Homélies de Dom Armand Veilleux

19 juin 2023 – lundi de la 11ème semaine

2 Co 6, 1-10 ; Mt 5, 38-42

 

Donner l’autre joue

 

Ce passage d’Évangile me ramène à la mémoire une scène de la vie de Mahatma Gandhi. Il s’agit d’un événement se situant vers la fin de la vie de Gandhi.  L’Inde vient tout juste d’obtenir son indépendance, mais elle s’est déjà divisée en deux pays : l’Inde elle-même, un pays hindou et le Pakistan, un pays musulman ; et une guerre civile fait rage dans les principales villes entre les musulmans et les hindous.  Gandhi commence alors un jeûne, décidé de ne rien manger tant que la paix ne sera pas rétablie entre les deux factions. C’est alors qu’un homme de religion hindoue vient trouver Gandhi. Il est désespéré, convaincu d’être damné pour toujours parce qu’il a tué un enfant musulman.  Il l’a tué pour se venger parce que des musulmans avaient tué son propre enfant. Gandhi lui dit alors ce qu’il doit faire pour éviter la damnation.  « Va, dit-il, trouve un enfant du même âge que celui que tu as perdu, adopte-le et élève-le comme ton propre enfant.  Mais surtout prend bien soin de choisir un enfant musulman et de l’élever comme un bon musulman.

           Même si Gandhi n’était pas chrétien, il serait difficile de trouver une application plus authentique du message de Jésus dans l’Évangile d’aujourd’hui.

           Après plus de deux mille ans de chrétienté, il y a encore la guerre aux quatre coins de la planète, et elle est souvent menée par des pays chrétiens, ou en tout cas des millions de chrétiens y participent. Mais, surtout, nous avons nos petites guerres privées.  Ce peut être un accrochage de quelques minutes ou un conflit qui dure quelques jours.  Ce peut aussi être une tension qui dure quelques années.  Le commandement de présenter l’autre joue n’est pas plus raisonnable aujourd’hui qu’il l’était au temps de Jésus, ou qu’il l’a été durant les deux derniers millénaires.  Mais il demeure la seule façon d’être parfait comme notre Père du ciel est parfait, et donc la seule façon d’entrer dans la vie éternelle.

           La source des tensions interpersonnelles comme celle de toutes les guerres est que nous oublions que nous sommes possédés par la Vérité et nous prétendons la posséder. Nous pensons être les seuls propriétaires de la vérité, de Dieu, de la justice. Nous sommes toujours tentés de retourner à la morale de l’Ancien Testament, qui incarnait une religion territoriale.  Dieu était conçu comme le dieu d’un peuple, d’une terre. Bien sûr, il y avait d’autres pays et d’autres peuples qui avaient leurs propres dieux; ils étaient tout au plus tolérés si on n’était pas en conflit ouvert avec eux.     

Les grandes guerres mondiales de notre époque et beaucoup d’autres conflits nous ont montré la force destructrice de toute forme de racisme et de nationalisme. Toute limitation de l’amour à des limites spatiales, à travers des murs, qu’ils soient matériels ou autres, est une recrudescence du polythéisme du temps de l’Ancien Testament, qui limitait les dieux à des territoires spécifiques.  Le monde politique des dernières années a fait renaître ce polythéisme ancien et, en tant que chrétiens, nous avons le devoir de ne pas nous laisser entraîner par cette mentalité.

La pire forme d’idolâtrie, cependant, est probablement celle qui consiste à transformer en idoles ses propres désirs et la recherche de ses satisfactions personnelles.  Demandons au Seigneur la pureté du cœur qui nous permettra de voir Dieu en chaque personne et nous préservera de tout manquement à l’amour du prochain.

Armand Veilleux

          

Homélie pour le 11ème dimanche du temps ordinaire « A »

18 juin 2023

Exode 19, 2-6 ; Romains 5, 6-11 ; Matthieu 9, 36-10, 8 

H O M É L I E

          Le récit que nous avons lu dans la première lecture se situe à peine trois mois après que le peuple d’Israël fût sorti d’Égypte, et qu’il fût arrivé en face du Sinaï où aura lieu la rencontre entre Moïse et Dieu.  Moïse entreprend de monter vers Dieu et Dieu l’appelle du haut de la montagne. Le message reçu n’est cependant pas pour Moïse tout seul ; il est pour tout le peuple avec qui Dieu veut faire une Alliance et à qui il confie une mission collective : « vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte ». 

