20 décembre 2024
Isaïe 7,10-14; Luc 1,26-38
H O M É L I E
Nous avons aujourd’hui le même évangile que le jour de l’Annonciation du Seigneur, exactement neuf mois avant la fête de la Nativité, le jour où nous célébrons le moment de la conception de Jésus dans le sein de Marie, -- le premier moment de l’existence humaine de Dieu. Cet instant, qui divise toute l’histoire humaine en deux grandes périodes – celle d’avant le Christ et celle d’après la naissance du Christ – fait, dans l’Évangile, l’objet de diverses annonces, ou « annonciations ».
Dans l’Évangile de Matthieu, il y a l’annonce faite à Joseph, que nous avons lue à l’occasion de la fête de saint Joseph. Dans l’Évangile de Luc, il y a deux annonciations, l’une faite à Zacharie et l’autre faite à Marie. L’une ne se comprend pas sans l’autre, car il y a chez Luc un parallèle rigoureux entre les deux. Dans l’un et l’autre cas, c’est le même ange Gabriel qui est envoyé d’auprès de Dieu, portant son message. Dans le premier cas il se tient à la droite de l’autel de l’encens ; dans le second cas, il se tient devant Marie. Dans le premier cas il est envoyé à un vieillard marié à une femme également âgée – un couple stérile. Dans le second cas il est envoyé à une jeune fille fiancée mais non encore mariée.
L’arbre généalogique de Zacharie est impressionnant. Il est de famille sacerdotale, de la tribu de Lévi, demeurant à Jérusalem, en Judée, dans la région la plus religieuse d’Israël. Il est un fidèle observateur de la Loi, servant au Temple et étant entré en ce jour très spécial pour lui dans le Saint des Saints pour y offrir l’encens à l’heure du sacrifice du soir, pendant que le peuple attend au dehors. Dans le cas de Marie, sa propre généalogie n’est même pas mentionnée, même si elle est fiancée à un jeune homme de la tribu de David. Elle habite un petit village jamais mentionné dans l’Ancien Testament, dans la Judée peu religieuse et même presque païenne. Elle est une toute jeune fille socialement sans importance.
Zacharie est troublé et son manque de foi lui vaut d’être muet jusqu’à la naissance de son fils. Marie demande tout simplement comment « cela se fera-t-il », et loin d’être muette elle chante son admirable « Magnificat ». Zacharie aura la mission d’imposer à son fils le nom de Jean – mission qui revenait au père. Mais dans le cas de Jésus c’est sa mère Marie qui lui donnera le nom de « Jésus » que lui a révélé l’ange. Jean sera certes « grand aux yeux du Seigneur », le plus grand des fils de la femme, dira Jésus ; mais Jésus est le « Fils du Très Haut ». Sur Jean descendra l’Esprit Saint après sa naissance ; Jésus naît par l’intervention de l’Esprit Saint.
On pourrait allonger cette liste de points de comparaison. L’idée centrale est qu’avec le moment de la conception de Jésus une ère nouvelle de l’histoire de l’humanité est commencée – une nouvelle création remplace l’ancienne (ce à quoi se réfère la double mention du « sixième mois » rappelant les six premiers jours de la création).
Cette nouvelle création a débuté avec la conception de Jésus en Marie, la nouvelle Ève, mère de tous les vivants. Ce n’est pas la fin d’une histoire et encore moins la fin de l’histoire. C’est au contraire un nouveau départ, le début d’une période de l’histoire à laquelle nous appartenons ; le début d’une transformation de l’humanité qui doit se poursuivre dans notre société et dans chacune de nos vies.
Après Zacharie, Marie et Joseph, plusieurs ont reçu à un moment de leur vie une « annonciation ». Les Actes des Apôtres nous en racontent quelques-unes datant de la première communauté chrétienne, en particulier celle de Paul sur le chemin de Damas. En réalité, non seulement chaque Chrétien, mais aussi chaque être humain, reçoit tout au long de sa vie de ces « visites » de Dieu qui lui sont faites par des « anges de Dieu », c’est-à-dire des hommes et des femmes qui lui aident à percevoir la volonté de Dieu sur lui. Il y a en particulier, dans toute vie humaine adulte, un moment où le sens de sa vie ici-bas et le but vers lequel elle tend lui sont révélés d’une façon intuitive et mystérieuse.
La fête d’aujourd’hui nous invite à revivre ce moment où, à l’âge adulte, nous sommes de nouveau nés à nous-mêmes, comme l’enseignait Jésus à Nicodème – le moment où le sens de notre vie ici-bas nous a été révélé au fond de notre coeur. C’est le moment où nous avons dû dire notre propre Fiat à la naissance de Dieu dans notre existence et à l’entrée de notre existence personnelle dans la dynamique du Mystère pascal.
Armand VEILLEUX