministères ecclésiaux des consacrés

Cet engagement fondamental est le tronc sur lequel se greffent tous les autres aspects plus visibles de la vie d’une personne consacrée. La grande majorité de ces personnes consacreront leur vie au service des plus petits et des plus pauvres du royaume, soit à travers le soin des malades ou à travers l’enseignement, allant parfois jusqu’à des attitudes héroïques comme celle du Père Damien de Molokai – maintenant reconnu officiellement comme saint Damien. D’autres auront une mission d’enseignement ou encore de recherche scientifique aussi bien dans des domaines religieux ou théologiques que profanes. En cela aussi ils sont des miroirs. Sauf exception, les personnes consacrées vivent en communauté, chaque communauté ayant un charisme propre généralement lié à l’une de ces activités. Mais il reste que le charisme premier de tout consacré et ce qui justifie qu’on lui attribue ce nom, c’est son effort constant de placer l’amour du Christ au coeur de sa vie et d’organiser toute sa vie autour de ce noyau. Pour ceux qu’on appelle contemplatifs et qui n’ont aucune de ces activités pastorales ou caritatives comme mission propre, c’est à travers ce charisme premier qu’ils réfléchissent comme dans un miroir l’appel à l’amour de Dieu.

Il n’y a qu’une foi, qu’une espérance, qu’un amour, un seul Seigneur, Jésus le Christ. Tous les fidèles – tous ceux qui ont mis leur foi dans le Christ – construisent ensemble, chacun selon son charisme, ce sacrement de l’amour divin qu’est l’Église. Chacun doit s’efforcer de voir dans le charisme de l’autre une réflexion différente du même et unique mystère de la vocation à être sauvés par la transformation à l’image du Christ (2 Cor 3,18). Il serait bon de voir comment les familles chrétiennes sont des miroirs de l’amour divin, comment la vie de l’évêque et du prêtre est un miroir de ce même amour dans sonaspect de service ecclésial. L’Église de Tournai a décidé de consacrer une journée, le 6 février 2010, à voir comment les religieux et religieuses exercent ce même rôle de miroirs.

Mais dans tous les cas, l’essentiel est de percevoir non pas le miroir mais ce qui s’y reflète de façon encore obscure en attendant de nous retrouver tous ensemble unis dans la vision directe du Dieu unique.

Armand VEILLEUX