17 juin 2023 – Fête du Cœur Immaculé de Marie

2 Co 5,14-21 ; Luc 2, 41-51  

H O M É L I E

          Après la fête du Sacré-Cœur de Jésus, le calendrier liturgique nous fait célébrer aujourd’hui celle du cœur Immaculé de Marie. Et l’Évangile retenu pour cette fête est le récit de la montée de Jésus au Temple, à l’âge de douze ans, qui se termine par l’affirmation que Marie conservait toutes ces choses en son cœur.

16 juin 2023 - Solennité du Sacré-Coeur

Deut 7,6-11; 1Jean 4,7-16; Mt 11,25-30

H O M É L I E

          L'aspect du mystère du salut que nous célébrons aujourd'hui n'est pas tellement différent de celui que nous avons célébré il y a une dizaine de jours, le dimanche de la Trinité.  "Dieu est amour", répète saint Jean, comme un refrain, dans la seconde lecture de la messe d'aujourd'hui.  Ces trois mots résument tout le mystère de l'union du Père à son Fils dans leur commun Esprit.  Ils résument aussi tout le mystère des relations entre Dieu et l'humanité.

13 juin 2023 – mardi de la 10ème semaine “A”

2 Co 1, 18-22 -- Mt 5,.13-16

H O M É L I E

          Lorsque Jésus nous dit que nous sommes le sel de la terre et la lumière du monde, il ne nous invite pas à être orgueilleux, nous félicitant nous-mêmes d’être les “choisis”.  Au contraire, il nous confie une mission – et une mission très exigeante.  Il nous invite à être le sel de la terre et la lumière du monde non pas tellement par notre enseignement de sagesse mais plutôt par notre témoignage.

12 juin 2023  lundi de la 10ème semaine du Temps Ordinaire

2 Cor 1, 1-7 ; Mt 5,1-12a 

Homélie

          Au moment où les Évangiles ont été rédigés, c’est-à-dire lorsque les souvenirs de ceux qui avaient connu Jésus et avaient été ses disciples, furent recueillis par les quatre Évangélistes que nous connaissons – Matthieu, Marc, Luc et Jean – après que ces écrits eurent circulé d’abord oralement puis en petits récits écrits détachés, les premiers chrétiens étaient déjà en proie aux persécutions.  On comprend donc l’importance qu’est donnée dans ces Évangiles à la dernière béatitude : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice... », ainsi que l’élaboration qui en est faite : « Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute... réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse... ». Il s’agissait alors des tensions vécues entre les autorités de la religion juive traditionnelle et le christianisme naissant qui était perçu comme une nouvelle secte et une menace.

11 juin 2023 – Fête du Corps et du Sang du Christ


Dt 8, 2…16 ; 1 Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58

Homélie

           Ce texte de l’Évangile que je viens de lire est la conclusion du long discours de Jésus sur le Pain de Vie, que nous trouvons au chapitre 6 de l’Évangile de Jean. Au début de ce chapitre, Jean avait raconté la multiplication des pains, après laquelle les disciples étaient partis en barque pour la ville de Capharnaüm et Jésus, fuyant les foules qui voulaient le faire roi, était allé dans la montagne pour prier, avant de rejoindre ses disciples. Le lendemain, alors que les foules, couraient de nouveau après lui, il leur adressa ce long discours sur le Pain de vie, dont nous venons de lire la conclusion. En réalité il aurait fallu ajouter le verset suivant, qui n’a pas été retenu dans notre lectionnaire liturgique, mais qui est très important pour comprendre l’ensemble du texte. Voici ce dernier verset : « Tels furent les enseignements de Jésus, dans la synagogue, à Capharnaüm ».

