4 février 2024 -- 5ème dimanche "B"
Jb 7,1...7; 1 Co 9,16...23; Mc 1,29-39
Homélie
Dans l'Évangile de Marc, Jésus, tout de suite après son baptême, ses quarante jours au désert et le choix de ses premiers disciples, retourne en Galilée. Marc raconte alors une suite rapide d'événements que l'on serait tenté d'intituler, en utilisant une expression moderne : "une journée dans la vie de Jésus de Nazareth". Ces vingt-quatre heures sont fort bien remplies. Le matin du sabbat Jésus enseigne dans la synagogue de Capharnaüm et y guérit un possédé (c'est l'Évangile de dimanche dernier); puis il se rend à la maison de Simon et André et y guérit la belle-mère de Simon. Le même soir on lui amène de nombreux malades à guérir. Vers la fin de la nuit il se rend sur la montagne pour prier. Les frères viennent pour le chercher, mais il leur répond qu'il doit aller dans les villages voisins. C'est vraiment beaucoup en vingt-quatre heures! Essayons de percevoir quelques-uns des enseignements que Marc veut transmettre, ou plutôt des enseignements de Jésus à ses premiers disciples.
La belle-mère de Pierre souffrait de la fièvre, ce qui était alors conçu comme une forme de possession. D'ailleurs le mot grec utilisé pour désigner la fièvre est de la même racine que le mot "feu" et le mot "zèle". Il y a sans doute ici une allusion au zèle ardent du prophète Élie, le prophète de feu (Sir. 48, 1-3.9; 1 Rois 19,10.14) qui fit périr de sa main les 450 prophètes de Baal, et à celui des disciples de Jésus qui voulaient un jour faire descendre le feu du ciel sur ceux qui n'avaient pas reçu son message. Jésus veut montrer à ses disciples que cette fièvre, cette ardeur destructrice, doit être étrangère à ceux qui veulent le suivre. Elle doit faire place à un esprit de service. Délivrée de sa fièvre, la belle-mère de Simon se met en effet à les servir.
Que ce soit dans nos relations interpersonnelles ou dans celles entre les confessions religieuses ou entre les nations, toute ardeur à condamner les autres, à leur imposer nos points de vue, à faire pleuvoir sur eux (moralement ou même physiquement) le feu du ciel, est en opposition avec le message de Jésus. Toute "frappe préventive" de l'autre soit pour le ramener au juste chemin soit pour se protéger soi-même est un crime contre l'humanité, telle que Jésus la conçoit.
Contrairement à cette "hybris" qui, de nos jours comme il y a près d’un siècle, risque de faire sombrer dans une violence cauchemardesque le monde qui se croit civilisé, Jésus choisit la voie du service, de l'humilité et de la prière. Alors que ses débuts à la synagogue de Capharnaüm étaient un grand succès, il quitte ce lieu public pour se rendre dans la maison privée d'un de ses disciples. Et lorsque les guérisons accomplies en cet endroit le rendent encore plus populaire il quitte cet endroit pour se réfugier dans la prière et la solitude avant de partir pour les humbles bourgades de la région.
Paul de Tarse, comme Élie plusieurs siècles auparavant, était prêt à tuer au nom de Dieu, jusqu'au jour où une lumière foudroyante, sur le chemin de Damas, le délivra de cette fièvre meurtrière. C'est avec cette liberté nouvelle qu'il écrira plusieurs années plus tard aux Corinthiens : "libre à l'égard de tous, je me suis fait le serviteur de tous afin d'en gagner le plus grand nombre possible" (2ème lecture d'aujourd'hui). Comme la belle-mère de Pierre, il peut servir lorsqu'il est libéré de sa fièvre.
Une pandémie dont l’une des manifestations est une forme de fièvre frappe de nos jours des hommes et des femmes sur tous les continents. La lutte contre cette pandémie a suscité un peu partout de nombreuses formes de service et de solidarité. Demandons au Seigneur de délivrer l’humanité de ce virus destructeur. Demandons-lui aussi que la fraternité que cette pandémie a suscitée demeure et croisse toujours. Prions aussi pour que non seulement les individus mais aussi les nations sachent vivre concrètement cette fraternité universelle dans la répartition des vaccins, afin que les nations pauvres ne soient pas laissées démunies alors que les nations riches en accumulent de grandes quantités pour leurs besoins futurs. En un mot, prions pour que toute l’humanité, et donc chacun de nous, s’ouvre à une fraternité universelle.
Armand Veilleux