           Pourquoi ce dernier petit verset est-il important ? Tout simplement parce qu’il nous rappelle que le sens premier et le plus important des paroles de Jésus est le sens qu’elles avaient pour ceux à qui il les adressait à ce moment-là.  On réinterprétera par la suite ces paroles à la lumière de la pratique de l’Eucharistie, mais Jésus les adresse à la grande foule qui l’a suivi à Capharnaüm.  Il ne parle pas au futur. Il ne dit pas celui qui mangera ma chair et boira mon sang après ma mort et ma résurrection.  Jésus est encore vivant et il dit à cette foule, au présent : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ».  Tout au long de ce discours de Jésus, ce qui est au centre c’est le message de Jésus – le message qu’il a reçu de son Père et qu’il est venu porter au monde.  « Celui qui croit – dit-il – a la vie éternelle ».  Jésus se présente comme le messager du Père. En tant que Fils de Dieu il s’identifie au Message, puisqu’il est la Parole de Dieu. Mais en tant que Parole incarnée, il s’efface devant le Message, au point de s’anéantir (la kenosis), de se faire obéissant jusqu’à la mort.

           Ce fut d’ailleurs un point tournant dans le ministère de Jésus. Beaucoup de ses disciples qui avaient suivi avec enthousiasme ce nouveau prophète – ce nouveau messager – l’abandonnent alors, trouvant que son message est trop dur à vivre.  Ce qui amène d’ailleurs Jésus à demander aux Douze : « Et vous, voulez-vous partir aussi ? » et à Pierre de répondre : « À qui irions-nous ?  Tu as les Paroles de la Vie éternelle ? ».

           En relisant ces Paroles de Jésus à la lumière de la pratique eucharistique, lorsqu’il écrit son Évangile de nombreuses années plus tard, saint Jean nous montre que ce sens premier des paroles de Jésus, le sens qu’elles avaient concrètement pour ceux qui l’écoutaient de son vivant, est bien le sens profond du mystère eucharistique.  Lorsque nous nous réunissons, comme nous le faisons ce matin, pour célébrer l’Eucharistie, nous consommons la Parole de Vie venue du Père, qui s’est incarnée en Lui.  Nous affirmons notre foi en son message.  En exprimant ensemble notre foi nous sommes Église.

           Dans ce discours sur le Pain de Vie, Jésus fait allusion à la manne dont les Juifs s’étaient nourris durant leur long exode dans le désert.  Et cela nous vaut, dans la liturgie d’aujourd’hui, la lecture d’un très beau texte de Moïse.  Moïse est un bel exemple du messager qui s’efface sans cesse devant le message qu’il est appelé à porter.  Sa vie est divisée en deux périodes de quarante ans. La première, passée dans les palais du Pharaon est une existence dorée qui se termine par une catastrophe personnelle. Tout au long de la deuxième, tout au long des quarante ans du peuple juif dans le désert, Moïse est sans cesse celui qui transmet au peuple les messages de Dieu.  Lui-même n’entrera pas dans la terre promise. Le Livre du Deutéronome met dans sa bouche trois grands discours prononcés avant cette entrée dans la terre promise, et qu’on a appelés le « Testament de Moïse », dont nous avions un bel extrait comme première lecture. La Parole clé de ce texte est « Souviens-toi ». « N’oublie pas le Seigneur ton Dieu… C’est Lui qui… » Cette petite expression « C’est lui qui… » répétée plusieurs fois, nous montre comment Moïse, comme Jésus plus tard, est un messager qui s’efface devant le Message.

           Pour nous aussi, l’attitude d’adoration devant ce Message consiste à le laisser pénétrer en nous, le laisser devenir chair de notre chair, sang de notre sang, de sorte que nous puissions nous aussi le transmettre au monde d’aujourd’hui, à tous ceux avec qui nous vivons, sans chercher à nous faire remarquer, ni même nous faire reconnaître comme messagers, mais nous effaçant devant le Message.  Comme Jean-Baptiste, dont nous célébrerons la fête dans quelques jours, disons : « Il faut que Lui croisse et que moi je diminue ».

Armand VEILLEUX